"On a effacé l'histoire au Chili", s'exclame Patricio Guzmán, avec des mots chargés d'émotion. "Les livres d'histoire chiliens passent en 2-3 pages sur Allende-Pinochet. C'est absurde!", dit-il. Le cinéaste évoque "l'inertie énorme" qui caractérise le Chili d'aujourd'hui. "Il y a une sensation d'apoliticisme et le pays est entré dans une sorte d'indifférence face à l'histoire", s'inquiète-t-il.
Le pays a pourtant traversé un événement unique en Amérique latine. Le 11 septembre chilien, c'était en 1973. Ce jour-là, le coup d'Etat du général Augusto Pinochet a fait basculer le Chili dans la dictature militaire. Soudainement et brutalement. Des milliers d’opposants au régime sont arrêtés ou exécutés.
Des décennies de dictature
Ces moments sont fixés dans ta mémoire pour toute la vie.
Patricio Guzmán a suivi en direct l'agonie du seul régime socialiste latino-américain de l'époque. Le cinéaste a filmé les derniers instants du gouvernement de Salvador Allende et le bombardement du palais de la Moneda à Santiago. "C'était très dur d'être là avec tous mes amis de La Bataille du Chili. On voyait les avions passer et on entendait le bruit (...) Ces moments sont fixés dans ta mémoire pour toute la vie". Il a fait partie de ces nombreux intellectuels menés au stade national de Santiago, transformé alors en prison à ciel ouvert. Relâché, il est parti en exil vers la France. De ces événements tragiques est née sa trilogie documentaire La Bataille du Chili.
"Une nouvelle édition de La Bataille du Chili sort pour les collèges. C'est fondamental, car les jeunes ne connaissent rien à l'histoire chilienne", souligne Patricio Guzmán. Le cinéma d'Amérique latine souffre d'un manque de visibilité dans ses propres pays. "Aucun film latino-américain ne circule dans les salles d'Amérique latine, il n'y a pas d'appareil de distribution", précise-t-il.
L'ombre de Pinochet
Après l'époque des dictatures militaires, l'Amérique du Sud a vu des partis de gauche, parfois d'inspiration marxiste, s'installer au pouvoir. Hugo Chavez et sa révolution bolivarienne au Venezuela, Lula au Brésil, Nestor Kirchner en Argentine, Rafael Correa en Equateur, Evo Morales en Bolivie. Tous ont tenté de corriger les inégalités sociales qui imprègnent profondément la région. Ces dirigeants de gauche ont-ils échoué? Est-ce la fin d'une ère qui voit la droite reprendre le pouvoir en Argentine, au Pérou, au Brésil et peut-être dimanche au Chili?
Le pinochétisme a encore une influence énorme au Chili.
"C'est une victoire des Etats-Unis", selon Patricio Guzmán. Il évoque un Chili sous l'influence de "la partie la plus réactionnaire des Etats-Unis", mais aussi des pinochétistes "proches du pouvoir". La socialiste Michelle Bachelet lui laisse un goût d'inachevé: "Elle a manqué de force. Il faut pousser le pays tout entier, bousculer ses institutions."
Mélanie Ohayon