Au pied du "grand mur" entre les Etats-Unis et le Mexique
Grand Format
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AP Photo - Elliott Spagat
Introduction
Promesse de campagne de Donald Trump, le mur entre le Mexique et les Etats-Unis se concrétise pour le moment par 8 prototypes alignés côté américain, que les badauds ne peuvent apercevoir qu'en guignant depuis le Mexique à travers les grillages actuels.
Le correspondant de la RTS aux Etats-Unis Raphaël Grand s'est rendu des deux côtés de la frontière pour recueillir des avis sur cet imposant dispositif de démarcation souhaité par le président américain.
Chapitre 1
Des coupes quotidiennes à travers le grillage
RTS - Raphaël Grand
A San Diego, à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, un agent de la Border Patrol montre des percées dans le grillage de 4 mètres 50 qui sépare actuellement les deux pays. "Chaque jour, des gens tentent de passer (...) Ce sont les "coupes" que font les trafiquants. Ils font des coupes en formes de croissant de lune avec des haches ou des pinces coupantes. Il peut y avoir une ou plusieurs personnes qui passent. Et ça leur prend entre 30 secondes et 1 minute 20."
Eduardo est l'un des 2400 patrouilleurs américains qui surveillent la frontière à San Diego. Dans ce secteur, ce sont essentiellement des migrants qui essaient de traverser la frontière illégalement qui sont arrêtés.
"L'an passé, on a arrêté en moyenne 87 personnes par jour, soit environ 30'000 sur une année. Mais si vous comparez à la situation de 1996 avant la clôture, on terminait avec environ 628'000 arrestations en une année. C'est un travail titanesque!"
Aujourd'hui, la frontière à San Diego est donc mieux protégée, confie Eduardo. Et peut-être même que le nombre d'arrestations diminuera encore grâce au nouveau mur.
La carte de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis:
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Chapitre 2
Les échantillons du nouveau mur
RTS - Raphaël Grand
Alors que le débat fait rage à Washington, 8 prototypes du nouveau mur sont actuellement en phase de test à San Diego. Des morceaux de mur en métal, en béton. Certains avec des barreaux, d'autres surmontés de fils barbelés. Les autorités testent l'efficacité et la résistance des infrastructures qui font chacune 9 mètres de hauteur, soit deux fois plus que la clôture actuelle.
Et comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous, c'est en escaladant une pile de vieux pneus qu'il est possible, depuis Tijuana, d'apercevoir les échantillons de murs alignés côté américain. Huit pans de mur qui s'offrent ainsi à la vue des curieux et donnent une idée de ce que pourrait construire l'administration du président Trump.
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"Un gaspillage d'argent"
Ces prototypes sont dressés non loin de la maison de Luis, un Mexicain expulsé des USA après y avoir passé 30 ans sans papiers.
"C'est un gaspillage d'argent (...) Ce mur ne changera rien, il y a plein de tunnels ici. Ils peuvent construire ce mur, mais si les Mexicains ont besoin de traverser, ils traverseront."
Maggie n'y voit pas non plus d'utilité: "Les Américains ont besoin de nous parce qu'ils ne veulent plus travailler dans les champs. Les Mexicains, eux, sont de grands travailleurs.
Côté américain à San Diego, s'il ne s'exprime pas sur l'utilité politique de construire un mur, l'agent de la Border Patrol Eduardo estime par contre qu'il y a une nécessité à améliorer la sécurité à la frontière.
"Ce que les prototypes du mur vous nous apporter, c'est une meilleure idée de ce que l’on peut accomplir et implémenter (...) La frontière est dynamique: il y a du désert, des rivières. Sécuriser la frontière, c'est un vrai challenge. Améliorer l'infrastructure, ça peut signifier plusieurs choses selon les scénarios", commente Eduardo.
Chapitre 3
Chez Jim, propriétaire d'un ranch en Arizona
RTS - Raphaël Grand
Jim Chilton, 78 ans, attend avec impatience la construction du mur. Son ranch, qui fait à peu près la taille du Canton de Genève, borde la frontière. Avec sa femme Sue, ils élèvent du bétail dans cette région aride d'Arizona, poursuivant un travail de 5 générations.
"Nous avons besoin du mur de Trump. En ce moment, ils laissent entrer n'importe qui sur 20-30 kilomètres avant d'essayer de les appréhender. C'est inquiétant. On vit actuellement dans un 'No Man's Land'", explique Jim. La zone est ici contrôlée par le cartel de Sinaloa, anciennement dirigé par le fameux El Chapo. Et donc la drogue qui transite entre le Mexique et les Etats-Unis passe à travers sa propriété. Une situation très éloignée des immigrés à la recherche de travail que Jim et Sue aidaient en offrant de de la nourriture et de l'eau.
Des sacs de 30 kilos
"Il y a plus de 200 sentiers venant du Mexique et qui passent à travers mon ranch. Et j'ai installé trois caméras qui s’activent automatiquement quand il y du mouvement, et qui ont capturé ces images de gens qui traversent", constate Jim.
Sur les vidéos, on peut voir effectivement des passeurs avec des sacs à dos: "Vous pouvez voir les sacs de marijuana. Ils sont énormes. Environ 30 kilos (...) On nous a dit que le volume de marijuana qui entrait aux Etats-Unis diminuait... et que le cartel s'est tourné vers la méthamphétamine, l'héroïne, la cocaïne et le fentanyl."
La construction du mur n'est par ailleurs pas qu'une question de budget. "Quand les gens parlent du coût du mur, ils ne parlent pas du coût que ça représente de ne rien faire contre le trafic de drogue", explique Sue, l'épouse de Jim. "Nous avons un énorme problème d'addiction à l'héroïne et aux opioïdes dans ce pays. Le coût pour lutter contre l'importation de cette drogue n'est jamais évoqué!"
"Nous avons toujours été actifs politiquement. Nous avons même été démocrates, mais ce sont aujourd'hui les républicains qui se penchent vraiment sur les problèmes (...) Nous sommes ravis par notre président. Je pense que c'est le meilleur président que j'ai eu de toute ma vie", poursuit Sue.
"J'ai 78 ans et je peux traverser"
Après un peu plus d'une heure de trajet à travers des routes en terre, voilà Jim arrivé à la frontière avec la ferme intention de démontrer qu'elle n'est qu'une passoire, le tout sans quitter son arme à feu qu'il porte constamment pour assurer sa propre sécurité.
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A la frontière: 4 fils de fer barbelés et une barrière à bétail installée par le gouvernement américain il y a une centaine d'années. Le poste frontière le plus proche se trouve à plus de 100 kilomètres. De quoi laisser le champ libre à un cartel pour contrôler la zone.
Dans la vidéo ci-dessous, il nous montre à quoi ressemble la ligne de démarcation: "Il est facile de traverser, n'importe qui peut le faire. J'ai 78 ans et même moi je peux traverser. N'importe quel jeune transportant des drogues peut traverser très facilement"
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"J’espère et je prie pour que Trump soit capable d'obtenir assez d'argent du Congrès. Que les oppositions soient levées car nous avons désespérément besoin de construire ce mur".
Les prières de Jim seront peut-être entendues. Donald Trump a proposé un deal aux démocrates: une citoyenneté facilitée pour 1,8 million d'immigrés en échange de 25 milliards de dollars pour construire son "grand et beau" mur.
Des milices paramilitaires pour surveiller la frontière
RTS - Raphaël Grand
Si Jim Chilton attend impatiemment la construction du mur, d'autres n'en peuvent plus d'attendre une issue sur la question migratoire au Congrès et ont constitué des milices.
Ces citoyens américains portent un treillis militaire et sont armés de fusils semi-automatiques. Ils sont bien décidés à protéger leur frontière, leur pays contre le trafic de drogue et l'immigration clandestine. Une initiative tout à fait légale en Arizona, où le port d'arme est autorisé, mais qui inquiète les autorités. Ces dernières craignent des dérapages, notamment entre miliciens armés et cartels mexicains.
Arivaca, au Sud de l'Arizona: Tim Foley est justement à la tête d'une de ces patrouilles de paramilitaires. Des volontaires, des citoyens américains qui viennent des quatre coins des Etats-Unis pour protéger la frontière. Notamment là où il y a moins de routes, donc moins de patrouilles de police.
Plus de 200 volontaires
"J'ai fondé en 2010 une organisation appelée 'Opération de reconnaissance'. Nous sommes des gens fatigués par les mensonges des médias et du gouvernement. Ils nous disent que nous sommes en sécurité! Mais je suis venu ici un week-end pour voir et je me suis dit: 'Ce n'est pas possible ce qui se passe!' J’ai donc fait mes affaires, vendu tous mes bien et je suis venu m'installer au bord de la frontière pour commencer à patrouiller seul", raconte Tim Foley. Après 8 années, plus de 200 personnes se sont annoncées et à chaque opération, environ 20 personnes se portent volontaire pour une semaine en sa compagnie.
"La société, dans son ensemble, est devenue trop molle", ajoute Tim. "Chacun aime son petit confort, chacun aime aller au restaurant, regarder son programme télé préféré. La technologie nous a rendus mous. Avec ce débat sur l'immigration, DACA, les jeunes sans papiers à qui l'on propose une amnistie (…) ça leur donne l'idée que, s'ils se dépêchent de venir ici, ils auront bientôt une amnistie et la citoyenneté. Maintenant, nous sommes envahis, les groupes qui entrent sont de plus en plus nombreux, il y a de plus en plus de personnes qui traversent. Cela empire…"
"Baisse de l'immigration? Foutaises!"
Les statistiques du gouvernement américain relèvent plutôt une immigration illégale en baisse sur la frontière mexicaine. "Foutaises", répond Tim Foley, pour qui la promesse de Trump de faciliter la naturalisation d'1,8 million de sans papiers en échange d'un mur va créer un appel d'air et pousser d'autres clandestins à traverser la frontière.
Et en Arizona, Tim promet d'être là pour les accueillir, fort d'un appui logistique devenu conséquent (volontaires, armes, véhicules, chiens...) au fil des années, depuis la constitution de l'organisation "Opération de reconnaissance".
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Chapitre 5
Tony Estrada, le "légendaire" shérif de Nogales
RTS - Raphaël Grand
Ces paramilitaires n'entrent toutefois pas en contact avec les passeurs et ne cherchent pas la confrontation. S'ils aperçoivent une activité suspecte, ils appellent les douaniers ou les autorités du comté, comme Tony Estrada, le shérif de Nogales.
Véritable institution dans la région, cet homme patrouille depuis 50 ans le long de la frontière mexicaine et n'apprécie pas forcément l'activité de ces milices: "Je pense que c'est ridicule. Peut-être que l'intention est noble, mais la démarche est aussi raciste, j'en suis absolument sûr", condamne-t-il.
"Nous sommes responsables en grande partie de nos propres problèmes"
"Ces miliciens peuvent se retrouver dans des situations très dangereuses. Vous ne pouvez pas déranger les cartels, vous ne devez même pas interférer avec les cartels! Je vois ces miliciens davantage comme un obstacle, un problème (...) En fait je pense qu'ils n'aident personne, ils génèrent plutôt des problèmes pour nos propres opérations", poursuit l'expérimenté agent.
Tony Estrada en profite aussi pour recadrer: "La majorité des gens qui traversent la frontière sont bons, croyants, travailleurs. Ils recherchent simplement une opportunité pour subvenir aux besoins de leur famille (...) Les gens traversent la frontière illégalement sans confrontation, d'une façon subtile. Ce ne sont pas des gens qui courent à travers la frontière, comme des fous.".
C'est donc un avis défavorable au projet de mur qu'avance enfin le shérif de Nogales: "Nous, en tant que nation, sommes responsable de la naissance du cartel (...) Pas seulement pour la drogue, car les Etats-Unis sont le plus grand consommateur, mais aussi dans l'immigration illégale, parce que nous avons mis une telle pression avec nos murs, nos barrières, nos caméras, nos patrouilles de police. Nous, les Etats-Unis, avons créé un business de trafic d'humains pour le cartel. Nous sommes responsables en grande partie de nos propres problèmes."