Persuadé que son pays, dont il s'était autoproclamé roi des rois, méritait sa place au rang des grandes nations, Mohammad Reza Pahlavi s'est lancé en 1971 dans l'organisation d'un grand banquet en plein désert à l'occasion des 2500 ans de l'Empire perse, un événement raconté avec délice dans le documentaire danois "L'exubérant banquet du shah", diffusé dimanche sur RTS Deux (à revoir ci-dessus).
La fête, à laquelle les 600 personnes les plus puissantes de la planète ont été conviées, passe pour l'une des plus luxueuses de l'histoire: elle aurait coûté 200 millions de livres sterling, selon certaines estimations.
Trois jours de fastes et d'exubérance
Et de fait, pour ces trois jours fastes, le shah n'avait pas lésiné sur les moyens: des kilomètres de soie déroulés, 18 tonnes de nourriture servies, 2500 bouteilles de champagne débouchées...
Tout cela se passe sous la surveillance de 60'000 militaires chargés d'assurer la sécurité de cet événement historique ponctué de couacs cocasses comme cette tempête de sable qui survient "au plus mauvais moment".
Montée en puissance économique
Si, pour le réalisateur Hassan Amini, ces jours de démesure, symptomatiques du fossé qui sépare le roi mégalomane de ses sujets, provoqueront huit ans plus tard sa chute, Mohammad-Reza Djalili, spécialiste de l'Iran, est plus prudent.
"En 1971, l'Iran sortait de dix années de réformes qui avaient profondément transformé le pays avec notamment des réformes de la répartition des terres agricoles et l'instauration du droit de vote des femmes, ainsi que le lancement d'un programme d'alphabétisation de masse", précise cet Irano-Suisse, professeur honoraire à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève (IHEID).
Après une dizaine d'années de croissance, l'Iran montait en puissance d'un point de vue économique et régional
Ces transformations, qualifiées de "révolution blanche", avaient suscité l'ire des propriétaires terriens et du clergé, qui possédait lui-même d'importantes surfaces agricoles et s'opposait à toute émancipation féminine. Mais ces mesures contribuaient, surtout, à faire entrer un pays moyenâgeux, dont la moitié de la population vivait au-dessous du seuil de pauvreté, dans le XXe siècle.
Pétrole et parti unique en cause
"Si l'on peut regretter que la population ait été tenue à l'écart de ces festivités, il ne faut pas oublier qu'après une décennie de croissance sans inflation, l'Iran montait à ce moment-là aussi en puissance d'un point de vue économique et régional, à la suite du retrait des Britanniques de la région du golfe Persique en 1971", rappelle Mohammad-Reza Djalili.
Le banquet du shah n'a eu qu'un impact relatif en comparaison avec d'autres décisions qui ont joué un rôle bien plus fondamental dans le déclenchement de la révolution qui a suivi, sept ans plus tard, estime-t-il. Et de citer: la multiplication par quatre des prix du pétrole en 1974, et l'instauration pour la première fois en Iran d'un parti unique en 1975.
Conséquence des ces décisions, la classe moyenne voit son pouvoir d'achat réduit par la forte inflation provoquée par la flambée du cours du pétrole, de même que ses espoirs de changements institutionnels en direction d'une monarchie constitutionnelle.
Revirement américain
Sur le plan international, l'Iran paie également le prix de sa volonté de leadership sur les cours du pétrole. "A ce moment-là, les Etats-Unis ont changé leur fusil d'épaule et choisi de s'appuyer sur l'Arabie saoudite, plus conciliante", explique Mohammad-Reza Djalili.
"Le shah ne savait pas trop sur quel pied danser face aux Etats-Unis", confirme l'ancien réalisateur de la RTS Raymond Vouillamoz, qui l'a rencontré pour Temps Présent un an avant sa destitution.
Son obsession, c'était les communistes, pas les islamistes
"Son analyse sur le fait que l'Occident était en train de commettre une erreur historique en abandonnant l'Iran était - et reste - pertinente", ajoute le reporter qui dit se souvenir d'un "personnage très certainement déprimé pour qui tout était devoir".
A ses yeux, le souverain était toutefois nettement moins lucide sur ce qui se passait à l'intérieur de pays. "Son obsession, c'était les communistes, pas les islamistes", précise-t-il. Et pourtant, c'est bien les seconds qui mèneront et gagneront la révolution de 1978-79.
Juliette Galeazzi