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Comprendre l'affaire de Sarkozy et la Libye via ses principaux acteurs

L'ancien président français Nicolas Sarkozy lors d'une visite officielle en Libye, le 25 juillet 2007. [AFP - Patrick Kovarik]
L'ancien président français Nicolas Sarkozy lors d'une visite officielle en Libye, le 25 juillet 2007. - [AFP - Patrick Kovarik]
L'ex-président français Nicolas Sarkozy a été inculpé mercredi soir, sur des soupçons de corruption et de financement illégal de sa campagne de 2007 par le régime libyen de Kadhafi. Qui est accusé de quoi dans cette affaire?

La campagne présidentielle victorieuse de Nicolas Sarkozy en 2007 a-t-elle bénéficié de financements de la part de dignitaires du régime Kadhafi?

Cela fait cinq ans que la justice française enquête sur cette question, et l'investigation a connu une accélération avec le placement en garde à vue de l'ancien président mardi, suivi de sa mise en examen (inculpation) mercredi soir.

>> Lire : L'ancien président français Nicolas Sarkozy a été mis en examen

L'affaire est tentaculaire, les protagonistes présumés sont nombreux. Présentation des principaux visés ou entendus dans le cadre de l'investigation.

- Nicolas Sarkozy

L’ancien président (2007-2012), qui avait été placé en garde à vue mardi matin dans les locaux de la police anticorruption de Nanterre (région parisienne), a été mis en examen mercredi soir.

Les faits reprochés se seraient produits lorsqu'il était ministre de l'Intérieur et candidat à la présidence, soit entre 2005 et son élection en 2007. Une information judiciaire a été ouverte en avril 2013 pour corruption, trafic d'influence, faux et usage de faux, abus de biens sociaux et blanchiment, complicité et recel.

L'enquête a été élargie en janvier dernier à des faits présumés de "financement illégal de campagne électorale" en raison de l'importante circulation d'espèces constatée lors de sa campagne de 2007. Nicolas Sarkozy rejette l'intégralité des accusations.

>> Lire : Mis en examen, l'ex-président français Nicolas Sarkozy dénonce "une calomnie"

Le président français Nicolas Sarkozy et libyen Mouammar Kadhafi devant le palais de l'Elysée à Paris le 10 décembre 2007. [AFP - Franck Fife]
Le président français Nicolas Sarkozy et libyen Mouammar Kadhafi devant le palais de l'Elysée à Paris le 10 décembre 2007. [AFP - Franck Fife]

- Mouammar Kadhafi

Selon Mediapart, le site d'investigation à l'origine de la plupart des révélations sur l'affaire, Nicolas Sarkozy a rencontré feu le dictateur libyen en tête-à-tête une première fois en octobre 2005 à Tripoli. Seuls les deux traducteurs étaient aussi présents.

L’interprète de Nicolas Sarkozy a toujours refusé de révéler la teneur de cet entretien, invoquant le secret professionnel. Le traducteur de Mouammar Kadhafi, lui, a déclaré que la Libye avait alors décidé de financer la campagne de 2007.

Quatre jours avant les premières frappes occidentales sur la Libye, en mars 2011, Mouammar Kadhafi lui-même a fait des déclarations similaires lors d'un entretien pour un magazine de France Télévisions.

- Brice Hortefeux

Brice Hortefeux.
Brice Hortefeux.

Cet intime de Nicolas Sarkozy était également entendu mardi dans le cadre d'une "audition libre" et non d'une garde à vue.

Selon Mediapart, celui qui a été ministre durant le quinquennat Sarkozy aurait joué les intermédiaires auprès des dignitaires libyens.

Le site fait état d'une visite de Brice Hortefeux en Libye en décembre 2005, alors qu'il occupait les fonctions de secrétaire d’État aux collectivités locales.

Lors de ce déplacement, Brice Hortefeux a été mis en contact par l’intermédiaire Ziad Takieddine avec le chef des secrets intérieurs libyens, Abdallah Senoussi.

S'il a admis cette rencontre, Brice Hortefeux a jusqu’à présent toujours prétendu ne plus se souvenir de la teneur de leur conversation.

- Claude Guéant

Claude Guéant. [AFP - THOMAS SAMSON]
Claude Guéant. [AFP - THOMAS SAMSON]

Lui aussi très proche de Nicolas Sarkozy, dont il a été le directeur de campagne (avant de devenir secrétaire général de l'Elysée puis ministre de l'Intérieur), Claude Guéant est déjà inculpé dans l'affaire pour faux, usage de faux et blanchiment de fraude fiscale en bande organisée.

Les magistrats s'interrogent sur un virement de 500'000 euros perçu par Claude Guéant en mars 2008.

Il a affirmé qu'il s'agissait du fruit de la vente de deux tableaux, mais l'enquête judiciaire s'orienterait plutôt vers la piste libyenne: l'intermédiaire Alexandre Djouhri et le gestionnaire des comptes de Béchir Saleh (voir plus bas) se cacheraient en réalité derrière l'argent.

Dans un rapport relayé par Mediapart en octobre dernier, les policiers ont souligné "l’usage immodéré des espèces" par Claude Guéant et noté qu'il n’avait retiré de son compte bancaire que 800 euros entre 2003 et 2012.

Les enquêteurs ont aussi découvert que Claude Guéant avait loué en 2007 une grande chambre forte dans une agence bancaire parisienne, où il s’est rendu sept fois entre mars et juillet. Selon sa version, dans le but d'entreposer des discours de Nicolas Sarkozy.

Invité à réagir mardi, Claude Guéant a déclaré à France Info n'avoir "jamais vu un centime de financement libyen".

- Ziad Takieddine

Ziad Takieddine [AFP - Philippe Lopez]
Ziad Takieddine. [AFP - Philippe Lopez]

L'homme d'affaires franco-libanais dit avoir été l'artisan du rapprochement entre les dirigeants libyens et le cabinet de Nicolas Sarkozy.

En novembre 2016, Ziad Takieddine a raconté à Mediapart, puis à la police et au juge, comment il avait personnellement convoyé de Tripoli à Paris de l’argent liquide, à la demande d’Abdallah Senoussi.

Il a déclaré avoir remis en mains propres, deux fois à Claude Guéant et une fois à Nicolas Sarkozy, cinq millions d’euros dissimulés dans des valises au ministère de l’Intérieur entre novembre 2006 et janvier 2007. Ziad Takieddine est inculpé depuis ses aveux.

>> Lire  : "J'ai remis trois valises d'argent libyen à Guéant et Sarkozy"

- Abdallah Senoussi

Abdallah Senoussi [ANADOLU AGENCY - AFP - Hazem Turkia]
Abdallah Senoussi [ANADOLU AGENCY - AFP - Hazem Turkia]

L’ex-chef des services secrets libyens a reconnu lors d'une audition par la Cour pénale internationale en 2012 avoir "personnellement supervisé le transfert" de 5 millions d’euros pour la campagne de Nicolas Sarkozy.

Abdallah Senoussi est considéré par la justice française comme le principal organisateur de l’attentat contre l’avion de ligne du DC-10 d’UTA qui avait fait 170 morts, dont 54 Français en 1989. Il a été condamné par contumace en 1999 à la prison à perpétuité.

Selon les déclarations de Ziad Takieddine, Nicolas Sarkozy aurait promis à Abdallah Senoussi, lors d'une rencontre en octobre 2005, une amnistie "dès [sa] prise de fonction à la présidence de la République".

- Moussa Koussa

Moussa Koussa. [AFP - Mahmud Turkia]
Moussa Koussa. [AFP - Mahmud Turkia]

C'est la publication en avril 2012 par Mediapart d'une note attribuée à Moussa Koussa, ex-chef des services de renseignements extérieurs de la Libye, qui a fait éclater l'affaire.

La note est adressée à l'ex-directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi, puis dirigeant d'un fonds souverain libyen, Béchir Saleh (voir plus bas).

Datée du 10 décembre 2006, elle mentionne l'accord de principe du régime libyen au déblocage de 50 millions d’euros pour financer la campagne de Nicolas Sarkozy.

L’opération est menée sous l’autorité d’un troisième homme, le Premier ministre Baghdadi al-Mahmoudi (voir plus bas).

La justice française ne conteste pas l'authenticité du document malgré les tentatives de Nicolas Sarkozy de présenter le document comme un "faux grossier", rappelle Mediapart.

- Béchir Saleh

Béchir Saleh au côté de Mouammar Kadhafi. [AFP - Marwan Naamani]
Béchir Saleh au côté de Mouammar Kadhafi. [AFP - Marwan Naamani]

L'ancien "grand argentier" du régime libyen est considéré par beaucoup de familiers de l'affaire comme l’un des personnages-clés du supposé circuit de financement, "l'homme que tout le monde veut faire parler", en vain jusqu'ici.

Sans confirmer les accusations de Ziad Takieddine, il a toutefois cessé de les nier en bloc.

Dans un entretien au Monde en septembre dernier, il a déclaré: "Kadhafi a dit qu’il avait financé Sarkozy. Sarkozy a dit qu’il n’avait pas été financé. Je crois plus Kadhafi que Sarkozy."

Quelques mois plus tard, en février dernier, Béchir Saleh a été blessé par balle à Johannesburg, en Afrique du Sud, où il était réfugié depuis 2012. On ignore si l'incident est lié aux affaires franco-libyennes.

- Baghdadi al-Mahmoudi

Baghdadi al-Mahmoudi. [AFP - Mahmud Turkia]
Baghdadi al-Mahmoudi. [AFP - Mahmud Turkia]

L’ancien Premier ministre, aujourd’hui emprisonné en Libye, a fait des aveux en octobre 2011, lors d'une audience devant la Cour d'appel de Tunis.

"J’ai moi-même supervisé le dossier du financement de la campagne de Sarkozy depuis Tripoli, des fonds ont été transférés en Suisse, et Nicolas Sarkozy était reconnaissant pour cette aide libyenne, et n’a cessé de le répéter à certains intermédiaires", a-t-il alors déclaré.

- Choukri Ghanem

Choukri Ghanem. [AFP - Mahmud Turkia]
Choukri Ghanem. [AFP - Mahmud Turkia]

Ancien Premier ministre libyen jusqu'en 2006, Choukri Ghanem

était ministre du Pétrole et dirigeait la compagnie pétrolière nationale lors des tractations entre le régime Kadhafi et le clan Sarkozy.

Il tenait un journal de bord de l'activité du gouvernement libyen et dans l’un de ses carnets manuscrits, authentifié, il détaille en avril 2007 une partie du financement.

"J’ai déjeuné, chez Béchir Saleh, (le Premier ministre) al-Baghdadi était présent. Béchir a dit avoir payé 1,5 million d’euros à Sarkozy; quant à Saïf (al-Islam Kadhafi), il lui a envoyé 3 millions d’euros. (...) Abdallah Senoussi lui a également envoyé 2 millions d’euros", est-il écrit.

Exilé à Vienne, la capitale autrichienne, Choukri Ghanem sera découvert noyé dans le Danube durant l’entre-deux-tours de la campagne présidentielle de 2012.

- Alexandre Djouhri

Alexandre Djouhri. [AFP - Tolga Akmen]
Alexandre Djouhri. [AFP - Tolga Akmen]

Soupçonné d'avoir joué un rôle-clé dans le circuit financier, l'homme d'affaires Alexandre Djouhri a été arrêté en janvier à Londres en vertu d'un mandat d'arrêt européen émis par la justice française pour "fraude et de blanchiment d'argent".

Il avait été placé en détention provisoire, puis libéré après paiement d'une caution avant d'être à nouveau incarcéré fin février.

Souffrant de problèmes cardiaques, il est hospitalisé depuis une dizaine de jours à Londres.

Pauline Turuban avec agences

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