Des chouettes effraies pour lutter contre les rongeurs et protéger les cultures. Depuis plus de 30 ans, une communauté agricole de la vallée du Jourdain travaille sans pesticide grâce à ces féroces chasseurs de souris.
Le projet a été lancé sous l'impulsion de l'ornithologue israélien Yossi Leshem et a vite pris de l'ampleur. Quelque 3000 nichoirs sont désormais dispersés sur le territoire israélien. Seul problème: la vaste plaine fertile du Jourdain s'étend entre Israël, la Jordanie et la Cisjordanie. Et les oiseaux passent parfois en territoire arabe, risquant l'empoisonnement en touchant aux cultures traitées aux pesticides.
"Les chouettes s'envolaient... parce que les oiseaux ne connaissent pas de frontière", raconte dans Mise au Point Yossi Leshem. Le scientifique a alors besoin d'un médiateur neutre pour discuter avec ses voisins arabes. Il décide il y a une dizaine d'années de se tourner vers un Suisse: Alexandre Roulin, professeur à l'Université de Lausanne et ornithologue reconnu.
"Un projet qui lie écologie, réconciliation et paix"
Sur ces terres bibliques, l'Helvète a la lourde tâche de convaincre les agriculteurs jordaniens et palestiniens des bienfaits de l'animal mangeur de souris. Dans la culture arabe, les chouettes représentent des oiseaux de malheur. Alexandre Roulin doit donc combattre les préjugés des paysans et des imams, qui se méfient des oiseaux tout comme des idées venant d'Israël.
"C'est un projet qui lie écologie, réconciliation et paix dans le Proche-Orient", raconte le spécialiste. "Le problème est régional, il faut donc le régler avec la Jordanie et la Palestine."
Cette solution transfrontalière a déjà montré son efficacité. Quelque 250 nichoirs ont été placés côté jordanien, permettant une hausse de 20% des récoltes. Et le projet a permis à Alexandre Roulin de rencontrer Israéliens, Jordaniens et Palestiniens. Des délégations parfois conduites par des figures historiques, comme le général jordanien Mansour Abu Rashid, présent lors des accords de paix de 1994.
Vers une diplomatie des chouettes
Désormais, les "chouettes sans frontière" d'Alexandre Roulin suscitent également l'intérêt de Suisses, notamment de l'ambassadeur suisse en Israël Jean-Daniel Ruch et de l'ancien chef de l'armée Christophe Keckeis, expert auprès de la fondation Geneva Centre for Security Policy (GCSP). Tous les deux sont convaincus que la Confédération a une carte à jouer pour développer le programme.
"Ce projet a prouvé qu'à travers les oiseaux on peut rapprocher des gens qui ont fait la guerre", estime Christophe Keckeis. "C'est un exemple magique qui montre que cela fonctionne, même si cela prend énormément de temps."
"La guerre, c'est la guerre. Mais pour construire la paix, il faut mettre les gens ensemble", acquiesce l'ancien général israélien Baruch Spiegel, une autre figure des accords de paix en 1994. "Nous devons rassembler les communautés et chaque côté doit voir les bénéfices."
Reportage de Nathalie Randin
Adaptation web de Tamara Muncanovic