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Dédiaboliser le FN, "l'exercice schizophrénique" de Marine Le Pen

Marine Le Pen a succédé à son père à la tête du Front national en 2011. [DR]
Marine Le Pen a succédé à son père à la tête du Front national en 2011. - [DR]
Coauteur du documentaire "Marine Le Pen: la dernière marche", diffusé dimanche soir sur RTS Deux, l'historien français Grégoire Kauffmann scrute le Front national, ses acteurs et son évolution depuis plusieurs années. Interview.

RTSinfo: Après plusieurs mois de relative discrétion, Marine Le Pen a fait un grand retour dans les médias en ce début 2017. Elle se dit prête pour l'élection à venir et pour l'après, en cas de victoire. Mais a-t-elle réussi à transformer le Front national (FN) au point qu'il puisse accéder à l'Elysée?

Grégoire Kauffmann: Marine Le Pen ne mise pas forcément sur une victoire au second tour. Les législatives sont, pour le FN, un enjeu bien plus important et un peu négligé. Elles détermineront en effet combien de députés le représenteront à l'Assemblée, et de cela dépendra la satisfaction des cadres du parti qui en ont marre de toujours être les perdants du second tour.

En tentant de dédiaboliser le Front national, Marine Le Pen s'est livrée à un exercice un peu schizophrénique qui consiste à chercher à se normaliser tout en continuant à s'opposer au système. C'est un numéro d'équilibriste qui peut coûter cher au parti car s'il se normalise il perd ce qui le constituait fondamentalement.

RTSinfo: Vous dites souvent que Marine Le Pen a fait muter le parti. Qu'entendez-vous par là?

Grégoire Kauffmann: Il y a une grande différence par rapport au discours. Jean-Marie Le Pen avait une stratégie d'auto-diabolisation. Il jouait avec délice son rôle de diable de la République sans volonté réelle d'accéder au pouvoir. Alors que Jean-Marie Le Pen dénonçait l'immigré, sa fille se concentre aujourd'hui sur l'islam au nom de la laïcité.

Marine Le Pen se positionne contre ce qu'elle appelle le nouveau totalitarisme, se revendique anti-islam au nom de la démocratie, du droit des femmes ou des valeurs républicaines. Elle séduit ainsi certains électeurs de gauche et de droite, persuadée, tout comme son vice-président Florian Philippot, que c'est ainsi que le parti pourra un jour être majoritaire.

RTSinfo: La victoire de François Fillon à la primaire de droite ne bouleverse-t-elle pas cette stratégie?

Grégoire Kauffmann: Le FN ne s'attendait pas à cette victoire à la primaire. Cela explique sans doute l'entrée en campagne prématurée de Marine Le Pen qui prévoyait initialement de se lancer début février.

François Fillon incarne une menace que le Front national n'avait pas prévue

Grégoire Kauffmann, historien

François Fillon incarne une menace que le Front national n'avait pas prévue car il est susceptible de séduire des catholiques conservateurs et la droite souverainiste. Pour le contrer, le parti centre ses attaques sur le libéralisme de l'ex-Premier ministre, et affiche son hostilité au capitalisme bancaire. Le FN a fait des oubliés de la mondialisation son coeur de cible.

RTSinfo: Sur quelle base repose ce choix défendu par Marine Le Pen, mais aussi par son vice-président Florian Philippot, d'avoir une politique "ni de droite ni de gauche"?

Grégoire Kauffmann: Il faut bien voir que cette idée "ni de gauche ni de droite" a été théorisée en 1995, non pas par Marine Le Pen, mais par Samuel Maréchal, qui n'est autre que le père de Marion Maréchal-Le Pen. Il s'inspirait alors d'une vieille tradition invoquée par les mouvements fascistes des années 1930.

Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot incarnent deux lignes incompatibles qui soulignent l'incohérence du FN

Grégoire Kauffmann, historien

Il s'agissait à l'époque de rechercher une troisième voie, entre le capitalisme et le communisme. Aujourd'hui, ce dernier n'est plus une menace. Mais Marine Le Pen a repris cette idée en la mettant au service  de l'anti-libéralisme.

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RTSinfo: Bien qu'elle ait été inspirée par son père, Marion Maréchal-Le Pen ne cache pas son désaccord avec la stratégie actuelle du parti. Quelle force d'influence a-t-elle?

Grégoire Kauffmann: Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot incarnent deux lignes incompatibles en friction et qui soulignent l'incohérence de ce parti qui rassemble des catholiques conservateurs dans le Sud et vise plutôt un électorat de laissés-pour-compte dans les bassins miniers du nord de la France. A cela s'ajoutent des incompatibilités personnelles entre eux deux qui semblent insurmontables.

Depuis les dernières élections régionales, on entend la grogne monter au sein du parti et, selon les résultats de la présidentielle et des législatives, le ras-le-bol pourrait bien se cristalliser autour de la personnalité de Florian Philippot. En tant qu'ancien chevénementiste, il passe mal auprès des anciens du parti, à commencer par Jean-Marie Le Pen, pour lequel il est un "énarque socialiste.

Marion Maréchal-Le Pen pourrait bien en sortir gagnante, elle qui estime que le plein de voix a été fait à gauche et que la seule façon de gagner est de se constituer comme un nouveau parti de droite, en créant des alliances avec la droite. ".

Propos recueillis par Juliette Galeazzi

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"Marine Le Pen, la dernière marche", un doc sur le FN depuis 2011

A la veille de la présidentielle française, le documentaire "Marine Le Pen, la dernière marche", réalisé par Emmanuel Blanchard, propose de nouvelles clés de compréhension sur les cinq ans de Marine Le Pen à la tête du Front National. Ecrit avec Grégoire Kauffmann, le film de 90 minutes dresse un portrait sans concession de celle que personne ne voyait accéder au pouvoir il y a encore quelques années.

Ce parti dont la force d'attraction repose sur la dénonciation du "système" aspire néanmoins à l'intégrer. Cette contradiction révèle les failles du "nouveau FN", explique le documentaire à voir dimanche à 20h45 sur RTS Deux et en replay sur notre site par la suite.