A quatre jours du 2e tour ce débat, véhément de bout en bout, a mis en lumière les différences fondamentales de programmes et de personnalités entre les deux candidats. "M. Macron et moi-même avons deux visions radicalement différentes, soit la continuité de la politique de François Hollande pour lui, soit le changement que je représente", a lancé Marine Le Pen à peine arrivée au studio.
"J'attends un moment de clarification", a pour sa part déclaré son adversaire peu après, décidé à "démontrer que le projet de Marine Le Pen n'est pas de nature à répondre aux enjeux du pays".
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- Attaques frontales dès les premières minutes
La joute a démarré sur les chapeaux de roues dès l'avant-propos. Marine Le Pen, qui ne s'est presque jamais départie de son sourire sarcastique, s'est épargné les formules de courtoisie pour lâcher une salve sur son adversaire. "M. Macron est le choix de la mondialisation sauvage, de l’ubérisation, de la précarité (...), du dépeçage de la France, du communautarisme", a-t-elle asséné en ouverture.
Ce à quoi, un Emmanuel Macron stoïque lui a rétorqué qu'elle n'était pas "la candidate de l'esprit de finesse, de la volonté d’un débat démocratique", avant de la qualifier d'"héritière": "d’un nom, d’un parti politique, d’un système qui prospère sur la colère des Français".
Les attaques sur l'"héritage" politique de l'un et l'autre sont revenues à plusieurs reprises durant ce débat qui a parfois tourné en boucle, Marine Le Pen n'hésitant pas à rebaptiser son opposant "Hollande Junior", et Emmanuel Macron rappelant systématiquement que la candidate frontiste était avant tout "la fille de son père".
Un moment a également fait beaucoup réagir sur les réseaux sociaux, lorsque Marine Le Pen s'est lancée dans une tirade moqueuse sur le discours du 1er mai de son rival. "Ils sont là, ils sont dans les campagnes, dans les villes, sur les réseaux sociaux", a lancé Marine Le Pen d'une voix chevrotante, gestuelle étrange à l'appui. Elle faisait référence au discours du 1er mai d'Emmanuel Macron, dans lequel il évoquait "les vrais ennenmis", les "agents du désastre, l'extrême-droite française".
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- Le Pen reproche à Macron son bilan économique
Marine Le Pen n'a eu de cesse de reprocher au candidat d'En Marche! son bilan économique lorsqu'il était ministre de l'Economie de François Hollande, notamment la mise en oeuvre de la "précarisante" loi sur le Travail. La candidate du FN s'est appliquée à opposer les "PME qui créent de l'emploi" et les grands groupes industriels, rappelant notamment la situation des ouvriers de l'usine Whirlpool, menacés de délocalisation.
Vous êtes la France qui se soumet à la concurrence internationale déloyale
Emmanuel Macron l'a interrompue pour souligner qu'elle ne "proposait rien". "Votre stratégie, (...) c’est de dire beaucoup de mensonges et de dire ce qui ne va pas dans le pays." Il s'est également attaché à pointer les approximations et l'"impréparation" de sa concurrente, sur des dossiers qu'il a semblé mieux maîtriser. "Vous dites beaucoup de bêtises", a-t-il relevé à plusieurs reprises.
La candidate du FN a ainsi affirmé qu'Emmanuel Macron était ministre de l'Economie lors du rachat de l'entreprise de télécommunications SFR par Numéricable, ce que son rival a formellement démenti.
Emmanuel Macron s'est plusieurs fois posé comme le gardien des chiffres. Face à une Marine Le Pen promettant de baisser de 10% les trois premières tranches de l’impôt sur le revenu, il a ainsi critiqué: "vous ne financez pas ce que vous promettez".
- Deux visions antagonistes sur les questions de société
Marine Le Pen a accusé Emmanuel Macron d'être favorable à la gestation pour autrui (GPA). En réalité, Emmanuel Macron se dit pour la reconnaissance des enfants français nés de la GPA à l'étranger. "Je suis totalement contre la GPA, vous préférez laisser un enfant sans droit, c’est votre vision de l’humanité, pas la mienne", a-t-il réagi, précisant: "je suis contre le fait qu'un enfant qui n'a rien demandé à personne ne pâtisse de cela."
Si le régime de retraite est en grande difficulté, ce n’est pas de la faute des Français mais de votre faute, du système qui vous soutient, qui a mis en place un plan d’économie qui a entrainé le chômage de masse.
Les finalistes ont également abordé la question épineuse de l'âge de départ à la retraite. "Moi je propose 60 ans, s’ils ont 40 annuités. Je m’engage à ce que ce soit le cas d’ici la fin de mon quinquennat", a déclaré Marine Le Pen. Vous avez dit dès que vous étiez élue, dans les deux mois. Ca a changé", a pointé Emmanuel Macron. Le candidat d'En Marche a encore estimé que le départ à la retraite à 60 ans coûterait 30 milliards d'euros et serait "infinançable".
- Macron accusé de "complaisance" avec le terrorisme
Sur les questions de sécurité et de terrorisme, un de ses thèmes de prédilection, Marine Le Pen a semblé reprendre la main, reprochant en particulier à son concurrent "l'absence totale de proposition": "la lutte contre le terrorisme vous ne voulez pas la mener", a-t-elle lâché, avant de dérouler ses propres propositions, relatives notamment à la fermeture des frontières et à l'expulsion systématique des fichés S non français.
Emmanuel Macron a estimé que sa rivale avait construit son projet dans l'émotion et au gré des actualités. "C'est de l'irresponsabilité, ce que veulent ceux qui nous assaillent, c'est la panique, que nous changions chaque jour de proposition et de programme au gré des circonstances, c'est que nous nous divisions", a-t-il réagi.
Le plus grand souhait des djihadistes c’est que Marine Le Pen arrive au pouvoir en France, car ils cherchent la radicalisation et la guerre civile que vous portez dans le pays.
Le candidat d'En Marche! a mis en avant la nécessité d'une meilleure coopération au sein de l'Union européenne pour mieux contrôler les terroristes potentiels.
En termes de politique pénale, la candidate frontiste a déploré un "laxisme" et prôné la "tolérance zéro". Et de faire une exception pour les délits routiers: "les délits routiers touchent en règle générale les braves et honnêtes citoyens qui eux sont tondus, qu’on fait payer eux alors que les voyous qui vivent dans zones de non droit personne ne va chercher les amendes auxquelles ils sont condamnés", a estimé Marine Le Pen.
Discussion véhémente sur l'euro
S'il est un thème sur lequel les antagonismes entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont les plus flagrants, c'est bien l'Europe. Interrogés sur ce sujet, les candidats ont une fois encore exposés leurs divergences: retour à la souveraineté nationale pour Marine Le Pen, développement de la coopération européenne pour Emmanuel Macron.
La candidate du FN a peiné à éclaircir ses intentions concrètes sur la question d'une sortie de l'euro et d'un retour à une monnaie nationale qui cohabiterait avec l'euro. "L'euro, c'est la monnaie des banquiers. Ce n'est pas la monnaie du peuple", a-t-elle fait valoir.
Une grande entreprise ne pourra pas payer en euro d’un côté, et en franc de l’autre. C’est le grand n’importe quoi du projet de Mme Le Pen.
"Les Français auront une monnaie nationale, et il y en aura une autre qui servira aux banques centrales et aux grandes entreprises afin de commercer entre elles. Ça a existé juste avant l'euro", lui a répondu la candidate frontiste. "Ah bon? (...) Donc les grandes entreprises payaient en euros avant?", a insisté Emmanuel Macron, avec l'air de ne pas comprendre.
Alors que la présidente du FN l'accusait d'agiter "le projet peur" comme pour le Brexit", le centriste a répliqué: "Qui joue avec les peurs de nos concitoyens? C'est vous (...) La grande prêtresse de la peur. Elle est en face de moi".
Désaccord net sur les relations avec Moscou
Invités à débattre de leurs projets en termes de relations internationales, Emmanuel Macron a dit souhaiter "une France forte qui soit crédible" et "qui sache construire la paix". En ce qui concerne les relations avec la Russie, le candidat d'En Marche! a souligné "qu'il ne [serait] jamais soumis au diktat de Poutine, c'est ma différence avec le projet de Marine Le Pen qui est soumise à Poutine : soumission financière de son parti et à l’égard des valeurs qu’il porte qui ne sont pas les nôtres".
Marine Le Pen a répliqué que, pour elle, la France devrait "être à équidistance de la Russie et des Etats-Unis": "nous n’avons aucune raison de mener une guerre froide avec la Russie, nous avons toutes les raisons d’engager une relation diplomatique et commerciale, et la Russie n’a pas exprimé d’hostilité à l’égard de la France."
"Il est évident que si vous étiez élue, le monde ne nous regarderait pas d’une bonne manière. L'image que vous donnez de la France n'est pas belle", lui a encore jeté Emmanuel Macron.
Marine Le Pen a de son côté plusieurs fois accusé son rival de "soumission à l'Allemagne". "De toute façon, la France sera dirigée dimanche par une femme. Ce sera ou moi ou Madame Merkel".
"Le parti des affaires, c'est le vôtre"
Emmanuel Macron a attaqué son adversaire sur les affaires judiciaires qui pèsent sur le Front national. "J’aurai la moitié de candidats nouveaux et je vais faire quelque chose qui va beaucoup vous embarrasser car aucun n’aura de casier judiciaire", "le parti des affaires, c'est le vôtre, le parti de ceux qui ne vont pas devant les juges, c'est le vôtre", a-t-il ironisé, face à une Marine Le Pen multipliant les insinuations sur le supposé manque d'indépendance de la justice française.
"Le parti des affaires, c’est le mien? J’espère qu’on n’apprendra rien dans les prochains jours ou semaines. Personne n’a compris les explications que vous aviez données sur votre patrimoine", a répondu Marine Le Pen, en référence à la déclaration de patrimoine de son opposant. -"Le fisc l’a compris. Le fisc n’a pas compris sur le vôtre, il a renvoyé au juge", a conclu Emmanuel Macron.
Marine Le Pen décline sa "carte blanche" de conclusion
Les deux candidats disposaient d'une "carte blanche" pour développer un thème de leur choix en guise de conclusion du débat. Emmanuel Macron a évoqué les personnes en situation de handicap, dont il a affirmé vouloir faire une "priorité de son quinquennat".
Son adversaire, multipliant les invectives la fin du débat approchant, a esquivé l'exercice. "Je n'ai pas de thème choisi, c’est une philosophie générale", a-t-elle déclaré, avant de déclencher une nouvelle et ultime passe d'armes avec Emmanuel Macron. "La France que vous défendez n’est pas la France, c’est une salle de marché, c’est la guerre de tous contre tous (...). Ce n’est pas la vision qui est la mienne", lui a-t-elle lancé.
Des attaques qui ont inspiré au candidat d'En Marche! sa tirade conclusive. "Ce qu’on vient de vivre en dit long sur ce que vous êtes. On vous demande une carte blanche et vous salissez l’adversaire, vous proférez des mensonges comme depuis le début de ce débat. Le pays vous importe peu, vous n’avez pas de projet pour lui", a-t-il achevé.
Cécile Rais, Pauline Turuban
Macron jugé le plus convaincant par 63% des Français
Emmanuel Macron a été jugé le plus convaincant par 63% des Français lors du débat, contre 34% pour son adversaire Marine Le Pen, selon un sondage Elabe pour BFM TV diffusé mercredi. A la question de savoir qui avait le meilleur projet, les scores sont semblables (64%-33%). Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) sont 66% à avoir trouvé Emmanuel Macron le plus convaincant, 30% estimant que Marine Le Pen l'avait été. Parallèlement, 58% des électeurs de François Fillon (Les Républicains) ont jugé Emmanuel Macron le plus convaincant, 38% estimant que Marine Le Pen l'avait été.
Le sondage a été réalisé auprès de 1314 téléspectateurs, issu d'un échantillon national de 3956 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.