C’est le début d’année le plus meurtrier depuis que l’Organisation internationale des migrations (OIM) comptabilise ces décès.
Jusqu'en 2013, c'étaient des ONG - donc la société civile - qui tentaient d'enquêter avec très peu de moyens sur les morts en mer. Depuis 2014, l'OIM a pris le relais et dresse ces terribles bilans repris par les médias: 4581 migrants décédés en 2016, 2834 décédés en 2017.
Mais l'organisme des Nations unies n'a guère de moyens, lui non plus. Pour parvenir à connaître le nombre de personnes noyées en Méditerranée, l’OIM compile les morts repérés par les bateaux des ONG qui œuvrent en mer pour sauver les embarcations en détresse. Elle utilise aussi les rapports que les garde-côtes libyens veulent bien lui livrer. Mais sa principale source reste… les médias - qui comptent justement sur elle pour ensuite informer le public. C’est le serpent qui se mord la queue.
Il y a des cas de naufrages qui ont lieu sans laisser aucune trace.
"Il y a plusieurs difficultés dans la collecte de ces données", relève Charles Heller, qui travaille sur les naufrages et les violations de droits des migrants. "La première, c’est la capacité de la presse à savoir qu’il y a eu des morts. La deuxième, c’est le fait que cette presse ne publie pas toujours des articles sur ces morts. La troisième, c’est que l’OIM ait accès à ces différents articles."
Par ailleurs, ajoute le chercheur suisse, "les sources de la presse ne sont absolument pas exhaustives. Il y a des cas de naufrages qui ont lieu sans laisser aucune trace." Toutes les victimes que les médias ne repèrent pas ou dont ils ne parlent pas sont donc des morts qui ne sont pas comptabilisés dans les bilans de l’OIM.
La situation en Libye complique encore les choses
Or il est extrêmement difficile pour les journalistes de savoir ce qui se passe en mer, et encore plus le long des côtes libyennes. L’association Reporters sans frontière (RSF) vient de dénoncer d’ailleurs une situation intenable pour les journalistes en Libye. Les conditions sécuritaires ne leur permettant pas de faire leur travail, ils quittent le pays.
Et aujourd'hui, l'OIM ne peut plus compter autant qu’avant sur les informations livrées par les ONG, parce que - depuis l’été dernier - la Libye leur interdit de s’approcher des côtes.
Seuls les garde-côtes patrouillent sur cette large bande de mer. Et ils le disent eux-mêmes: ils n’ont pas les moyens de lutter contre les passeurs comme il le faudrait. Des embarcations peuvent donc facilement prendre la mer et sombrer sans que personne ne le sache.
Il est impossible de savoir combien de morts nous échappent.
Les chiffres donnés ne sont donc en fait que des estimations. "Et des estimations vraiment prudentes, minimales", reconnait Julia Black, responsable du programme chargé de répertorier les décès de migrants en mer à l'OIM.
"Il est impossible de savoir combien de morts nous échappent", dit-elle. "Ce qui est extrêmement préoccupant selon moi, c’est le nombre de corps retrouvés sur les côtes nord-africaines. L’an dernier, nous avons répertorié des centaines de corps, échoués sur les plages libyennes et tunisiennes. Des corps retrouvés sans qu’on ait eu à ce moment-là connaissance du moindre naufrage. Cela signifie que des migrants sont peut- être jetés par-dessus bord lors de la traversée et que des naufrages ont lieu sans qu’on n’en sache jamais rien."
Plus de morts encore dans le désert
Ces bilans, très partiels, ne permettent pas de donner des tendances solides. Même si les chiffres laissent apparaître un nombre de morts nettement inférieur en 2017 qu'en 2016, "la situation reste la même", concède Julia Black. "Il y a beaucoup, probablement des centaines voire des milliers de corps, qui disparaissent au fond de la Méditerranée."
Et selon bon nombre d’experts, le nombre de morts dans le désert serait encore bien plus important que le nombre de migrants qui meurent en mer.
Maurine Mercier/oang