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La couverture des attentats dans les médias est-elle devenue "hystérique"?

Les fans d'Ariana Grande ont répondu à un appel diffusé sur le réseau Instagram. [Keystone - ENNIO LEANZA]
Quelle communication pour les attentats terroristes? Interviews d'Alan West et de Céline Pigalle / Tout un monde / 11 min. / le 15 juin 2017
Pour l'ex-ministre britannique Alan West, la couverture médiatique "hystérique" des attentats en Europe fait le jeu des terroristes. Céline Pigalle, directrice de la rédaction de BFM TV, défend le travail des chaînes d'information en continu.

A la suite de l'attentat qui a endeuillé le concert d'Ariana Grande à Manchester le 22 mai (22 morts), l'amiral Alan West a dénoncé l'"hystérie" des médias, qui ont couvert cet événement à grand renfort de témoignages effrayés de victimes.

Il aurait fallu faire "des comptes-rendus succincts expliquant qu'une atrocité a eu lieu", essayer de "clarifier les faits" puis proposer "une discussion sensée sur le contexte, les mesures à prendre, etc.", juge cet ancien ministre de la Sécurité et du Contre-terrorisme britannique.

La politique de Daech, c'est de tuer des innocents pour faire régner la terreur, semer le chaos et, finalement, bouleverser nos modes de vie

Alan West, ancien ministre de la Sécurité britannique

A l'opposé, "on avait l'impression que les télévisions se délectaient de cette couverture constante des attentats", dénonce Alan West dans l'émission Tout un monde de la RTS. Selon lui, cette "culture médiatique du 24 heures sur 24" fait le jeu des terroristes.

Le terrorisme, "pas une menace existentielle"

"La politique de Daech, c'est de tuer des innocents pour faire régner la terreur, semer le chaos et, finalement, bouleverser nos modes de vie", explique l'ancien militaire. Pour lui, il faut parler du terrorisme "mais sans en faire le moteur principal de la discussion", à l'instar de ce qui se faisait lors des attentats des indépendantistes irlandais de l'IRA.

La menace terroriste est un gros risque, mais elle ne doit pas s’imposer comme le centre de l’attention "tant qu'elle n’est pas existentielle pour nos nations". Or, selon lui, ce n'est pas le cas actuellement, les terroristes n'ayant pas accès à des bombes nucléaires ou des pathogènes très dangereux.

Et l'ancien ministre britannique de souligner que les accidents de la route et les accidents domestiques font chaque jour presque autant voire plus de victimes dans le Royaume-Uni que l'attentat de Borough Market le 3 juin à Londres (8 morts).

Une "part de vérité" dans ces critiques

Les mêmes critiques ont été entendues en France juste après l'attentat de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher à Paris en janvier 2015, rappelle Céline Pigalle, la directrice de la rédaction de BFM TV, incarnation francophone de cette information en continu dénoncée par Alan West.

"Les Britanniques font face aujourd'hui à la même vague que celle que nous avons connue, et ils ont la même réaction. Il y a donc dans tout cela certainement une part de vérité", admet-elle, précisant que c'est aussi et surtout "la charge symbolique, la puissance de l'attaque (qui) a généré cette couverture massive".

Si on ne disait rien, ça alimenterait aussi tous les fantasmes et toutes les angoisses.

Céline Pigalle, directrice de la rédaction de BFM TV

Les "faux-pas" et "maladresses" qui ont pu accompagner l'arrivée de ce "phénomène nouveau" ont toutefois conduit, en France, à une "adaptation nécessaire des pratiques" des médias, relève Céline Pigalle. "Mais il ne faut pas donner le sentiment non plus qu'on essaie de cacher quoi que ce soit".

"Si les médias traditionnels ne se saisissent pas de l'actualité en temps réel", il ne reste alors à que les réseaux sociaux, où pullulent selon elle "les rumeurs, les fausses informations, les mensonges". Par conséquent, "si on ne disait rien, ça alimenterait aussi les fantasmes et les angoisses", conclut Céline Pigalle.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Didier Kottelat

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