Le maire de Bangui, petit village du sud du Niger, désigne d'un geste de la main les restes calcinés d'une case. "On a retrouvé trois corps ici. Ils ont été tués par des machettes, des coupe-coupe. Eux n'ont pas été brûlés, mais tout autour d'eux a été incendié".
Deux ans ont passé, mais le village porte encore les traces de cette funeste nuit du 1er novembre 2016, où 24 personnes ont perdu la vie dans des affrontements entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires. Un déferlement de violence, signe des tensions profondes qui règnent au Niger chaque année à la période des récoltes.
De la complémentarité à la concurrence
Dès la fin de la saison des pluies, autour de la mi-septembre, les éleveurs nomades descendent du Nord avec leurs troupeaux, à la recherche de pâturage. Cette transhumance a longtemps été régie par des règles implicites: les agriculteurs libéraient leurs champs après la récolte, et les éleveurs venaient y faire paître leurs bêtes, dont les excréments enrichissaient les sols.
Mais le changement climatique et la pression démographique ont changé la donne. Là, où, auparavant, les éleveurs trouvaient de quoi nourrir leurs bêtes, ils découvrent aujourd'hui des champs nus. "Les agriculteurs ramassent tout, la paille, les tiges, pour les vendre", déplore Inoua Halilou, éleveur. "Ils font cela parce que leurs récoltes sont de plus en plus maigres et qu'ils ont besoin d'argent. Mais il n'y a plus à manger pour nos troupeaux".
De leur côté, les agriculteurs reprochent aux éleveurs d'être trop impatients. "Ils n'attendent pas jusqu'à la libération des champs, ils viennent alors que les récoltes ne sont pas finies. On ne peut pas accepter que les animaux fassent des dégâts sur nos terres", répond Lawali Salou, agriculteur à Bangui.
100 à 120'000 hectares perdus chaque année
Jadis alliés, agriculteurs et éleveurs sont aujourd'hui en situation de concurrence. Et le manque de terre cultivables exacerbe le problème. On estime qu'entre 100 et 120'000 hectares de terre sont perdus chaque année au Niger, à cause de la désertification et de l'épuisement des sols. Dans ce pays où la croissance démographique est l'une des plus fortes au monde, la sécurité alimentaire est menacée en permanence.
Dans ce contexte de tension extrême, teinté par les rivalités ethniques, le moindre conflit peut déraper.
Des semences pour rétablir la paix
Pour ramener la paix, le gouvernement nigérien, aidé notamment par la Coopération suisse (voir encadré), a aménagé des milliers de kilomètres de couloirs de passages balisés pour les troupeaux, ainsi que des aires de pâturages desservies par des puits pastoraux.
Mais le Niger mise aussi sur une autre piste: le développement d'une agriculture mieux adaptée au climat. L'Institut national de recherche agronomique du Niger (INRAN) crée, par croisements, de nouvelles variétés de céréales et de légumes qui résistent mieux à la sécheresse. "Avec le changement climatique, souvent les pluies s'arrêtent trop tôt. Seules les variétés précoces parviennent à boucler leur cycle", explique Adamou Hassan, agriculteur.
En outre, ces semences améliorées permettent un meilleur rendement. "On peut facilement doubler, sinon tripler les récoltes", détaille Salami Issoufou, coordinateur de l'Unité semencière de l'INRAN. Aujourd'hui, des dizaines de variétés de mil, de sorgho ou de niébé améliorés sont commercialisés dans le pays. "Mais seul un paysan sur dix utilise ces semences améliorées. C'est le grand défi aujourd'hui: il faut rendre accessible ces semences, qui sont un peu plus chères que les semences classiques, aux petits producteurs."
Le Niger est considéré comme le pays le plus pauvre de la planète selon l'indice de développement humain. Trois Nigériens sur quatre vivent avec moins de deux dollars par jour. Dans ce pays dont 80% de la population dépend encore des revenus de l'agriculture et de l'élevage, la paix est, plus que jamais, un enjeu majeur.
Valérie Gillioz
Cette enquête a été réalisée dans le cadre du projet En Quête D'ailleurs, en collaboration avec Abdul Aziz Gérard, journaliste à Télé Sahel
L'engagement suisse sur place
La Coopération suisse œuvre depuis vingt ans pour la résolution des conflits entre agriculteurs et éleveurs au Niger. Elle a notamment contribué à aménager 1500 km de parcours de transhumance balisés, ainsi que 120 puits pastoraux.
La Suisse a également collaboré avec le gouvernement nigérien à une redéfinition de la législation foncière et de l’aménagement du territoire, particulièrement les règles d’accès aux ressources naturelles.
La Cure salée, une tradition pastorale soumise à des mutations
Chaque année, à la mi-septembre, les éleveurs se rassemblent à Ingal (province d'Agadez), pour célébrer la fin de la saison des pluies. Pendant plusieurs jours, des milliers d'éleveurs nomades peuls, touaregs et arabes venus du Niger et des pays voisins (Mali, Tchad, Nigeria…) se retrouvent dans cette vallée connue pour ses pâturages riches en sels minéraux, et profitent, après une année de séparation, de renouer des liens d'amitié, d'échanger des informations et de célébrer des mariages.
La tradition pastorale, très forte encore dans le pays, est aujourd'hui confrontée à de profondes mutations, liées notamment au dérèglement climatique et à la croissance démographique galopante. "Aujourd'hui, le Niger a besoin d'un élevage intensif, et non plus transhumant. Les pasteurs souffrent. Il manque de pâturage et il y a de plus en plus d'animaux. Il faut que l'Etat accompagne ces éleveurs pour les amener, non pas à se sédentariser carrément, mais au moins créer des fermes. Le pasteur avec une ferme, aliment et bétail, peut faire face à ce changement climatique", analyse Anacko Mohamed, président de l'Association des Régions du Niger.