Penduler, un mode de vie pas si anodin

Grand Format

Keystone - Facundo Arrizabalaga

Introduction

Qu'on les appelle pendulaires comme en Suisse, navetteur comme en Belgique ou encore banlieusard comme en France, ils ont un point commun: passer du temps, parfois beaucoup de temps, dans les transports pour aller au travail. Et le phénomène augmente régulièrement depuis des années: on pendule plus et on pendule plus longtemps. Voyage avec l'émission Tout un monde dans quelques villes asiatiques et européennes.

New Delhi

AP Photo/Keystone - Altaf Qadri

New Delhi est l'une des mégalopoles les plus peuplées de la planète: près de 20 millions de personnes y habitent et une grande partie doit faire des dizaines de kilomètres tous les jours pour aller travailler. Les transports publics se sont nettement améliorés dans l'agglomération avec le développement en un peu plus de dix ans de l'un des plus longs réseaux de métro au monde. Malgré cela, la voiture y reste reine, causant d'énormes bouchons et faisant dangereusement augmenter la pollution atmosphérique.

Raman Kirpal, qui se rend en voiture à son travail, l'explique: "si je prends les transports en commun, je vais d'abord devoir emprunter un triporteur, ou un bus, jusqu'à la station de métro la plus proche, qui se trouve à 7 ou 8 km de chez moi, et changer à Connot Place, au centre de Delhi pour arriver à la station la plus proche de mon bureau, qui est à 5 km de distance. Je dois alors prendre un autre triporteur ou taxi. Tout ceci implique donc 4 changements!"

La voiture reste reine à New Dehli, cause d'énormes bouchons et fait dangereusement augmenter la pollution atmosphérique. [AFP - Roberto Schmidt]AFP - Roberto Schmidt
Tout un monde - Publié le 29 août 2017
Dans un wagon du métro de New Delhi. [AP Photo/Keystone - Tsering Topgyal]
Dans un wagon du métro de New Delhi. [AP Photo/Keystone - Tsering Topgyal]

Deux nouvelles lignes de métro tracées d'est en ouest de New Delhi sont prévues pour l'année prochaine. En attendant, de nouveaux modes de transport font leur apparition. C'est le cas du service appelé Shuttl : un autobus qui circule matin et soir entre ces nouvelles banlieues. Il opère comme un taxi Uber: sa place peut être réservée grâce à une application smartphone, qui indique également où se trouve le bus.

Pékin

Reuters - Thomas Peter

Des heures pour gagner le centre-ville, voilà ce qui attend Xiao Feng, 29 ans, lorsqu'il se rend à son bureau de comptable dans une petite fiduciaire.

Habitant avec sa femme et leur nouveau-né dans une banlieue de Pékin, à 50 kilomètres de la Place Tiananmen, il met six heures par jour pour aller à son poste de travail et en revenir.

Xiao Feng voyage en bus, puis en métro, obligé de faire ces longs trajets parce qu'il ne peut pas payer les loyers demandés au centre-ville.

A Pékin, le trafic routier est aussi saturé, les métros bondés. [AP Photo/Keystone - Andy Wong]
A Pékin, le trafic routier est aussi saturé, les métros bondés. [AP Photo/Keystone - Andy Wong]

Des wagons de métro bondés, dans lesquels chacun tente de rentrer, de se tenir sans être trop écrasé.

Pour sortir, il s'agit de s'arranger pour nager littéralement au-dessus de la foule, pousser les gens qui tentent de rentrer dans la rame avant même que vous ne soyez sorti.

Et tout cela pour finalement devoir, comme Xiao Feng, faire encore dix minutes de file avant de pouvoir prendre son ascenseur.

La ville de Pékin lutte de manière chronique contre la pollution atmosphérique et les embouteillages. [Andy Wong]Andy Wong
Tout un monde - Publié le 30 août 2017

Londres

AP Photo/Keystone - Lefteris Pitarakis

Londres est la capitale européenne des pendulaires. Près de la moitié de la population active, selon les données de l'étude Eurostat 2016, fait partie des "commuters".

Rien que le métro, le fameux "tube", l’un des réseaux les plus étendus du monde, assure près de 5 millions de trajets par jour.

Dans celui-ci règne une ambiance très civilisée, mais le réseau est régulièrement surchargé aux heures de pointe et il faut parfois laisser passer plusieurs rames avant de trouver une place.

Des centaines de milliers de pendulaires sont forcés à s'éloigner du centre par des prix de l'immobilier qui ont pris l'ascenseur dans la ville.

Pauline Von Hellermann habite à Eastbourne, une petite ville balnéaire à 120 kilomètres de la capitale. Elle se déplace à Londres trois à quatre fois par semaine, où elle y enseigne l’anthropologie. Porte à porte, il lui faut 2h30 pour être à son lieu de travail, soit 5 heures aller-retour. Si tout va bien, parce que parfois un seul trajet peut durer 4 heures.

Mercredi 30 avril: au second jour d'une grève du personnel, la foule se masse sur les quais du métro de Londres à la station de Earl's Court pour profiter des rames encore disponibles. [EPA/FACUNDO ARRIZABALAGA]EPA/FACUNDO ARRIZABALAGA
Tout un monde - Publié le 31 août 2017

Pauline Von Hellerman fait partie des 300'000 usagers des trains de la compagnie privée Southern, qui relie le Sud de l’Angleterre à Londres.

Depuis deux ans, ces pendulaires dénoncent un service cauchemardesque, en raison de grèves à répétition, de travaux et de trains bondés. Certains ont même perdu leurs emplois en raison des retards, ou ont vu la valeur de leur maison baisser.

Une privatisation toujours remise en question

La privatisation des compagnies de chemin de fer privées dans les années 1990 continue à faire débat actuellement.

D’un côté, les défenseurs de la libéralisation affirment que le système est performant et que le nombre de passagers a doublé en deux décennies.

De l’autre, des usagers mécontents, à l’image de Pauline, dénoncent des prix prohibitifs, les retards et le manque de capacité.

Quel que soit le système en place, privé ou sous la mainmise de l’Etat, la gestion des trains à Londres et de sa grande banlieue est un défi monumental, étant donné la complexité du réseau et le nombre croissants d'utilisateurs qui, même avec la meilleure volonté du monde, ne peuvent pas toujours être des pendulaires heureux.

La gestion des trains à Londres est un immense défi. [Keystone - EPA/Andy Rain]
La gestion des trains à Londres est un immense défi. [Keystone - EPA/Andy Rain]

Des effets sur la santé

Plusieurs études se sont penchées sur les effets de longs trajets sur la santé des pendulaires. Plus le trajet est long, plus l'impact sur la santé est important. Jusqu'à trente minutes de trajet, l'impact sur la santé reste peu perceptible. Entre trente minutes et une heure, on entre dans une zone d'inconfort, avec des conséquences pour la santé, notamment au niveau du stress subi, à la santé mentale, à la dépression, à l’absentéisme ou encore à l’obésité.

Une étude américaine montre qu’au-delà de 25 kilomètres de trajet en voiture, sur des routes congestionnées, les risques d’obésité et d’hypertension augmentent. En 2010, IBM Research a calculé "l’indice de douleur" d’un trajet pendulaire auprès de conducteurs de 20 grandes villes. C’est à Pékin qu’il est le plus élevé, au point que 70 pour-cents des conducteurs pékinois ont au moins une fois renoncé au trajet pour rentrer chez eux.

Une récente étude britannique portant sur 34'000 employés montre elle que les personnes qui font des trajets de plus d’une heure ont 33 pour-cents de risques supplémentaires de souffrir de dépression, près de 50 pour-cents d’être en manque de sommeil et 21 pour-cents d’être obèse.

La productivité est aussi influencée: les personnes qui un trajet court, moins de 30 minutes pour se rendre au travail, ont l’équivalent de 7 journées de "productivité supplémentaire" par année par rapport aux pendulaires de longue distance.

Le taux de divorce augmente aussi sensiblement en fonction de la pendularité.

"Superpenduler":Genève-Francfort

Keystone - Frank Rumpenhorst

Un trajet de près de 550 kilomètres sépare Rémi, domicilié à Genève, de la région allemande de Francfort-sur-le-Main, où il gère des projets informatiques pour le compte d'une grande entreprise.

Au lieu de se déplacer ponctuellement, le "superpendulaire" Rémi a choisi de partir travailler du mardi matin au jeudi soir chaque semaine dans la région de Francfort.

Ecouter le récit d'un de ses trajets:

Rémi, un pendulaire qui fait un trajet de 550 km. [RTS - Blandine Levite]RTS - Blandine Levite
Tout un monde - Publié le 1 septembre 2017

Les "superpendulaires" cumulent les fatigues

Le canton de Vaud, notamment, attend toujours 101 millions de francs de la part de Paris. [Keystone - Jean-Christophe Bott]Keystone - Jean-Christophe Bott
Tout un monde - Publié le 1 septembre 2017

Dans le cas des "superpendulaires", la fatigue liée au déplacement se cumule à celle liée à l'absence du domicile principal, note Emmanuel Ravalet, chercheur au laboratoire de sociologie urbaine de l'EPFL.

La fragilité des couples est plus grande aussi si l'une des deux personnes a une pendularité forte, quotidienne ou hebdomadaire, selon l'expert.

Et en Suisse?

Keystone - Alessandro della Valle

Sur les 3,8 millions de pendulaires que comptait la Suisse en 2013, environ 30% se rend à son travail par les transports publics.

C'est le canton d'Obwald qui compte la plus grande proportion de pendulaires (tous types de transports confondus) dans sa population résidente de plus de 15 ans (66,54%). Il est suivi du canton de Lucerne (65,95%) et de celui d'Argovie (65,50%). Le Tessin ferme la marche avec 55,26% de pendulaires, derrière le Jura (59,42%).

Si la pendularité a toujours existé, les distances entre le domicile et le travail ont tendance à augmenter fortement ces dernières années, observe Emmanuel Ravalet, chercheur au laboratoire de sociologie urbaine de l'EPFL.

Tant qu'on continue d'augmenter la vitesse des modes de transport, on permet aux personnes d'aller beaucoup plus loin dans un temps réduit, on augmente donc le phénomène de pendularité longue distance.

Pendulaire [Blandine Levite]Blandine Levite
Tout un monde - Publié le 1 septembre 2017

Crédits

Reportages radio:

New Delhi: Sébastien Farcis

Pékin: Raphaël Grand

Londres: Catherine Ilic

Superpendulaire: Blandine Levite

Présentation: Eric Guevara-Frey

Réalisation web:

Eric Butticaz, Katharina Kubicek et France-Anne Landry