"Dans certains pays comme les Philippines, l'argent envoyé par les domestiques à leur famille représente 21,5 milliards d'euros soit 10% du PIB", rappelle la réalisatrice Alexandra Jousset qui signe le documentaire "Petites bonnes asiatiques, invisibles esclaves modernes" diffusé lundi par la RTS. "Du coup, l'Etat lui-même pousse ces jeunes femmes à partir", dénonce-t-elle.
Dans le monde, 42 millions de personnes - dont une majorité de femmes - sont employées comme domestiques. La moitié viennent des Philippines.
Des cours obligatoires
Et les rouages du système sont bien rodés, révèle le film qui laisse bouche bée dès les premières minutes. Dans ce qui ressemble à une banale salle de classe, les candidates à l'expatriation apprennent à devenir "la petite bonne parfaite".
"Peu importe le travail, avec ou sans rémunération, même si vous ne pouvez pas le faire, vous devez le faire", martèle l'enseignante employée par l'Etat pour dispenser ces deux semaines de formation obligatoire. Outre la soumission à leur patron, les futures employées de maison apprennent à laver un malade ou à se servir d'un aspirateur.
"L'avantage est que cela permet de préparer ces femmes, souvent issues de familles pauvres, pour que cela se passe mieux une fois qu'elles seront dans leur pays de destination. Mais c'est aussi une façon d'organiser ce trafic", observe Alexandra Jousset.
Une vie recluse sans véritable cadre légal
Envoyées en Chine, au Moyen-Orient ou en Amérique du Sud, les domestiques vivent souvent recluses chez leur employeur et livrées à elles-mêmes. Pire, dans plusieurs pays, elles risquent l'illégalité en cas de rupture de leur contrat de travail, leur visa étant corrélé à leur emploi.
Je me suis enfuie parce que mon employeur m'a mordue aux mains et au visage
Sans sombrer dans le voyeurisme outrancier, le documentaire d'Alexandra Jousset révèle le calvaire de plusieurs femmes dont Loretta, 36 ans, à Hong Kong. Réfugiée à Bethune House, le seul endroit de la cité chinoise où elles peuvent être hébergée en sécurité, elle porte encore les marques des sévices subis un mois après son arrivée.
Il en va de même pour Sri Munaurati, une Indonésienne de 23 ans à qui l'on a donné de la nourriture avariée pendant plusieurs mois, en plus de nombreux coups reçus à la tête.
Cadre légal insuffisant
"A Hong Kong, au moins, il y a un cadre protecteur, même s'il n'est pas appliqué il existe", relève la réalisatrice qui évoque notamment l'existence d'un salaire minimum dans cette cité où un foyer sur trois recourt à un employé de maison, souvent pour pallier les manquements du gouvernement hongkongais: les infrastructures manquent pour les enfants et les personnes âgées.
A l'échelle internationale, le travail domestique est soumis à la Convention 189 du Bureau international du travail (BIT). "Le problème est que tous les pays où il y a des abus, comme la Chine ou l'Arabie saoudite, ne l'ont pas ratifiée", explique Alexandra Jousset. Difficile donc d'agir face à ces drames individuels.
"Les grandes ONG défendent la cause de ces personnes, mais elles ne se préoccupent pas des cas particuliers. Elles n'ont pas les moyens d'intervenir pour sortir chaque femme du système", déplore la réalisatrice qui n'est pas seule à faire ce constat.
Son film qui voulait dénoncer le sort de ces femmes condamnée à une forme d'esclavage moderne tient son pari. Il révèle même la réalité brutale d'un système que beaucoup d'acteurs trouvent tout à fait normal.
Juliette Galeazzi, avec Eric Guevara-Frey