La déclaration de ces quatre alertes aux famines au même moment est sans précédent au cours de ces dernières décennies. Il n'y a eu qu'une seule famine dans le monde depuis l'an 2000, en Somalie, où 260'000 personnes étaient décédées, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). Et si ce pays de la Corne de l'Afrique figure à nouveau sur la liste des Nations unies, c'est le seul dans lequel la famine s'explique par une sécheresse.
Dans les trois autres, à savoir le Soudan du Sud, le Nigeria et le Yémen, la famine est une conséquence de conflits, aussi décrits comme des crises alimentaires dues à l'homme.
Conflit enlisé au Soudan du Sud
La situation est particulièrement grave au Soudan du Sud. Près de 5 millions de personnes ont besoin d'une aide alimentaire, nutritionnelle et agricole d'urgence, ont déclaré lundi trois agences de l'ONU. Outre le PAM, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) ont tiré la sonnette d'alarme. Car déclaration formelle de famine signifie que des gens meurent déjà de faim...
Principaux comtés concernés, le Mayendit et le Leer, sont ravagés par une guerre civile qui se prolonge, poussant les gens à fuir leurs maisons et à se déplacer sans cesse, souvent sans leur bétail. De plus, sur les marchés, les rares denrées alimentaires sont vendues à des prix élevés et l'accès aux services de santé est extrêmement limité. Résultat: un enfant sur quatre ausculté par Médecins sans frontières dans ces zones souffre de malnutrition et un sur dix de malnutrition sévère.
Nous avons renforcé la prise en charge de la malnutrition dans le centre du pays ces dernières semaines
L'action de l'ONG, qui utilise des cliniques mobiles, est toutefois limitée dans ces zones de conflit où la menace de la violence n'épargne personne.
"Selon des estimations, plus d'un million d'enfants souffrent actuellement de malnutrition aiguë au Soudan du Sud et plus d'un quart de million souffrent déjà de malnutrition sévère. Si nous ne parvenons pas à venir en aide de manière urgente à ces enfants, nombre d'entre eux mourront", a déclaré lundi Jeremy Hopkins, représentant par interim de l'Unicef au Soudan du Sud, cité dans un communiqué.
"Le problème aujourd'hui c'est que la guerre civile dure depuis trois ans. A force de fuir sans cesse, les populations arrivent au bout de leurs réserves, des plans de survie qu'ils ont jusqu'ici réussi à mettre en place", observe Amandine Colin, chez MSF. "La situation ne pourra se résoudre que lorsqu'on permettra aux gens de vivre une vie normale, de pouvoir rester quelque part et de planter quelque chose", ajoute-t-elle.
Des "terroristes" mis en cause au Nigeria
La situation est similaire au Nigeria, mis à feu et à sang par la secte islamique Boko Haram. Le directeur régional du Programme alimentaire mondial (PAM) en Afrique de l'Ouest s'est inquiété vendredi que des "terroristes" risquent de faire basculer le nord-est du Nigeria dans la famine.
La présence dans la région des djihadistes de Boko Haram a empêché les agriculteurs de semer pour les prochaines récoltes ou d'avoir accès au lac Tchad pour abreuver leurs troupeaux. Les pêcheurs sont également privés d'accès au lac que se partagent quatre pays, Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad. Bien que chassés des vastes territoires qu'il contrôlait en 2014, le groupe radical continue de mener des attaques qui perturbent fortement des activités économiques vitales pour la région, de même que les contre-offensives militaires.
Au total, 10,7 millions de personnes, soit deux habitants sur trois de la région, ont besoin d'une aide humanitaire, selon les Nations unies. Parmi celles-ci figurent un demi-million d'enfants de moins de cinq ans, qui souffrent des formes les plus graves de la malnutrition. L'aide la plus urgente concerne 2,8 millions d'habitants à ravitailler d'ici juillet, selon le PAM.
Aide humanitaire entravée au Yémen
Alors que la guerre au Yémen entrera le mois prochain dans sa troisième année, 7 millions de personnes ont besoin d'une assistance alimentaire d'urgence, dont 460'000 enfants, selon les chiffres des Nations unies.
Or, dans ce pays dépendant à 90% des importations, la coalition militaire dirigée par l'Arabie saoudite a répondu de la manière la plus cynique qui soit, en bombardant toujours plus intensivement le port d'Hodeida, sur la mer Rouge, une zone d'approvisionnement stratégique, rappelle vendredi le site de RFI, alors que selon Le Monde "la bataille des ports menace le Yémen de famine".
Malgré les appels du secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, pour que les Nations unies aient un accès libre et sans entrave à tous les ports par lesquels transitent son aide humanitaire, afin d'éviter la mort de centaines de milliers de civils, aucune des parties n'a manifesté d'intérêt pour des pourparlers de paix. Et ici comme ailleurs, empêcher la catastrophe nécessitera de débloquer près de 2 milliards de francs.
Juliette Galeazzi avec agences
La Suisse mobilise 15 millions de francs
La Suisse se mobilise pour venir en aide aux populations souffrant de la famine, au Soudan du Sud notamment. Cet engagement est une réponse directe à l’appel lancé par le secrétaire général de l'ONU, qui a besoin de 4,4 milliards de dollars de financement d'urgence.
L'"aide humanitaire de la Direction pour le développement et la coopération (DDC) va mettre à disposition 15 millions de francs du fonds pour les urgences humanitaires. Cet argent servira à aider plusieurs pays affectés par la famine en ce début d'année, le Soudan du Sud, mais aussi la Somalie, le Nigéria et le Yémen, d'après un communiqué du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) vendredi.
"La Suisse appelle de ses vœux une mobilisation rapide de l"aide. Quelque 100'000 personnes sont déjà en situation de famine au Soudan du Sud et d"autres pays de la région sont également menacés", a relevé Didier Burkhalter, chef du DFAE.