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Les conséquences de l'amnésie forcée après la "décennie noire" algérienne

Un homme sur la tombe de son fils, tué lors des années noires (image d'archive). [Reuters - PBEAHUMZUET]
Les Algériens toujours confrontés à l'omerta sur la "décennie noire" / Tout un monde / 7 min. / le 29 janvier 2018
Il y a 20 ans, l'Algérie faisait face à la période la plus sanglante de la "décennie noire". Au début des années 90, les islamistes remportent les élections municipales. L'armée organise alors un coup d'Etat et les islamistes prennent le maquis.

Aujourd’hui encore, 20 ans après, les Algériens victimes des massacres ont l’obligation de faire comme si jamais rien ne s’était passé, une sorte d'amnésie forcée.

En 2005, la charte pour la paix et la réconciliation nationale est signée. Conséquence: les islamistes qui acceptent de quitter le maquis sont amnistiés et les militaires coupables d’exactions sont mis à l’abri de tout procès. C’est la fin de la guerre civile et le début de l’omerta, malgré un bilan effroyable. Celui-ci va de 100'000 à 200'000 morts, puisqu'on ignore encore le nombre de victimes qu'ont fait ces années sanglantes.

Une "amnésie institutionnalisée"

Malgré les viols, les tortures, toutes les victimes dont les familles des rescapés doivent continuer à vivre sans obtenir justice.

Karima Dirèche, historienne franco-algérienne, estime qu'il faut parler d’"amnésie institutionnalisée" pour parler de cette période: "On va très très loin dans l'histoire du tabou, puisque dans le journal officiel de janvier 2017, il y a un article de loi qui interdit l'évocation de cette tragédie nationale en termes analytiques ou réflexifs."

Une insupportable réconciliation nationale

Cherifa raconte dans l'émission Tout un monde l'arrivée de terroristes islamistes dans sa famille. Après avoir reproché à son frère d'être athée, celui-ci a été torturé à mort. Sa soeur a elle été violée et assassinée. Pour Cherifa et sa mère, il est insupportable de parler de réconciliation nationale, de voir les terroristes pardonnés et indemnisés.

Elle ne pardonne ni aux assassins, ni à l’Etat qui va jusqu’à lui interdire de commémorer les morts. Chaque année, le 8 mars, avec d’autres familles victimes du terrorisme, elle tente de rendre hommage à son frère et à sa soeur, et de dénoncer cette politique à laquelle elle n’adhère pas. Elle dit finir souvent au poste de police, arrêtée et malmenée.

Des familles traumatisées, condamnées ainsi à se taire, il y en a des dizaines de milliers dans le pays.

Des "mômes" devenus terroristes

Le cabinet de ce médecin de campagne qui témoigne aussi dans Tout un monde se trouvait en plein territoire du GIA, le Groupe islamiste armé. C'est là que les islamistes ont commencé à prendre les armes.

Il a vu ses patients – souvent "des mômes"– prendre les armes, devenir terroristes et décimer des gens que jusqu’ici, ils côtoyaient sans problème: "Je me demande où ils avaient appris ces techniques de l'horreur. (...) C'était malsain, c'était horrible..."

Une jeunesse ravagée

Vingt ans plus tard, les conséquences de cette obligation d'oublier sont toujours visibles, explique ce médecin. Pour lui, ces jeunes qui avaient 10 ans et qui ont vu leurs parents assassinés, sont traumatisés.  "Le drame est chez les jeunes, ils sont énormément perturbés, ils sont capables de violence. Ce sont des gens violents."

Et de poursuivre: "C'est une jeunesse qui est complètement ravagée. Elle est dans la violence, cette jeunesse, cette violence qu'elle a vécue. Ils ne sont pas coupables, ils ne sont pas responsables. C'est parce qu'on ne les a pas aidés. Il faut les aider à s'exprimer, sinon, ils sombrent dans les neuroleptiques, dans les drogues, dans le salafisme."

Aline Hacard/ebz

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