"Il y a des raisons de considérer que l'Australie commet des crimes contre l'humanité, par le caractère systématique et arbitraire des détentions, contraire au droit international, et le non-respect du principe de non-refoulement des réfugiés qui veut qu'on ne peut pas renvoyer quelqu'un vers un lieu non sûr", indique à la RTS le professeur Vincent Chetail, qui dirige le Centre des migrations globales à Genève.
Avec un groupe de spécialistes du droit international, il participe à une nouvelle tentative de saisine de la Cour pénale international (CPI) sur ce dossier. Sur le banc des accusés, la politique migratoire de l'Australie qui délocalise ses migrants illégaux vers Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et vers l'Etat insulaire de Nauru, en plein Pacifique.
"L'Australie est très régulièrement condamnée pour sa politique, mais elle s'en sort en faisant valoir que les décisions des organes de contrôle de l'ONU ne sont pas juridiquement contraignantes", précise Vincent Chetail. "Dans le contexte actuel, face à la politique de Donald Trump et à la vague populiste en Europe, il pourrait y avoir un enjeu d'opportunité pour la CPI, qui est accusée de s'occuper uniquement des pays africains, si elle choisit de donner suite à cette saisine", estime-t-il.
Prisons à ciel ouvert
Au-delà des aspects juridiques, il en va du sort des quelque 2000 personnes aujourd'hui coincées dans des camps offshore, souvent dans des conditions déplorables et pour une longue durée.
Chaleur étouffante, toilettes insalubres, négligences et troubles psychiatriques font partie de leur quotidien dans ces prisons à ciel ouvert, comme en témoigne le documentaire "Australie - défense d'entrer" d'Eva Orner, diffusé lundi sur RTS Deux (à revoir ci-dessous pendant 30 jours):
"Le film d'Eva Orner n'est que le triste reflet de la réalité. De nombreuses ONG et divers parlementaires australiens ont documenté les mauvais traitements et les humiliations subis par les demandeurs d'asile, notamment dans les centres de détention", commente le professeur Vincent Chetail. "Ces gens sont depuis une décennie les otages des élections en Australie", souligne-t-il. "Ces politiques avaient été mises en place par la droite dure, et elles ont été maintenues par les gouvernements suivants".
Originaires du Sri Lanka, d'Iran, d'Irak, de Syrie, de Somalie ou d'Afghanistan, ils font les frais de la politique de tolérance zéro rétablie en 2013 par le gouvernement australien dans le but affiché de stopper le business des passeurs clandestins et de mettre fin aux morts par noyade (lire encadré).
Promesses en suspens
Selon les chiffres du Département australien de l'immigration, 770 migrants illégaux ont été transférés vers Manus et 1255 vers Nauru entre le 18 septembre 2013 et le 28 février 2017. Parmi eux, 567 ont choisi de retourner dans leur pays d'origine et certains ont été accueillis par des pays tiers.
Fin novembre, Amnesty International recensait toutefois encore 383 personnes (44 enfants, 49 femmes et 290 hommes) dans un centre de traitement établi à Nauru où elles subissaient des actes de négligence, des mauvais traitements et d'autres atteintes à leurs droits.
A Manus, en dépit de l'annonce faite en août par Canberra, qui promettait la fermeture de ses camps offshore, rien n'a changé. En avril dernier, la Cour suprême de Papouasie-Nouvelle-Guinée avait pourtant jugé illégale la détention de quelque 900 hommes retenus dans les centres administrés par l'Australie et exigé leur fermeture immédiate.
Juliette Galeazzi
De "solution Pacifique" à "Frontières souveraines"
La politique migratoire stricte de l'Australie date de 2001. Connue sous le nom de "solution Pacifique", elle avait été mise en place à la suite d'un naufrage au large de l'île australienne de Christmas. Un navire cargo norvégien qui avait porté secours à un bateau de pêche indonésien en détresse, transportant 433 migrants, s'était alors vu refuser le droit d'accoster en Australie.
Pour régler la situation, Canberra avait alors pris contact avec plusieurs Etats du Pacifique pour qu'ils acceptent d'accueillir les naufragés en échange de quoi l'Australie finançait les coûts de construction des camps et de prise en charge des réfugiés. C'est ainsi que naquirent les camps offshore de Nauru et Manus, fermés en 2008 à l'arrivée des travaillistes au pouvoir en Australie. Ironie de l'histoire, c'est ce même parti qui les rouvrira à compter du 19 juillet 2013 dans le cadre de l'opération "Frontières souveraines".