"Le premier tour des élections législatives est (...) marqué par le recul sans précédent de la gauche dans son ensemble et notamment du Parti socialiste". Cette déclaration du Premier secrétaire du PS français Jean-Christophe Cambadélis ferait presque figure d'euphémisme tant l'échec est cuisant.
Henri Rey, directeur de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris (CEVIPOF), confirme: "C'est une défaite historique, du jamais vu depuis le Congrès d'Epinay en 1971" (considéré comme l'acte fondateur de la gauche française 'nouvelle génération', ndlr).
Dix fois moins de sièges qu'en 2012
Le Parti socialiste n'a obtenu que 7,44% des voix au premier tour des élections législatives dimanche, ce qui en fait la deuxième force de gauche derrière La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon (LFI, 11%). Ce résultat est très éloigné des 29,35% décrochés par le PS aux législatives de 2012.
Les projections prédisent à l'union de la gauche entre 20 et 30 sièges - sur le 577 à pourvoir à L'assemblée nationale - soit environ dix fois moins que les 280 députés de 2012. Beaucoup moins aussi que les 57 députés socialistes qui avaient été élus en 1993, année connue jusqu'alors pour être la plus noire dans l’histoire récente de la formation.
Alors que 416 socialistes étaient parvenus à se qualifier pour le second tour en 2012, ils ne sont que 65 en 2017, soit six fois moins.
Le bilan est encore plus cruel si l'on se penche sur les formations arrivées en tête dans chaque circonscription: le PS n'est premier que dans 12 circonscriptions, 26 si l'on prend aussi en compte les écologistes, les divers gauche et le Parti radical de gauche (PRG). La République en marche (LREM) et le MoDem raflent clairement la mise et se placent en tête dans 448 circonscriptions.
nb circonscription par parti 2017 et 2012
Plusieurs ténors éliminés
Illustration de la débâcle, de nombreux ténors du Parti socialiste ont été éliminés dès le premier tour, à commencer par le Premier secrétaire du parti, Jean-Christophe Cambadélis, qui subit une "défaite humiliante", selon les termes d'Henri Rey du CEVIPOF.
Le candidat malheureux à la présidentielle Benoît Hamon, plusieurs ex-ministres comme Matthias Fekl, Christian Eckert, Aurélie Filippetti, et les alliées écologistes Cécile Duflot et Emmanuelle Cosse, ont également été sortis d'emblée.
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Si elle est parvenue à se qualifier pour le second tour, l'ancienne ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem est néanmoins en ballottage très défavorable.
Même certaines figures très bien implantées localement, parfois élues depuis plusieurs décennies, n'ont pas pu éviter la défaite: c'est par exemple le cas de Patrick Mennucci à Marseille, d'Elisabeth Guigou en Seine-Saint-Denis, de Jean Glavany dans les Hautes-Pyrénées ou encore de Gérard Bapt en Haute-Garonne. Ce dernier avait été élu député pour la première fois en 1978.
Plusieurs bastions de la gauche s'effondrent
Dans toute la France, des circonscriptions traditionnellement acquises à la gauche lui ont cette fois échappé. Le PS est ainsi effacé du Nord et du Pas-de-Calais où il avait respectivement 10 et 8 députés, de la Haute-Garonne où il en comptait 9, des Bouches-du-Rhône où il disposait de 7 élus.
"Le label socialiste est un contrat de perte assurée. Ceux qui s'en sortent sont soit ceux qui n'ont pas eu de candidat LREM face à eux, soit ceux qui ont clairement montré leur allégeance à LREM", estime Henri Rey. C'est par exemple le cas de Stéphane Le Foll dans la Sarthe, de Marisol Touraine en Indre-et-Loire ou de l'ancien Premier ministre Manuel Valls - qui n'appartient plus au PS - dans l'Essonne.
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Pauline Turuban
Le Parti socialiste est-il mort?
Le chercheur du CEVIPOF Henri Rey estime que "toutes les conditions étaient réunies" pour aboutir à cet "effondrement spectaculaire" du PS. Pour le spécialiste, le parti paie le prix des divisions entre son aile gauche et son aile droite - incarnée par Manuel Valls qui a fait campagne pour la majorité présidentielle - et de son "divorce avec les classes populaires".
Le parti pâtit aussi bien sûr de l'attraction forte qu'opère LREM sur beaucoup de socialistes, il est concurrencé sur sa gauche par La France Insoumise, et subit la déception de l'électorat à l'égard du quinquennat de François Hollande.
"Le PS doit se différencier du centre-gauche"
Le Parti socialiste est-il pour autant "mort", comme l'a estimé dimanche Jean-Marie Le Guen, ancien secrétaire d'Etat de François Hollande? Henri Rey tempère: la formation est dans un état de décomposition très avancé, mais elle a déjà connu d'autres moments critiques et s'en est sortie. "Il s'agit d'un courant ancré dans la tradition politique française et la question est désormais de savoir quelles seraient les voies de sa recomposition".
Pour subsister dans le paysage politique français, le PS devrait se recentrer sur les valeurs de la gauche, avance l'expert. "Le problème est de savoir s'il peut regrouper des forces autour d'une proposition qui le différencie du centre-gauche. Pendant longtemps, le PS a vu son salut dans son orientation sociale-libérale, or il n'a pas d'avenir s'il reste trop proche de LREM."
La reconstruction s'annonce quoi qu'il arrive difficile pour un parti qui a perdu l'essentiel de ses forces. Mais elle dépendra aussi de l'action du gouvernement d'Emmanuel Macron. "Ceux qui sont le plus en danger sont ceux qui ont tout gagné", pointe Henri Rey. "Tous les pouvoirs déçoivent et toutes les élections les sanctionnent".