Dans "Tuez Kadhafi!" (à revoir ci-dessus), Jacques Charmelot revient sur la fin du règne du colonel libyen, au pouvoir depuis 1969. En cinquante minutes bien ficelées, cet ancien journaliste de l'AFP détricote les discours qui ont contribué - en quelques semaines - à faire passer le dictateur, alors fréquentable, pour un tyran génocidaire.
"Ce film veut montrer comment des pays démocratiques, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, peuvent utiliser leur opinion publique, leur presse et même leurs états-majors, pour se lancer dans des aventures militaires dont nous payons très cher les conséquences", souligne Jacques Charmelot, dans un entretien à l'émission Histoire vivante.
Manque de preuves
Pour démontrer que l'opération lancée en mars 2011 s'inscrit dans une stratégie de changement de régime dans le monde arabo-musulman voulue par les Etats-Unis, le réalisateur s'appuie sur des témoignages solides.
Des personnalités aussi différentes que l'ex-ambassadeur de France à Tripoli François Gouyette ou l'ancien chef rebelle Ahmad Safar, aujourd'hui représentant libyen à Rome, relativisent l'ampleur de la menace qui pesait sur Benghazi où l'on craignait à l'époque un génocide. Le film rappelle aussi que 18 jours avant l'intervention occidentale, le chef du Pentagone Robert Gates assurait à un parterre de journalistes n'avoir "aucune indication que Kadhafi bombarde des civils".
Quant aux allégations de viols de masse et aux cohortes de mercenaires noirs, qui ont aussi servi à justifier l'interventionnisme, elles sont sujettes à caution. "Nous n'avons jamais trouvé des preuves qui montrent que ce phénomène a eu lieu", rapporte Donatella Rovera, enquêtrice à Amnesty international, spécialiste de la Libye.
De la rhétorique au chaos
Son témoignage comme les autres rejoignent les conclusions du rapport Blunt, publié en 2016 par des parlementaires britanniques. "L'affirmation que Kadhafi avait ordonné un massacre de civils à Benghazi n'est soutenue par aucune preuve tangible. Notre réponse a été inspirée par la rhétorique sanguinaire de Kadhafi et non pas sur ce qui pouvait réellement se passer", indique le document.
Son auteur principal, le député Crispin Blunt, dénonce les raids entrepris par les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne sous l'égide de l'ONU le 19 mars 2011.
L'objectif avoué était alors de stopper la répression de la révolte entamée un mois plus tôt à Benghazi, dans la foulée des printemps arabes. Le but réel, estime le film, était d'entraîner la fin du règne de Mouammar Kadhafi, ce qui fut chose faite sept mois plus tard, le 20 octobre 2011.
Un pays morcelé et dangereux
Depuis, la Libye est fractionnée entre plusieurs groupes et le théâtre de multiples atrocités, notamment à l'encontre des migrants noirs qui tentent de rallier l'Europe par la Méditerranée.
Nous avons gagné la guerre, mais nous avons perdu la paix
Revenant sur ces événements dans le film, Alain Juppé, qui était alors ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, commente: "Je ne pleure pas sur la chute de Kadhafi. Je constate simplement qu'aujourd'hui c'est le chaos et qu'il va y avoir beaucoup de temps, de difficultés et d'investissements à faire pour remettre ce pays sur la voie de la sécurité, puis peut-être d'une forme de démocratie".
Aux Etats-Unis, Barack Obama a lui qualifié l'intervention en Libye de "pire erreur" de sa présidence.
Juliette Galeazzi
* "Tuez Kadhafi!" diffusé dimanche 10 décembre à 22h50 sur RTS Deux