Les Turcs auront le choix du vote. "Nous ne sommes pas encore dans une dictature complète", assure le politologue et économiste turc Ahmet Insel, invité du Journal du matin sur La Première. Voilà pour la bonne nouvelle.
Pour la moins bonne, si la réforme constitutionnelle est adoptée par le peuple, ce serait la fin du régime parlementaire en Turquie. La totalité du pouvoir exécutif passerait des mains du Premier ministre à celles du président, explique l'analyste.
Les ministres eux ne seront plus issus du Parlement, mais seront nommés directement par le président. Ce conseil gouvernemental - "ou plutôt le conseil de la présidence", précise le sociologue - n'aura plus besoin de demander le vote de confiance du Parlement. "Il y aura donc une séparation très nette entre le Parlement et l'exécutif".
Chef du législatif
Le Parlement ne servirait donc plus qu'à faire des lois. Or, et c'est là tout l'enjeu du vote de dimanche, avec le changement constitutionnel, le président pourrait devenir membre d'un parti politique. "Recep Tayyip Erdogan ne se contentera pas d'être un membre lambda de son parti. Il veut devenir le chef de son parti" tout en étant chef de l'Etat, anticipe le politologue.
Par conséquent, le président serait non seulement l'unique chef de l'exécutif, avec un gouvernement qui ne rend de compte qu'à lui, mais en tant que chef de parti, il pourrait aussi devenir le chef de la majorité parlementaire. Et donc contrôler tous le travail législatif.
Pour ce qui est du pouvoir judiciaire, la réforme permet au président d'intervenir directement dans le fonctionnement de la justice. Lui et le Parlement choisiraient ensemble quatre membres du Haut Conseil des juges et procureurs, chargés de nommer et de destituer le personnel du système judiciaire.
Elu jusqu'en 2029?
Si le nombre et la durée des mandats présidentiels ne changent pas, à savoir deux mandats de cinq ans au maximum, la nouvelle Constitution remettra les compteurs à zéro en cas de oui dans les urnes. Ainsi, Recep Tayyip Erdogan peut potentiellement être élu en 2019 ainsi qu'en 2024 pour rester à la tête du pays jusqu'en 2029.
Il faut reconnaître le courage de la société civile qui résiste fortement à la pression
Pour Ahmet Insel, qui oeuvre également comme journaliste et éditeur à Paris, le oui n'est "heureusement" pas encore gagné. Malgré une "inégalité extraordinaire" en faveur de la propagande pro-Erdogan dans la campagne, qui remplit 80% de l'espace médiatique, les sondages sont actuellement au coude-à-coude. "Il faut reconnaître le courage de la société civile qui résiste fortement à la pression", insiste le politologue.
Qui dit oui, qui dit non
L'auteur du livre "La Nouvelle Turquie d'Erdogan" décrit par ailleurs trois zones géographiques qui émergent de ce référendum: "Le non kurde dans les régions kurdes sera massif, tout comme celui des laïcs modernistes sur la côte méditerranéenne et la côte égéenne jusqu'à Istanbul. Et un oui massif se dessine en Anatolie centrale et sur la mer Noire".
Le politologue décrit aussi une certaine réticence parmi les électeurs traditionnels du président turc, surtout chez l'extrême droite nationaliste. "Une partie de ces électeurs ne comprend pas pourquoi il faut changer la Constitution alors que Tayyip Erdogan a déjà tous les pouvoirs. Si le non l'emporte, ce sera aussi par des défaillances dans son propre camp", estime Ahmet Insel.
Une partie de ces électeurs ne comprend pas pourquoi il faut changer la constitution alors que Tayyip Erdogan a déjà tous les pouvoirs
Mais un refus du peuple ne signifierait pas pour autant qu'Erdogan quittera le pouvoir, comme l'avait fait le général de Gaulle en 1969. "Ce n'est pas son genre", dit le politologue. Il y aurait probablement une fêlure dans son discours de légitimité de volonté nationale, mais "nous ne savons pas comme il va réagir, il est totalement imprévisible de ce côté-là".
fme