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Grand Format
Introduction
La Russie élit son nouveau président le 18 mars prochain. Vladimir Poutine est assuré de pouvoir rester à la tête du plus vaste pays du monde.
Mais comment perçoit-on l'élection et le bilan de Vladimir Poutine à 3000 kilomètres de Moscou, dans la foisonnante capitale de la Sibérie Novossibirsk, entre scène culturelle et milieux académiques? Et dans l'Extrême-Orient russe, proche de la Chine et de la Corée, dans la ville de Vladivostok, à 9000 kilomètres à l'est de Moscou?
A Novossibirsk, capitale de la Sibérie, chaque soir, une vingtaine de personnes se pressent au quartier général local de l'opposant Alexeï Navalny pour assister à une formation d'observateur –tout citoyen peut faire la démarche en Russie– afin de traquer la moindre fraude lors du scrutin.
L'opposant Alexeï Navalny est interdit de scrutin, mais ses quartiers généraux locaux fonctionnent à plein régime. Ce soir-là, Andreï Gladchenko, chef du quartier général d'Alexeï Navalny à Novossibirsk, affirme que le pouvoir va tenter par tous les moyens de gonfler le taux de participation: "Vladimir Poutine est sûr de sa victoire. Mais sa légitimité, elle, n'est pas acquise. Si le pays ignore ce scrutin, ne va pas voter, cela voudra dire que plus personne ne croit en Poutine, qu'il s'est élu lui-même. Et c'est justement ce que nous voulons montrer. Que c'est une usurpation du pouvoir du début jusqu'à la fin."
Le cours se poursuit pendant deux heures sur les droits et devoirs des observateurs au regard de la loi, sur les fraudes possibles, mais aussi sur les stratégies mises en place en amont par le pouvoir.
Andreï Gladchenko explique que le pouvoir menace directement les gens qui pourraient ne pas aller voter. "Sur leur lieu de travail -par exemple s'il s'agit d'une grande entreprise qui dépend de l'Etat- on leur dit: si vous n'allez pas voter, on vous enlèvera votre prime, on vous licenciera, ou encore d'autres désagréments. Et nous allons contrôler si vous êtes venus..."
Le chef du quartier général d'Alexeï Navalny insiste: pour cette présidentielle, le pouvoir ne s'intéresse qu'à la participation, pas au choix du candidat. Car le président est sûr de l'emporter, et ce pour plusieurs raisons:
"Il y a des gens qui sont vraiment anesthésiés par la propagande et considèrent que Poutine fait tout bien, que c'est notre grand leader. Puis il y a une autre partie des gens qui ont profondément peur des bouleversements, ils ne veulent tout simplement pas que la situation soit pire."
A Novossibirsk, il y a par ailleurs une antenne locale de l'ONG Golos, qui défend le droit des électeurs. Sa coordinatrice, Nadia Lantsova, encourage aussi les citoyens à s'inscrire officiellement comme observateurs.
Lors des débats à la TV, les présentateurs font tout pour poser des questions qui discréditent les candidats.
Nadia Lantsova note, elle, que Poutine a su faire le vide autour de lui: "La population ne croit plus en rien. Mais d'un autre côté, à la télévision et dans la société plane cette idée qu'il n'y a aucun autre candidat valable. Lors des débats à la télévision, les présentateurs font tout pour poser des questions qui discréditent les candidats. A Poutine, personne ne lui pose de questions. Par principe, il ne participe pas."
En vue des élections du 18 mars, Vladimir Poutine mène une campagne électorale minimale. Sûr de sa victoire, le président russe sortant effectue peu de déplacements et ne prend pas de bain de foule.
Sur le terrain, ce sont les quartiers généraux régionaux qui relaient ses propos. La RTS a rencontré des bénévoles à Novossibirsk.
Rouslan est en charge des 150 bénévoles dans un quartier général qui est à l'image de cette campagne discrète. En effet, ces jeunes se retrouvent pour des balades thématiques ou des jeux. Et, une ou deux fois par semaine, ils postent un texte positif au sujet de leur candidat sur les réseaux sociaux. "Le plus important, dit-il, c’est de montrer qu'en réalité une très grande partie de la jeunesse soutient le président Poutine."
Olessia, 20 ans, reste floue quant au bilan de Vladimir Poutine: "C’est un homme qui est déterminé à réaliser ses objectifs, et c’est une qualité très rare." Elle dit toutefois ne pas avoir suivi les débats électoraux à la télévision, ni même le discours annuel de son candidat.
De son côté, Dimir, 20 ans également, observe une réelle amélioration du quotidien des Russes: "En 2004, par exemple, il y a eu une série d’attentats, alors qu'aujourd'hui on vit tranquillement. Et on doit vraiment à Vladimir Poutine le fait que la sécurité ait été élevée au plus niveau."
Pourtant, le mois dernier, cinq fidèles orthodoxes ont perdu la vie après une fusillade dans le sud de la Russie, revendiquée par le groupe Etat islamique. Dimir répond qu'il n’a pas entendu parler de ce drame, car il était trop occupé avec ses études.
Novossibirsk est une ville jeune, artistique et contestataire. Pourtant, ces dernières années, une poignée d'orthodoxes radicaux sont parvenus à faire annuler des expositions, des concerts et d'autres performances artistiques.
En 2015, par exemple, une mise en scène de l'opéra Tannhäuser de Wagner, avec un Christ en croix entre les jambes d'une femme, a scandalisé les orthodoxes radicaux. Ceux-ci l'ont fait retirer du répertoire. En outre, le ministre de la Culture, dont dépend l'immense opéra de Novossibirsk, a nommé un nouveau directeur.
Depuis, la qualité a baissé, selon certains habitués rencontrés par la RTS. Alexander Romanovsky, critique culturel, est lui particulièrement amer: "Le pouvoir s'est mis à dicter son cadre culturel. En plus de l'affaire Tannhäuser, on peut citer le cas significatif du groupe de métal polonais Behemoth, qu'on n'a pas laissé entrer dans la salle de concert, parce que quelqu'un les a accusés d'être un groupe qui faisait de la propagande pour le satanisme."
Mais, selon lui, l'affaire la plus ridicule qui a donné une image négative de la ville de Novossibirsk reste l'annulation d'un concert du chanteur américain Marilyn Manson.
Novossibirsk, c'est aussi la ville de la Monstratsia, une performance entre art contemporain et manifestation politique, qui a lieu le 1er mai de chaque année. Son fondateur, l'artiste Artem Losuktov, est aussi fréquemment la cible des militants orthodoxes. Ses t-shirts en soutien aux Pussy Riots en 2012, le slogan "L'enfer est à nous" choisi pour la Monstratsia en 2014, n'ont pas été du goût de ces activistes.
La mairie, dirigée par un communiste plutôt progressiste, ne défend pas toujours Artem Loskutov. En 2016, il a choisi pour slogan de sa Monstratsia "Ici, ce n'est pas Moscou". A cette époque, il côtoyait des jeunes qui avaient lancé l'idée d'une fédéralisation de la Sibérie, un ton presque indépendantiste qui n'a pas du tout plu aux autorités.
Artem Loskutov habite désormais à Moscou, mais revient tous les ans pour organiser la Monstratsia. Pas question de baisser les bras, dit-il: "Novossibirsk, c'est la ville la plus grande de la région, une ville de transit, elle est apparue le long des voies ferrées, avec la construction du Transsibérien."
Pour Artem Loskutov, Novossibirsk est un carrefour, un lieu de passages, avec son grand aéroport et son université que les jeunes fréquentent avant de repartir ailleurs. "Les gens ont le sentiment d'être là de manière temporaire, ce qui fait que peut-être ils sont mus par un sentiment d'aventurisme, qui porte ses fruits", explique-t-il.
Novossibirsk, c'est aussi un nom sur la carte des amateurs de musique électro expérimentale. Le collectif Echotourist, actif depuis 10 ans, est connu bien au-delà de la Sibérie.
Contrairement aux groupes de métal, les musiciens d'Echotourist n'ont pas été ennuyés par les activistes orthodoxes. Mais l'un des musiciens du groupe, Georgy Osterinov fait part à la RTS de sa perplexité face aux querelles qui ont agité le monde de la culture en Russie ces dernières années, notamment avec l'interdiction de Tannhäuser ou de certains films par le ministère de la Culture.
"On se dit qu'il doit y avoir une arrière-pensée profonde derrière tout ça, que le pouvoir ou le ministère de la Culture sont contre des films en particulier, ou des idées précises, mais il n'y a rien." Et de conclure, sans concession: "On se rend compte qu'il n'y a qu'une stupidité sans issue."
Akademgorodok, une ville sibérienne dédiée uniquement à la science et à la recherche, a vu le jour dans les années 50 en pleine forêt à 30 kilomètres de Novossibirsk. A l'époque de sa création, c'était une manière d'envoyer les scientifiques loin de l'agitation politique et sociale de la capitale.
"Ca a toujours été un monde très ouvert", explique Michèle Debrenne, une professeur de français arrivée comme étudiante en 1974 et jamais repartie. "Je n'ai jamais ressenti la moindre inimitié, la moindre gêne vis-à-vis d'une étrangère, parce que ce sont des gens qui avaient dès le début l'habitude de travailler en collaboration avec des étrangers. C'est un endroit très libéral."
Il y avait toute une série de villes scientifiques en URSS, certaines étaient fermées, d'autres carrément secrètes. Akademgorodok était un îlot de liberté.
Ici, pas de signes idéologiques comme il y en avait ailleurs, pas de statue de Lénine ou de faucille et marteau. Une rue y est par exemple nommée "Avenue des fleurs" et un arrêt de bus "Physique thermique".
Akademgorodok a vu le jour, sous Khroutchev, au moment du dégel, le pays en général vivait une certaine ouverture, mais ici, loin de Moscou, on était plus libre encore.
Ce n’était pas bien vu de professer l’idéologie communiste, il n’y a aucun doute là-dessus. .
Olga Lavrik, chimiste et directrice de laboratoire, a connu Akademgorodok dès ses débuts: "Quand la situation s'est à nouveau durcie dans le pays, dans les années 1970, ma génération a été choquée de ce revirement, et au fond de soi, elle a refusé de l'accepter pendant longtemps."
Un jeune chercheur interrogé par la RTS, Konstantin Kokh, né à Akademgorodok, enfant de parents eux-mêmes chercheurs, estime difficile de dire si la ville reste rebelle: "Je crois que les gens instruits deviennent de plus en plus apolitiques. Je peux parler de ce qui me concerne, et de mes connaissances, c'est le cas pour la plupart, car on se rend compte que dans un futur proche, on ne peut rien changer en Russie."
En Russie, il reste très peu de liberté d’expression
Résigné, le chercheur considère qu'aujourd'hui, "en Russie, il reste très peu de liberté d'expression, mais peut-être tout de même un petit peu plus ici que dans le reste du pays."
En février, lors de la visite du président Poutine à Akademgorodok, un chercheur qui brandissait une pancarte critique à l'égard du président a été rapidement écarté, et a écopé d'une amende.
Lors des difficultés économiques dans les années 1990, un très grand nombre de scientifiques ont quitté la Russie. Sous Vladimir Poutine, la situation s'est améliorée, notamment grâce à l'introduction de bourses importantes pour faire revenir les professeurs dès 2010.
Mais ces dernières années, les financements ont baissé, et une réforme de l'Académie des Sciences, initiée en 2013, a suscité le mécontentement d'un grand nombre de chercheurs, faisant craindre de nouveaux départs à l'étranger. Les salaires dans le milieu de la recherche restent par ailleurs très bas.
En 2006, le gouvernement russe a décidé de créer un parc technologique sur le territoire d'Akademgorodok. Il abrite aujourd'hui des startups et des entreprises plus confirmées dans des domaines tels que les technologies de l'information, les nanotechnologies ou la biomédecine.
L'entreprise suisse Xiag AG, qui développe des logiciels informatiques, s'est implantée à Akademgorodok en 2000, avant même l'arrivée du parc technologique.
"A cette époque-là, la Russie avait d'excellents informaticiens -grâce au niveau d'enseignement en mathématique, physique et programmation- mais pas les postes de travail. Nous, en Suisse, c'était l'inverse. On avait les postes de travail, mais il nous manquait les spécialistes", raconte Norbert Schott, directeur du centre de développement pour Xiag AG en Russie.
Dès le départ, une partie importante des collaborateurs de l'entreprise suisse travaillent depuis Akademgorodok, l'autre partie depuis la Suisse alémanique.
Quand il est 9 heures du matin à Novossibirsk, c’est la nuit à Zurich, idéal pour faire les mises à jour des clients
Aujourd'hui, continuer de travailler en Russie fait sens pour Xiag AG, même si Norbert Schott reconnaît que des décisions politiques -notamment la restriction d'outils internet à des fins de censure votée récemment par le Parlement russe- pourrait porter préjudice à des entreprises qui ne font pas de politique.
En Sibérie, les familles de détenus pour infractions liées à la drogue s'organisent. Elles dénoncent une politique répressive et corrompue où des consommateurs de drogues se retrouvent en prison pour des délits qu'ils n'ont pas commis. Ce sont en effet souvent les petits livreurs, et non les gros dealers, qui se retrouvent derrière les barreaux.
Le fils et le mari d'Olessia sont ainsi en prison, en attente de jugement depuis trois ans. Fin 2014, ils se sont inscrits sur un site internet de vente de spice, une nouvelle drogue de synthèse sur le point d'être interdite. Rapidement après l'interdiction, les deux hommes sont arrêtés. Ils étaient des simples livreurs. Ils risquent entre 10 et 20 ans de prison.
"Les policiers cherchent à faire du chiffre, en mettant en prison le plus petit maillon de la chaîne de trafic de la drogue, ceux qui ne décident de rien", explique Olessia, "alors que dans notre pays, la drogue continue de circuler comme avant..."
Beaucoup de jeunes, parfois de bonne famille, sans lien avec le monde criminel, se retrouvent ainsi pris au piège pour avoir livré de la drogue pendant un ou deux mois. En Sibérie, les peines prononcées sont souvent plus lourdes que dans le reste du pays.
En Sibérie, plus de 600 parents de détenus ont créé un groupe pour se soutenir. Ils ont contacté une célèbre ONG russe d'aide aux prisonniers, Rus Sidaïshaya, qui a ouvert dans la foulée une filiale à Novossibirsk.
Le coordinateur régional, Dmitri Petrov, explique à la RTS que la consommation de drogue n'est pas en soi un délit pénal en Russie, mais que des simples toxicomanes se retrouvent en prison, accusés de vente, un délit qu'ils n'ont pas commis: "Les policiers arrêtent un toxicomane qui a un ou deux paquets sur lui pour sa propre consommation. Mais comme ils veulent faire du chiffre, au lieu de le laisser partir, ou tout au plus de l'accuser de stockage de drogue, ils l'accusent de tentative de vente."
Et Dmitri Petrov ajoute: "Ou alors, et ça arrive souvent, les policiers l'effraient, et lui disent: 'on va te mettre en prison pour 10 ans, sauf si tu nous livres d'autres toxicomanes en échange' et ils le transforment en indicateur."
Cette politique répressive, qui récompense les policiers les plus zélés, ne cesse de provoquer des abus dans un système judiciaire profondément corrompu. L'an dernier, selon le Conseil de l'Europe, la Russie était le pays membre avec le plus grand nombre de détenus pour infractions liées à la drogue.
Vladivostok est la dernière station du Transsibérien. Ville portuaire à l'Extrême-Orient de la Russie, longtemps négligée, considérée comme un territoire purement militaire, elle a connu une véritable transformation en 2012, lorsque Vladimir Poutine a décidé d'y organiser le sommet de la zone économique Asie-Pacifique.
Deux magnifiques ponts à haubans ont été construits. Le premier, d'une longueur record, relie le centre-ville à l'île Rousski, où s'est tenu le sommet. Mais celui-ci n'a pas amélioré la vie des personnes qui habitent au fond de l'île, loin du pont. La liaison existante par bateau a été supprimée.
"Avec le bateau, c'était beaucoup plus pratique et rapide. Si avant, il me fallait deux heures pour aller travailler, maintenant il m'en faut quatre", déplore Denis Yasinkov, habitant de l'île. "Ils ont construit un pont, des infrastructures, mais leur trajectoire n'arrive pas jusqu'au quartier où habitent les gens."
Ville fermée à l'époque soviétique, Vladivostok a vécu après la chute de l'URSS de l'importation de voitures asiatiques, jusqu'à l'introduction d'une taxe en 2008. Aujourd'hui, au côté de la pêche et du transport maritime, la ville s'en sort de plus en plus grâce au tourisme.
Si avant, c'étaient les Russes qui allaient se promener le week-end et consommer en Chine, désormais, avec la baisse du rouble, c'est l'inverse. Le nombre de touristes japonais et sud-coréens a aussi augmenté.
Pour les touristes asiatiques, Vladivostok, c'est un bout d'Europe au milieu de l'Asie
Dans une région aussi dynamique que l'Asie-Pacifique, les résultats se font attendre pour l'instant en termes d'investissements à Vladivostok, même si la ville a adopté le statut de port franc en 2015.
"On a un grand problème de pression de la part du corps administratif sur les entreprises", note Andreï Ostrovsky, rédacteur en chef de Novaïa Gazeta à Vladivostok. "En Extrême-Orient russe et dans notre région en particulier, le nombre d'audits, et de contrôles de tout type est deux fois et demi plus élevé qu'ailleurs en Russie. Alors que dans une zone de port franc, ça devrait être l'inverse."
La corruption y est élevée. Dans l'histoire récente de la ville, les maires n'ont d'ailleurs jamais réussi à terminer leur mandat.
L’Extrême-Orient russe compte moins d’habitants que la Suisse, mais fait 150 fois la superficie de la Confédération.
Moscou a lancé un projet ambitieux pour repeupler la région: depuis l'an dernier, tout Russe qui le souhaite peut recevoir gratuitement une petite parcelle de terrain, une conquête du Far East, version vingt et unième siècle.
Denis Antsiferov, jeune cadre de Vladivostok, s'est associé avec une quarantaine de personnes pour cumuler des hectares au pied d'une montagne. Ils veulent y construire une école pour apprendre à connaître la nature, mais pas seulement: "On a l'intention de construire des installations pour faire du ski", explique-t-il, "puis aussi de planter un jardin botanique, ou encore proposer de la thérapie par les abeilles. Pour l'instant, on a reçu neuf hectares, et on veut commencer la construction de l'école ce printemps."
Premier obstacle, ils n'ont pas été très bien reçus par leurs futurs voisins, explique le jeune cadre. "Dans ce village, tous ne se réjouissent pas de notre arrivée. Ils menaient une vie tranquille, gagnaient de l'argent avec le tourisme de manière non déclarée, et là on arrive, on a beaucoup parlé de notre projet, et naturellement ça ne leur plaît pas."
Les terres les plus prisées sont celles près de la mer, dans le Kraï du Primorié aux alentours de Vladivostok. La météo est plus clémente, même des vignes sauvages y poussent.
Sergueï Kuretshko est l'un des premiers à avoir demandé un hectare pour agrandir son petit domaine où il fait du vin et accueille des touristes depuis plusieurs années, mais il pense que le projet ne marchera pas pour ceux qui se lancent sans expérience. D'autant que souvent l'eau, l'électricité, les routes manquent, et l'Etat n'est pas prêt à développer à ses frais les infrastructures au-dessous de 20 hectares.
Sergueï Kuretshko émet des doutes: "Les gens déménagent, inspirés, on leur donne une terre, mais où vont-ils travailler, et où les enfants iront-ils à l'école?"
Pour l'instant, 110'000 personnes se sont inscrites pour recevoir une parcelle, mais depuis, des milliers d'entre elles, rien que dans la région de Vladivostok, n'ont tout simplement plus donné de nouvelles, reconnaît l'administration régionale.
Dans le village de Steklyanukha, ce projet est le cauchemar des quelque 200 habitants. A la chute de l'URSS, ils sont devenus propriétaires d'une parcelle autour de leur maison, mais ce droit ne figure pas dans les nouveaux registres, raison pour laquelle elle a été attribuée comme hectare gratuit à d'autres citoyens.
Ils nous ont pris le potager, la terre qu'on cultive depuis 35 ans.
"Ils nous ont pris le potager, la terre qu'on cultive depuis 35 ans", s'énerve Vitaly Leonidov. "Je considère que c'est du vol. Parce qu'autour, des terres à l'abandon, il y en a des millions. Mais il leur faudrait amener de l'électricité, construire des routes et ils préfèrent s'emparer des terres travaillées déjà par d'autres."
L'habitant est en colère contre l'amateurisme du gouvernement. Les villageois ont envoyé des pétitions, rien n'y fait, c'est la justice qui va trancher. "Tout le village vit de son potager", insiste Vitaly Leonidov. "Il n'y a pas de travail ici, et les retraites sont modestes."
Avec ces hectares en cadeau, l'objectif était d'attirer les habitants de la Russie européenne, mais ce n'est qu'une très petite partie des demandes. Quant aux banques, elles ne se pressent pas pour financer les projets des plus téméraires ou romantiques, attirés par l'idée d'une terre au bout du monde.
La correspondante de la RTS à Moscou Isabelle Cornaz fait le point, dans Forum, sur la stratégie russe en Extrême-Orient, ses enjeux économiques et sécuritaires.
La région n'est pas pauvre, le sol regorge de ressources naturelles, mais la Russie peine à lâcher du lest sur le secteur énergétique, à l'ouvrir au capital étranger, ce qui permettrait de développer la région.
Ce tournant vers l'Asie, initié par Moscou il y a quelques années, n'est pas facile à réaliser du jour au lendemain, note l'expert du centre Carnegie Alexander Gabuev. Car historiquement, la Russie a été tournée pendant des siècles vers l'Occident.
Et encore aujourd'hui, c'est en Europe que l'élite politique russe cache son argent ou envoie ses enfants étudier. Autre frein au développement de l'Extrême-Orient: la centralisation du pouvoir. La région se trouve à sept fuseaux horaires de Moscou, mais c'est dans la capitale russe que les décisions sont prises.
Enfin, cette campagne électorale brille par l'absence d'enjeux autour du scrutin et de vision d'avenir de la part du président sortant.