Nationaliste et conservatrice, l'Europe autoritaire s'affirme
Grand Format
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AFP - Attila Kisbenedek
Introduction
A l'instar de la Hongrie, où des élections se dérouleront le 8 avril, une partie de l'Europe prend un tournant autoritaire. Les majorités formées dans des pays tels que la Pologne, la République tchèque ou la Slovaquie incarnent une autre Europe que celle de Bruxelles, plus conservatrice, ancrée dans les nations et moins ouverte à l'immigration.
Chapitre 1
Le décryptage de Jean-Philippe Schaller
Ces démocraties dites "illibérales" jouent toutes la carte du peuple contre les élites, avec une caractéristique commune: le rejet de l’immigration et une grande méfiance envers l’Union européenne qui leur apporte pourtant beaucoup.
L'avortement et le mariage homosexuel sont aussi des thèmes qui cristallisent la différence avec l'Europe "libérale-libertaire".
Ces pays sont dirigés par des majorités solides, et pas forcément de droite. En Slovaquie par exemple, des sociaux-démocrates sont au pouvoir. Le Premier ministre hongrois de droite populiste Victor Orban, qui se présente pour un troisième mandat consécutif, en est la figure emblématique.
Le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker l'avait un jour accueilli d’un "Salut dictateur!". Il faut dire que pour les tenants de la construction européenne, le risque est grand de voir une majorité europhobe se dégager lors des prochaines élections européennes.
Chapitre 2
Les lieux des reportages
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Chapitre 3
En Pologne, le retour aux valeurs conservatrices
Politique anti-immigration, relents d'antisémitisme, durcissement de la loi sur l’avortement, contrôle de l’Etat sur la justice et la Constitution... Le très conservateur parti Droit et justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, poursuit le but de rendre aux Polonais leur fierté nationale, quitte à éloigner progressivement le pays des valeurs européennes.
Le président polonais Andrzej Duda ne s'en cache d'ailleurs pas, lui qui a critiqué en mars l'appartenance de son pays à l'UE, la comparant à l'occupation de la Pologne par la Russie, l'Autriche et la Prusse entre 1795 et 1918.
Depuis que nous sommes rentrés dans l’Europe, nos valeurs ont été oubliées.
Sa défiance envers Bruxelles n'est pas marginale. Beaucoup de Polonais la partagent, en particulier ceux qui résident loin des grands centres urbains. Garwolin, au centre-est de la Pologne, en est l'illustration.
Dans cette petite ville de 16'000 habitants située à une heure de Varsovie, tout le monde ou presque est catholique pratiquant. Six électeurs sur dix ont voté pour le PiS aux dernières élections. Le parti se fait fort de sa proximité avec l'Eglise et l'assume totalement.
"Tous nos membres sont des catholiques", se félicite Grzegorz Wozniak, député PiS du powiat (district) de Garwolin. "Depuis que nous sommes rentrés dans l’Europe, nos valeurs ont été oubliées. Nous, nous essayons de changer cela, de renverser la tendance", plaide le politicien.
Traditions et politique nataliste
Le lien très fort avec l’Eglise se traduit dans les valeurs et les réformes portées par le PiS, qui privilégie la famille et le respect des traditions. Le gouvernement fait de la natalité une priorité.
Il verse par exemple 500 zlotis, l’équivalent de 140 francs, pour chaque enfant à partir du deuxième.
Maciej Kurowski préside le comité local du PiS à Garwolin. Sa femme, Iwona, est elle aussi membre du parti. Ils l'assurent, la politique de Droit et justice s'est accompagnée de progrès sociaux pour les "vrais Polonais" et a sorti des familles de la précarité.
"Avant, les familles nombreuses dans mon école n’avaient pas les moyens de financer les sorties scolaires et culturelles de leurs enfants. Aujourd’hui elles ont l’argent", explique Iwona, mère de quatre enfants en congé parental.
Nous sommes différents de cette idéologie que l’Europe, sans en avoir l’air, essaie de promouvoir.
Fervent catholique, fier de son pays et de son appartenance politique, le couple se sent en décalage avec la société européenne et dit ne pas se reconnaître dans les "valeurs débridées occidentales".
"L’avortement, l’euthanasie, le mariage gay... Nous sommes différents de cette idéologie que l’Europe, sans en avoir l’air, essaie de promouvoir. Nous, nous sommes contre, nous sommes en majorité catholiques et cela ne nous convient pas", explique Maciej.
Les pro-vie donnent de la voix
Des associations pro-vie militent auprès des familles. Karol Galkowski appartient à l'association "Famille pour les familles", qui a érigé une stèle massive dans le cimetière de Garwolin dédiée aux bébés morts avant leur naissance. L'édifice a été financé par des dizaines de familles de la ville.
Mais si les anti-avortement se font entendre, la société
polonaise reste plutôt favorable au maintien du compromis actuel. La Pologne est déjà l'un des pays les plus restrictifs d'Europe en matière d'IVG, qui ne peut se pratiquer qu’à trois conditions.
Si le PiS réussissait à en supprimer une seule, la malformation du fœtus, plus de 95% des avortements aujourd'hui légaux ne seraient plus autorisés.
D'après Liliana Religia, membre de l'association Fédération des femmes et du planning familial à Varsovie, la politique nataliste du gouvernement est si forte que les médecins rechignent même à délivrer des moyens de contraception.
Alors la jeune femme coordonne un mouvement de femmes qui manifestent en noir à Varsovie, pour défendre leur droit à "avoir le choix".
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En Slovaquie, colère après le meurtre d'un journaliste
L'assassinat, en février, du journaliste d'investigation de 27 ans Jan Kuciak et de sa compagne Martina Kusnirova a mis le feu aux poudres en Slovaquie.
Les deux jeunes gens ont été abattus chez eux, alors que Jan Kuciak enquêtait sur la mafia calabraise et ses liens avec le gouvernement de gauche populiste de Robert Fico.
Si tu révèles une information, il y a de fortes chances pour qu’une sanction te tombe dessus.
Dans sa rédaction, Aktuality, le bureau de Jan Kuciak est resté intact. Son collègue Martin Tucek décrit un climat de peur généralisée.
"Les gens ont très peur de parler aux journalistes. Si tu révèles une information, il y a de fortes chances pour qu’une sanction te tombe dessus, surtout si tu entraves le business de quelqu’un", accuse le reporter.
"Sales prostituées anti-slovaques"
Les journalistes d'Aktuality ne sont pas près d'oublier la violence verbale de Robert Fico qui, il y a un an et demi, a lancé lors d’une conférence de presse: "Certains d'entre vous sont de sales prostituées anti-slovaques (...). Vous n'informez pas, vous vous battez contre le gouvernement."
Mais le climat est en train de changer. L’assassinat de Jan Kuciak a provoqué une onde de choc dans tout le pays, donnant naissance au mouvement social le plus important depuis la Révolution de velours contre l'autorité soviétique en 1989.
Des dizaines de milliers de manifestants défilent chaque vendredi dans les rues, pour réclamer une enquête indépendante sur le meurtre du journaliste et la fin de la corruption.
La Slovaquie est le sixième pays d'Europe le plus corrompu, selon le classement de Transparency international.
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A Topolcany, à une heure de la capitale, la colère face à cet état de fait s’exprime désormais tout haut.
"Quand vous voulez vous faire soigner à l’hôpital, il faut payer un dessous de table", explique une jeune maman. "Quand vous voulez obtenir quelque chose d’un tribunal, il faut payer. On a besoin d’un renouveau politique total."
Une démission de façade?
Après dix ans de pouvoir de Robert Fico, les manifestants ont obtenu sa démission mi-mars. Mais l’ex-Premier ministre, remplacé par son numéro deux, reste au pouvoir dans l’ombre. Beaucoup le considèrent comme le seul garant de la stabilité politique, alors que les partis extrémistes pullulent.
"J’ai voté pour Fico et je suis très déçu", explique un septuagénaire. "Mais je vous le dis: à cause de la corruption, nous avons créé de l’extrémisme partout. C’est difficile de s’en débarrasser et j’ai peur d’un avenir encore plus sombre."
C’est une révolution du cœur des jeunes Slovaques.
L’intellectuel Fedor Blascak a participé à la Révolution de velours en 1989. Il manifeste encore aujourd’hui, avec poésie mais sans illusion: "Comme Jan a été touché en plein cœur, je dirais que c’est une révolution du cœur des jeunes Slovaques", explique-t-il. "Ce qu’ils font avant tout, c’est tracer une ligne rouge, pour dire aux politiques: 'voici la limite à ne pas franchir'."
Chapitre 5
En République tchèque, le président eurosceptique fait les yeux doux à Pékin
Le président tchèque Milos Zeman, réélu au mois de janvier, a choisi comme conseiller économique un mystérieux magnat du pétrole chinois, Ye Jianming, réputé proche du président Xi Jinping.
Il l'a laissé racheter, en l'espace de quelques jours, le club de football star du pays Slavia Prague, une maison d'édition, l'un des plus anciens fabricants de bière tchèque, une banque et plusieurs bâtiments historiques. Depuis un an, des vols directs relient Prague à trois mégalopoles chinoises.
Avant l'arrivée au pouvoir de Milos Zeman en 2013, la République tchèque était pourtant l'un des pays les plus sévères envers la Chine. Mais cet eurosceptique a radicalement changé les relations de son pays avec l'Empire du milieu.
Selon le président tchèque, le pouvoir précédent était trop "docile" vis-à-vis de l'Union européenne. Cette volonté manifeste d'indépendance vis-à-vis de Bruxelles est une des raisons de la mobilisation de l'électorat en faveur de Milos Zeman.
Nous pensions que nous nous porterions mieux grâce à l'UE, mais ce n'est pas du tout le cas.
A Humpolec, petite ville située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Prague, nombreux sont ceux qui ont voté Zeman, ouvriers comme notables.
"Avec la création de l'Union européenne, nous avons perdu nos nations. Même nous, les nations post-communistes, avons perdu notre souveraineté. Nous pensions que nous nous porterions mieux grâce à l'entrée dans l'UE mais ce n'est pas du tout le cas", regrette Pavel, ouvrier du bâtiment à Humpolec.
"Ce qui me désole, c’est la volonté de l’Union européenne de faire venir des migrants ici. Ils ne nous apportent que du bazar", renchérit un serveur dans un restaurant de la ville.
"La porte d’entrée de la Chine en Europe"
Milos Zeman sait qu'une grande partie des Tchèques se méfie de Bruxelles, et il en use. Il est devenu pro-russe, pro-Trump et pro-chinois. En 2016, il a reçu en grande pompe le président Xi Jinping, et déclaré que "la République tchèque [serait] la porte d’entrée de la Chine en Europe."
En réalité, les Chinois sont très loin d’investir en République tchèque autant que les Européens. En septième position, la Suisse représente par exemple 3% des investissements étrangers dans le pays et dépasse largement l’Empire du milieu. Mais les investissements chinois ne passent pas inaperçus.
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"Zeman veut se présenter comme le type qui ouvre des nouvelles voies pour nos entreprises. Et il tire à l’Est toute, d’une façon très agressive", explique l’économiste Lukas Kovanda. "Economiquement, c'est un non sens."
Les gens disent: "Zeman est comme il est, mais il est drôle".
Ancien candidat à la présidentielle tchèque, Pavel Fischer est arrivé troisième face à Milos Zeman. Ce diplomate, qui a passé une partie de sa jeunesse en Valais, compare le président tchèque à son homologue américain.
"Donald Trump a fait de l’'entertainment', il a amusé la galerie. Zeman fait un peu la même chose. Les gens disent parfois: 'il est comme il est, mais au moins il est drôle'", décrit Pavel Fischer.
Pour ses opposants, la République tchèque de Milos Zeman est en train de prendre le même tournant diplomatique que la Hongrie et la Pologne, deux pays qui jouent eux aussi parfaitement le jeu chinois.
Chapitre 6
En Hongrie, la radicalisation du discours anti-immigration
En pleine campagne en vue des élections législatives du 8 avril, le Premier ministre hongrois Viktor Orban a encore radicalisé son discours contre l’immigration.
Devant des dizaines de milliers de supporters réunis à Budapest le 15 mars pour la fête nationale, il a une nouvelle fois agité la menace d’une invasion extérieure: "Si nous laissons faire, sur les deux décennies à venir, des dizaines de millions de migrants prendront la route de l'Europe à partir de l'Afrique et du Proche-Orient", a-t-il mis en garde.
Depuis 2015 et la grande crise migratoire, Viktor Orban a fait de la peur de l’immigration l’un des principaux ressorts de son pouvoir. Son discours séduit l’électorat conservateur et nationaliste qui reste traumatisé par la vue des centaines de milliers de personnes qui ont traversé le pays avant la fermeture de la route des migrants.
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J’ai très peur qu’Orban ne soit pas réélu et que tous ces migrants en profitent pour nous envahir.
"J’ai très peur qu’Orban ne soit pas réélu et que tous ces migrants en profitent pour nous envahir", confie notamment Rosa Pintér, une retraitée hongroise rencontrée dans un club de seniors de Budapest.
Viktor Orban, perçu par ses partisans comme un héros national, a bien compris que la question de l'identité culturelle et de sa préservation sont des thèmes porteurs dans le pays, car ils renvoient à des événements traumatisants de son histoire.
A écouter le dirigeant, les migrants, l’Union européenne ou encore les ONG financées par le mécène George Soros se seraient unis pour anéantir la Hongrie. Selon les derniers sondages, 41% des Hongrois s’apprêtent à voter Orban.
Viktor Orban a besoin d’ennemis pour conserver son pouvoir.
Selon le politologue Attila Jukàsz, la méthode Orban se résume en un "eux contre nous" et tous ceux qui ne soutiennent pas sa politique sont considérés comme un danger. "Viktor Orban a besoin d’ennemis pour conserver son pouvoir", explique-t-il.
Mais pour les détracteurs du Premier ministre hongrois, le spectre de l’immigration de masse agité par Viktor Orban et les membres de son parti, le Fidesz, est avant tout un écran de fumée.
Une diversion qui a permis au parti gouvernemental de remodeler les institutions à sa convenance et de détourner l’attention des vrais problèmes du pays, comme la santé, l’éducation ou encore la corruption - la Hongrie est le deuxième pays le plus corrompu d'Europe (voir carte plus haut).