"Tout le monde peut voler", scande un slogan affiché sur les avions qu'il voit atterrir et décoller. "Tout le monde", sauf Hassan Al Kontar.
Lui est cloué au sol depuis le 7 mars 2018. Dans l'immobilité de sa condition, il observe inlassablement le va-et-vient des autres passagers.
C'est dans ce terminal 2 que l'homme a fêté son 37e anniversaire et assisté virtuellement au mariage de son petit frère.
C'est là qu'il se douche tant bien que mal au-dessus de lavabos, qu'il dort sur un matelas de fortune et qu'il mange trois fois par jour le même plateau-repas à base de riz et de poulet.
Les réseaux sociaux pour seule tribune
C'est grâce à son smartphone, et au wifi de l'aéroport, que le Syrien maintient un lien avec le monde, notamment via les réseaux sociaux. Son compte Twitter, où il partage des photos et vidéos de son quotidien, est suivi par plus de 15'000 personnes.
Une page Wikipédia lui est même consacrée. "On me l'a montrée, mais je ne sais pas qui l'a créée", dit-il amusé.
Le labyrinthe vers la captivité
La captivité de Hassan est le résultat d'un parcours sinueux. Le Syrien n'a plus mis les pieds dans son pays depuis dix ans.
Lorsque le conflit syrien éclate en 2011, il vit aux Emirats arabes unis, et refuse de rentrer pour faire la guerre. Son passeport n'est pas renouvelé, il perd son travail et vit dans la clandestinité.
En janvier 2017, il est expulsé vers la Malaisie, où il obtient un visa provisoire. Comme le pays n'a pas signé la Convention de Genève sur les réfugiés, il ne peut y demander asile.
À l'expiration de son permis de séjour, Hassan Al Kontar tente de rejoindre l'Equateur, pays qui n'exige pas de visa des citoyens syriens. C'est une compagnie aérienne turque qui refuse de l'embarquer.
L'homme parvient à prendre un vol pour le Cambodge, mais il est renvoyé dans le même avion à Kuala Lumpur. Ne pouvant plus rentrer en Malaisie, le terminal 2 devient sa seule demeure, à durée indéterminée.
Déçu des agences onusiennes
Lorsqu'il contacte le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), le Syrien se dit déçu:
Depuis quatre mois, Hassan assure n'avoir aucune nouvelle de l'agence onusienne. Contacté par RTSInfo, l'UNHCR répond que "le gouvernement malaisien a fait une offre généreuse permettant à l'homme d'entrer en toute sécurité dans le pays et d'y obtenir un statut légal provisoire."
Or, le Syrien ne veut plus de solutions provisoires qu'il sait sans avenir. "Au final, je veux un statut légal stable, pour pouvoir m'installer, travailler et ne pas craindre une expulsion."
Le Canada, seul Eldorado
Retourner en Syrie n'est pas une option pour Hassan, qui dit être recherché par les services de sécurité, surtout depuis la médiatisation de son histoire et de ses opinions politiques.
La seule porte de salut du Syrien à ce jour est le Canada. "Des gens là-bas m'ont trouvé un avocat, des garants et même un travail, puis ils ont déposé ma demande d'asile."
La procédure doit durer entre 20 et 24 mois. Une pétition en ligne, à ce jour signée par près de 50'000 personnes, appelle les autorités à accélérer le processus.
"Souvent les gens, après avoir vu un reportage sur moi, me proposent de venir chez eux. Je dois alors leur expliquer les lois restrictives de leur pays qui m'en empêchent."
En Suisse, la possibilité de présenter une demande d'asile depuis l'étranger a été supprimée fin 2012. Une révision de la loi sur l'asile allant dans ce sens a été acceptée lors d'une votation populaire le 9 juin 2013.
L'illusoire choix de la légalité
Après huit ans à la recherche d'un refuge, Hassan Al Kontar se dit prêt à rester dans ce terminal tant qu'il ne trouvera pas une solution légale.
Le Syrien est conscient de payer le prix de son honnêteté. "Si je m'infiltrais illégalement, peut-être qu'aujourd'hui je serais tranquillement installé en Suisse, au Danemark ou en Hollande. Mais j'ai choisi la légalité."
L'homme raconte avoir ainsi décliné de nombreuses propositions de mariage. "Je remercie ces femmes de vouloir m'aider, mais je leur explique que ce serait aussi une manière de contourner la loi."
La résilience pour ne pas céder
Sur les réseaux sociaux, Hassan est admiré pour la bonne humeur et la résilience dont il fait preuve.
Si l'homme est reconnaissant de tout le soutien qu'il reçoit, il avoue avoir parfois besoin de s'isoler pour garder des forces.
Après six mois de survie dans le terminal 2 de l'aéroport de Kuala Lumpur, Hassan Al Kontar est prêt à tenir le temps qu'il faudra. "Je n'ai pas le choix", conclut-il.
Mouna Hussain
Plusieurs histoires similaires
Hassan Al Kontar n'est pas un cas unique. Plusieurs réfugiés sont par le passé restés bloqués plus ou moins longtemps dans un aéroport.
En début d'année, une famille syrienne composée de deux frères et de leurs parents ont vécu trois mois à l'aéroport de Kuala Lumpur, dans le Terminal 1, et n'ont donc pas pu croiser Hassan Al Kontar, qui se trouve lui dans le Terminal 2.
En racontant son histoire, Hassan espère avoir sensibilisé l'opinion publique à la question des réfugiés: