La fast-fashion est à la mode ce que le fast-food est l'alimentation. Les leaders du prêt-à-porter parviennent actuellement à réassortir leurs rayons en quelques semaines, alors que plusieurs mois étaient nécessaires auparavant pour confectionner de nouvelles collections.
Cette accélération est accrue par une baisse des prix pour les consommateurs et des réseaux logistiques bien rodés à travers la planète. Or, avec sa longue chaîne de production, cette industrie est devenue l'une des plus polluantes au monde.
Consommation doublée en 15 ans
Pour le seul marché français, ce sont 600'000 tonnes de vêtements qui sont mis en vente chaque année, selon l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Adem). Les chiffres montrent également que 20 kilos de vêtements par personne sont consommés chaque année, soit deux fois plus qu'il y a 15 ans. "Toutes les enseignes qui veulent faire des affaires se sont lancées dans la fast-fashion", explique Carlos Cordon, professeur à l'IMD, l'école de management de Lausanne. "D'ailleurs, les compagnies qui n'ont pas choisi de copier ce modèle, comme les sociétés traditionnelles américaines Gap ou The Limited, sont en baisse."
Ce modèle trouve son origine dans une stratégie opérée par Benetton dans les années 1990, lorsque la marque décide de commander des pulls en laine blancs afin d'adapter rapidement sa production en fonction des couleurs les plus en vogue. Le confectionneur réussit alors à livrer 10% de sa production en deux mois. Un concept repris par l'espagnol Zara, devenu leader de la fast-fashion, et qui produit actuellement des collections en deux semaines (lire encadré). "En allant très vite, on évite de produire des choses qui ne seront pas vendues à la fin de la saison. Ainsi, Zara se retrouve avec beaucoup moins de produits non vendus que les autres marques", indique Carlos Cordon.
Le défi du recyclage
La rapidité des changements de collection induit une baisse de qualité des vêtements et une utilisation croissante de matières chimiques. Cela représente un véritable défi pour le recyclage. "On trouve de plus en plus de vêtements fabriqués avec deux matières différentes", rapporte Sophie Saing, responsable chez Texaid, l'un des leaders européens du recyclage. "On trouvera de la laine et de l'acrylique ou du coton et du polyester. On essaie donc de séparer les fibres et voir comment les réintégrer dans la production."
Quant aux vêtements déposés dans les bennes, ils sont pour la plupart revendus à des magasins de seconde main et les bénéfices reversés à des oeuvres de bienfaisance. En Suisse, jusqu'à 65% des vêtements peuvent retourner à la vente, alors que 15% sont transformés en chiffons pour les garages et 15% en isolants. Le reste est brûlé ou jeté dans une décharge.
Obsolescence programmée
Frédéric Godard, professeur de psychosociologie des organisations à l'INSEAD (Institut européen d'administration des affaires) à Fontainebleau, en France, observe une volonté chez les confectionneurs de produire des tendances qui se démodent rapidement. "Un des gros problèmes de la fast-fashion, c'est que, de façon artificielle, les fabricants se dirigent vers des styles qui vieillissent mal. C'est une forme d'obsolescence programmée, même si les créateurs n'en sont pas conscients."
Selon lui, cette tendance donne davantage accès à la créativité. "C'est une révolution fondamentale dans la mode. Cela a permis à l'industrie de continuer la logique du prêt-à-porter, c'est-à-dire la production du plus grand nombre de styles possible pour le plus grand nombre de personnes. Elle a aussi permis à tout le monde de s'exprimer et d'avoir toute une panoplie de styles", avance Frédéric Godard.
Mouvements inverses
Face à la fast-fashion, un mouvement inverse semble toutefois se dessiner depuis 2012, avec un retour des fabricants vers l'Europe. "Il y a eu une flambée du prix du coton et des matières premières et certains ont décidé de trouver d'autres lieux de production", explique Sabine Schechinger, chargée de cours à la Haute école d'art et de design de Genève (HEAD). Cette dernière note aussi une certaine sensibilisation de la part des fabricants quant aux conditions salariales des employés ainsi qu'aux enjeux écologiques.
Du côté des consommateurs également, une tendance opposée à la fast-fashion se développe. Il s'agit de la slow-fashion, soit la volonté de se vêtir de manière écoresponsable. C'est ce que propose notamment la plateforme française Slow we are avec un magazine en ligne et un référencement des boutiques écologiques.
hend
Renouvellement des collections en trois semaines
Inditex, propriétaire notamment de la marque Zara, est l'un des leaders de la fast-fashion. Originaire de Galice, la société a été créée en 1963 par Amancio Ortega. Cinquante-cinq ans plus tard, le groupe espagnol représente 25,3 milliards d'euros (29 milliards de francs) de chiffre d'affaires pour un bénéfice net de 3,37 milliards d’euros. Il compte 88'000 employés, ainsi que 7500 boutiques réparties sur cinq continents et 96 pays.
La stratégie d'Inditex repose sur la proximité. En effet, 57% des usines qui travaillent pour le groupe se trouvent en Espagne, au Portugal, au Maroc et en Turquie. Même si les coûts de production sont plus chers, le groupe en tire néanmoins un grand avantage. "(Inditex) peut s'adapter très rapidement aux goûts des consommateurs et parvient, en trois semaines, à mettre un nouvel article sur le marché", explique Rosario Silva, professeur de stratégie à l’IE Business School à Madrid.
>> Le portrait du groupe Inditex: