L'idée paraît farfelue dans un parti républicain pour qui l'assurance maladie étatique est l'équivalent de la Bête de l'apocalypse. Mais le professeur Frank Buckley, citoyen canadien et américain à l'origine du projet, n'a rien d'un "gauchiste". Prof de droit à l'université George Mason, en Virginie, il a écrit plusieurs discours de l'équipe Trump et publié plusieurs ouvrages respectés dans les milieux conservateurs.
Interrogé par l'émission Tout un monde diffusée mercredi sur RTS La Première, il confirme: "Je suis non seulement un vrai républicain, mais je pense aussi qu'avec un tel système, notre parti peut devenir le parti 'permanent' des Etats-Unis".
Les démocrates, traditionnels défenseurs d'une assurance maladie, ont échoué avec l'Obamacare, la loi promulguée en mars 2010 sous l'impulsion de Barack Obama, estime le professeur. L'ancien président avait dû en effet accorder de nombreuse concessions.
"Si nous autres les républicains pouvons nous emparer de cette préoccupation, nous laisserons aux démocrates d'autres questions, comme les toilettes transgenres", avance Frank Buckley de manière provocatrice, faisant référence à la "guerre des toilettes"
"Trump admire le système canadien"
Frank Buckley reconnaît que pour une certaine frange des républicains, l'idée même d'une assurance maladie universelle est un sacrilège. Mais pour celui qui ne se définit pas comme un libertarien, ni de l'extrême droite de son parti, sa proposition a de bonnes chances d'obtenir des soutiens. Selon lui, Jared Kushner, beau-fils et conseiller du président Donald Trump, saluerait l'idée.
Et le professeur d'ajouter que Donald Trump lui-même aurait affirmé il y a quelques années qu'il admirait le système canadien. Ce dernier est un système public, qui compte 13 régimes d'assurances maladie provinciaux et territoriaux. "Je pense que c'est quelque chose qui correspond à l'aspect nationaliste de Donald Trump", juge le professeur.
Frank Buckley rêve d'un système de santé tel que l'ex-président Barack Obama a tenté de mettre en place, sans y parvenir. "L'Obamacare est un naufrage. Mais si on le laisse mourir comme ça, ce serait très injuste envers les Américains qui demandent une assurance maladie."Combattue depuis son introduction, l'Obamacare essuie les plus vives critiques d'une frange de la population, qui lui reproche notamment son aspect obligatoire et l'escalade des coûts des primes d'assurance.
"Diviser le Parti républicain s'il le faut"
Pour remplacer l'Obamacare, Paul Ryan, président de la Chambre des représentants et chef de file des républicains, avait émis une proposition d'abrogation de la loi, surnommée Ryancare. Celle-ci voulait notamment supprimer l'obligation universelle de s'assurer, geler l'adhésion au programme Medicaid destiné aux plus pauvres, ainsi que les subventions pour les revenus modestes. Elle prônait aussi l'annulation des amendes imposées aux entreprises qui n'offrent pas d'assurance maladie à leur salariés. Son projet a échoué au Congrès.
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Frank Buckley a saisi cette occasion pour tenter de travailler avec Donald Trump sur un système de soins universel de type canadien. Son projet met en lumière une fracture dans les cercles conservateurs, entre ceux qui attribuent la victoire de Donald Trump à des facteurs économiques, comme les inégalités de revenus, et ceux qui l'attribuent à des facteurs culturels.
Or, pour le professeur républicain, son parti "doit admettre que la mobilité sociale est la préoccupation déterminante de notre époque". Dans un article qu'il a publié récemment dans le New York Post, Frank Buckley se dit même prêt à "diviser le Parti républicain s'il le faut".
A l'autre bout de l'échiquier politique, le démocrate Bernie Sanders, ancien rival de Hillary Clinton, relance en ce moment l'idée d'un système d'assurance maladie publique. Mais Frank Buckley n'y voit aucune contradiction. "Bernie Sanders et Donald Trump sont liés d’une manière très intéressante. Ils étaient tous les deux contre la corruption des Etats-Unis et l'ingérence des lobbies. Ils étaient tous les deux les candidats de l'Américain ordinaire. Cela arrive parfois, qu'il y ait deux extrêmes qui se touchent."
Philippe Revaz / Feriel Mestiri