Tout le monde est persuadé d'avoir vu les images de ces gigantesques étendues de plastiques, des déchets compacts en dérive au milieu des océans: les fameux "continents de plastique". Pourtant, selon plusieurs spécialistes interrogés par l'émission Tout un monde de la RTS, ils n'existent pas, ou en tout cas pas comme nous nous les représentons.
"Il existe des zones de convergence où les plastiques, pour des raisons de circulation des grands courants marins, vont se concentrer. Mais les quantités de plastiques dans ces zones sont très minimes. Ce sont quelques milliers de tonnes. Ce n'est rien par rapport à la production mondiale de plastique (voir encadré)", explique François Galgani, scientifique à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), à Bastia, et responsable d'un groupe d'experts sur les déchets marins pour l'Union européenne. "En aucun cas, il y a des continents de plastique, ni des quantités suffisantes pour justifier un ramassage".
Quantité et qualité des déchets suffisantes?
Le voilier géant Manta du projet "Sea Cleaners", présenté en avril par le navigateur neuchâtelois Yvan Bourgnon, est ambitieux, mais les scientifiques partagent un doute sur le fait d'aller rechercher les déchets en mer. "Le principe de nettoyer est uniquement valable quand il y a une valeur à ce qu'on récupère. Si vous allez rechercher des filets au fond de la mer, on pourra les recycler. Si on récupère des déchets sur les plages, cela a une valeur patrimoniale", estime François Galgani.
Le principe de nettoyer est uniquement valable quand il y a une valeur à ce qu'on récupère.
Il relève un autre problème: "Les quantités sont-elles suffisamment importantes pour pouvoir alimenter les entreprises de recyclage? Et la qualité des déchets permet-elle le recyclage? Car, en principe, ils sont dégradés et cela peut poser des problèmes sur le plan chimique". Sans compter le risque de capter aussi des animaux marins, comme des tortues de mer ou des poissons lunes en surface.
99% des déchets volatilisés
Pascal Hagmann, initiateur de l'ONG OceanEye, qui surveille la pollution des océans, voit "un concept très à la mode" dans le nettoyage des océans. Selon lui, cela a un sens sur le littoral ou à proximité des foyers de pollution, mais pas en pleine mer. "C'est une utopie!", dit-il. "Les concentrations de déchets y sont largement inférieures à ce que l'on imaginait. Ce sont quelques dizaines ou centaines de kilos par kilomètre carré. C'est à peu près 1% de ce qu'on s'attendait à trouver." En clair, concevoir des bateaux à 30 millions de francs pour tenter de repêcher l'insaisissable semble démesuré.
Les concentrations de déchets y sont largement inférieures à ce que l'on imaginait. (...) C’est à peu près 1% de ce qu'on s'attendait à trouver.
Pour Pascal Hagmann, la plus grande inquiétude est donc de ne pas savoir ce qu'il advient des 99% de déchets qu'on ne retrouve pas. "On ne sait pas s'ils sont fragmentés en toutes petites particules (...) s'ils sont ingérés par le plancton ou par d'autres organismes, ou s'ils sédimentent au fond des mers. On ne connaît pas tout le processus de transport de ces déchets plastiques et donc on n'est pas capable de quantifier les impacts de cette pollution."
Pierre Crevoisier/jvia
300 millions de tonnes de plastique par an
Le constat des scientifiques qui brise le "mythe" du "continent de plastique" n'enlève rien à l'urgence de la situation, sachant que le monde produit plus de 300 millions de tonnes de plastique chaque année et la tendance est à un doublement tous les 10 ans. Si cela continue ainsi, en 2050, on en sera à un milliard de tonnes. Et, sur cette quantité, 8 à 10 millions de tonnes sont répandues, tous les ans, dans les mers.