L'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte ont suspendu le 5 juin leurs relations avec le Qatar, qu'ils accusent de "soutien au terrorisme". Vendredi, les quatre pays ont transmis à Doha une liste de 13 conditions pour envisager une sortie de crise. La première: que le Qatar ferme Al-Jazeera.
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La chaîne de télévision est devenue un enjeu. Dans la foulée de la mise au ban du Qatar, Ryad a fermé les bureaux d'Al-Jazeera en Arabie saoudite. L'accès aux émissions a été bloqué aux Emirats arabes unis, au Bahreïn et en Egypte. Les autorités saoudiennes et émiraties ont même pris des mesures contre BeIn Sports, la chaîne sportive du groupe.
Un outil d'influence pour le Qatar?
Fondée en 1996 par le gouvernement qatari, Al-Jazeera dispose de près de 80 bureaux à travers le monde, diffuse dans plusieurs langues et jouit d'un important levier d'influence auprès des millions de téléspectateurs qu'elle touche. Mais au cours de sa vingtaine d'années d'existence, elle a eu le plus grand mal à se départir de sa réputation sulfureuse.
Le reproche qui lui est communément adressé est d'être le bras médiatique de Doha, un outil destiné à gagner de l'influence vis-à-vis de l'imposant voisin saoudien.
Les prises de position publiques d'Al-Jazeera épouseraient ainsi celles de la diplomatie qatarie, la chaîne manquerait de distance critique vis-à-vis du régime et cela se serait ressenti dans sa couverture de certains événements régionaux, tels que les soulèvements au Bahreïn ou le conflit syrien.
Le canal de communication de Ben Laden
Une grande partie de ses détracteurs jugent surtout sa ligne éditoriale, parfois proche des thèses islamistes, trop complaisante à l'égard des organisations terroristes.
Cette image lui colle à la peau depuis le début des années 2000, lorsque la chaîne s'est fait connaître des pays occidentaux en diffusant les vidéo d'Oussama Ben Laden ou d'autres leaders d'organisations terroristes comme le mollah Omar, le chef des talibans. Une pratique qui outrait les Etats-Unis et suscitait le débat dans le monde arabe.
En mai 2015 encore, Al-Jazeera a obtenu un entretien exclusif du chef du Front Al-Nosra. Puis en juin 2016, la couverture de la bataille de la ville irakienne de Falloujah a valu à la chaîne des critiques acerbes. Il a été reproché à ses journalistes d'utiliser un vocabulaire très proche de celui du groupe Etat islamique (EI) pour relater les affrontements.
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Mais les dirigeants de la chaîne arguent du fait que relayer un avis n'équivaut pas à le partager, et insistent sur l'équilibre des différents points de vue représentés sur la totalité de sa production et sur ses très nombreux canaux.
Une couverture médiatique ponctuellement saluée
A plusieurs moments-clés, Al-Jazeera s'est distinguée comme un média crédible, aux informations mondialement relayées. En janvier 2011, elle a publié une série de documents très embarrassants pour le Fatah sur les pourparlers de paix israélo-palestiniens, révélant les concessions majeures auxquelles étaient prêts les négociateurs palestiniens.
Al-Jazeera a été une source incontournable la même année lors des mouvements du Printemps arabe dont elle a été la caisse de résonance, la chaîne ayant pris le parti explicite de soutenir les révolutionnaires. En mars 2012, elle a délibérément choisi, pour des raisons déontologiques, de ne pas diffuser les images tournées à Toulouse par le terroriste Mohamed Merah, qui lui étaient parvenues. La même année, la chaîne a fait partie des nominés pour le prix Nobel de la paix.
Accusations contradictoires
Finalement, la ligne éditoriale fluide d'Al-Jazeera "provoque les analyses les plus contradictoires", comme le souligne une analyse de la revue Les Temps modernes. Quand certains détracteurs dénoncent tantôt la tentation islamiste d'Al-Jazeera, d'autres y voient l'influence occidentale voire israélienne.
La fameuse couverture médiatique du Printemps arabe, par exemple, a été à la fois taxée d'adopter le point de vue occidental, et d'être complaisante envers les islamistes qui prenaient part aux révoltes. Mostefa Souag, directeur exécutif d'Al-Jazeera Media Network, disait la même chose dans une interview à Forum en septembre 2014.
"Depuis ses débuts, Al-Jazeera a été accusée de tous les maux du monde et parfois de manière contradictoire. La chaîne a été décrite comme une chaîne créée par Israël, comme une chaîne pro-américaine, comme une chaîne de soutien aux organisations terroristes ou comme le porte-parole de Ben Laden. Tous ceux qui n'aiment pas la vérité (...) et préfèrent les visions unilatérales accusent Al-Jazeera de tout."
ptur