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Comment Ryad se prépare à expliquer la disparition de Jamal Khashoggi

La journaliste française Christine Ockrent (ici, en 2016). [AFP - Jacques Demarthon]
Disparition du journaliste Jamal Khashoggi: interview de Christine Ockrent / Forum / 7 min. / le 19 octobre 2018
La pression s'accentue sur l'Arabie saoudite et son jeune prince héritier, après la disparition de Jamal Khashoggi. Selon la journaliste Christine Ockrent, Ryad va devoir "mettre en place un récit" pour s'en sortir.

Plusieurs médias, dont le New York Times, affirment que des proches du prince Mohammed ben Salman seraient directement impliqués dans la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

La journaliste française Christine Ockrent vient de publier un ouvrage consacré à l'héritier, "Le prince mystère de l'Arabie - Mohammed ben Salman, les mirages d'un pouvoir absolu", aux éditions Robert Laffont.

Interrogée vendredi dans l'émission Forum, elle s'attend à voir apparaître prochainement à Ryad une version officielle des événements qui écarterait une responsabilité directe de l'Arabie saoudite au profit d'un "dérapage".

Consignes outrepassées ou amateurisme

"A en croire certaines sources sur place, et à lire aussi la presse internationale, on voit que le pouvoir à Ryad va essayer de mettre en place un récit en faisant porter le chapeau à des gens qui auraient soit outrepassé leurs consignes, soit été - par amateurisme et manque de maîtrise de soi - bien au-delà de ce qui leur était demandé", explique-t-elle sans certitudes.

"Est-ce que c'est le récit officiel qui va petit à petit s'installer?", s'interroge Christine Ockrent. "Il y en a un autre que l'on voit sur les réseaux sociaux saoudiens et qui correspond à l'aspect paranoïaque de ce régime. Il consiste à dire que ce n'est pas Ryad qui a orchestré la disparition de Khashoggi mais le Qatar. Parce que Ryad et Doha se mènent une guérilla diplomatique."

La prudence reste de mise

Dans plusieurs entretiens à la presse en France, la journaliste a affirmé que le prince héritier Mohammed ben Salman pourrait être directement lié au possible meurtre de Jamal Khashoggi. "Je crois quand même qu'il faut rester très prudent", dit-elle aujourd'hui, "parce que je souligne à chaque fois qu'il n'y a pas de preuve des affirmations des médias turcs. Qui dit médias turcs dit en fait des journalistes ou des officiels approuvés par le pouvoir de M.Erdogan, qui comme chacun le sait n'est pas franchement un grand ami de la presse indépendante. Donc il n'y a pour le moment que les affirmations turques", relève-t-elle.

Propos recueillis par Mehmet Gultas

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Jamal Khashoggi, un personnage complexe

Le journaliste porté disparu n'a pas toujours été un opposant, rappelle Christine Ockrent.

"Il a fait tout son parcours, pendant assez longtemps, au sein même du pouvoir saoudien", rappelle-t-elle. "Il était le proche conseiller de l'un des cousins de l'actuel prince héritier, le prince Tourki ben Fayçal, patron des services de renseignement puis ambassadeur à Londres et à Washington."

Jamal Khashoggi était aussi un Frère musulman, note la journaliste, "c'est-à-dire qu'il appartenait à cette mouvance qui considère (…) que l'islam politique peut être pour les pays musulmans une voie plus égalitaire, plus efficace, que les dynasties absolues."

Le Saoudien s'est ensuite rendu compte des méthodes de plus en plus répressives du prince héritier et est parti s'établir à Washington où il est devenu un personnage central dans la sphère médiatique de la capitale américaine. "Il donne les clés d'un système qui reste absolument opaque aux yeux de la plupart des observateurs, et un système qui est aussi celui de l'allié le plus proche et le plus puissant des Etats-Unis", relève Christine Ockrent. C'est en cela, sans doute, qu'il est devenu dérangeant pour le pouvoir de Ryad.

Les recherches se poursuivent en Turquie

Après avoir fouillé cette semaine le consulat saoudien et la résidence du consul, les enquêteurs turcs ont élargi vendredi les recherches du corps de Jamal Khashoggi à une vaste forêt d'Istanbul.

Des images de vidéosurveillance prises le 2 octobre, jour de la disparition du journaliste, ont montré qu'au moins un véhicule muni de plaques diplomatiques y avait pénétré après avoir quitté le consulat selon la chaîne de télévision privée turque NTV.

Le parquet turc a recueilli par ailleurs, vendredi, les témoignages d'employés turcs du consulat saoudien d'Istanbul. Au total, 15 membres du personnel ont été entendus, indique NTV.