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Légal ou illégal, le marché des armes est difficile à mesurer et à réglementer

Les armes prolifèrent en Centrafrique. [AFP - Alexis Huguet]
Les armes prolifèrent en Centrafrique. - [AFP - Alexis Huguet]
Le marché des armes légal et illégal soulève de nombreuses questions concernant ses flux, ses acteurs et son contrôle. Tout un monde se penche sur un marché discret, opaque et dont il est difficile de mesurer l'ampleur.

Circuit légal contre circuit illégal

Les circuits légaux et illégaux concernant les armes sont étroitement liés, explique Jean-Charles Antoine, expert en trafic d'armes et président de la société de conseil Citypol dans l'émission Tout un monde de la RTS.

L'ensemble des armes sont produites de manière légale, dans des usines. Une partie d'entre elles passent ensuite dans l'illégalité, que ce soit à partir de l'usine, lors de la vente ou même après.

Il est très difficile, rappelle Jean-Charles Antoine, d'évaluer, même de manière très large, la quantité d'armes injectées dans les circuits illégaux, d'autant plus que les armes peuvent aisément passer d'un circuit légal à un circuit illégal et réciproquement. L'expert ajoute que les zones de conflit concentrent les trafics d'armes, que ce soit pour répondre à un besoin réel ou ressenti d'armes.

Grands trafiquants contre petits revendeurs

La vente illégale d'armes fait cohabiter deux types de marchés: les grandes livraisons d'armes, avec plusieurs centaines de kilos d'armes, au profit d'intérêts supérieurs de grandes nations, qui fait l'objet d'un vrai business ou alors les petits revendeurs, qui revendent des faibles quantités d'armes, plutôt au niveau local.

Pratiquer la vente illégale d'armes présente des enjeux beaucoup plus graves pour ceux qui le font que le trafic de drogue. Vendre illégalement des armes, ça veut dire provoquer des morts, quasiment à coup sûr

Jean-Charles Antoine, expert en trafic d'armes, président de la société de conseil Citypol

Les Balkans, haut-lieu du trafic d'armes

Une partie des armes utilisées lors des attentats de Paris en 2015 provenaient de la région des Balkans, comme une bonne partie de celles fournies aux djihadistes et pour le grand banditisme en Europe.

La Suède serait d'ailleurs devenue le plus grand marché d'Europe pour les armes illégalement importées des Balkans.

Vingt ans après la fin de la guerre, les armes héritées du conflit en ex-Yougoslavie continuent à circuler, sans que les Etats n'arrivent à les contrôler.

En Serbie, par exemple, plus de 900'000 armes à feu seraient en circulation. En Bosnie, malgré les saisies fréquentes, il n'y a pas eu de démantèlements de groupes importants de trafiquants d'armes.

Davantage de grands systèmes d'armement

Les grands systèmes d'armement, tels que les sous-marins, les navires de surface ou les avions, font moins l'objet de trafic. Mais leurs ventes sont en hausse depuis 2016, après cinq années consécutives de baisse, selon un rapport de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI). Un fait paradoxal, sachant qu'il n'y a jamais eu aussi peu de guerres dans le monde.

Pour Aude Fleurant, directrice du programme Armes et dépenses militaires du SIPRI, c'est la conjonction de plusieurs facteurs qui pousse à la hausse la demande des ventes et des transferts d'armes: "La perception de la menace accrue et le sentiment de tensions régionales, en Asie de l'Est et du Sud-Est, par exemple, poussent les pays qui se sentent en situation d'infériorité à importer plus d'armes, des systèmes plus puissants ou performants."

Elle précise qu'il s'agit de pays qui ne sont pas des producteurs d'armement, mais qui se tournent vers des pays qui le sont, comme les Etats-Unis, la France ou le Royaume-Uni.

Un traité pour contrôler la vente des armes

Pour tenter de réglementer le commerce d'armes, le Traité sur le commerce des armes (TCA) a été adopté en avril 2013 par l'Assemblée générale des Nations unies. Des 130 pays signataires - dont la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne - près de 90 l'ont déjà ratifié. Ce traité concerne toutes les armes, du tank au bombardier, en passant par les fusils et les mitrailleuses.

L'un des objectifs est d’interdire l’exportation d’armes vers des Etats qui pourraient les utiliser pour commettre des graves violations des droits humains. Le TCA vise une meilleure réglementation de leur commerce, qui tienne compte des risques de crimes de guerre ou d’attaques contre les civils.

Benoît Muraciole, le président de l’ONG Action sécurité éthique républicaines, a participé aux discussions de l’ONU: "L'une des forces de ce traité est que c'est un traité de prévention et non un traité de punition", estime-t-il.

Pourtant, les effets du TCA n'ont pas eu un grand impact sur les législations nationales. Plusieurs pays, dont les Etats-Unis, ont assoupli leurs règles sur les exportations d’armes. Benoît Muraciole cite notamment les exportations en direction de pays impliqués dans les conflits en Syrie ou au Yémen: "On est revenu dans un commerce irresponsable, avec une recrudescence des gros contrats."

A noter que, selon les derniers chiffres du SIPRI, ce sont les Etats-Unis qui détiennent plus de la moitié du marché de l'armement, devant les compagnies britanniques, russes et françaises.

>> Lire aussi : Des déclarations aux chiffres, la nouvelle course aux armements

Eric Guevara-Frey et Patrick Chaboudez

Adaptation web: Eric Butticaz et Jessica Vial

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