Dirigeant du plus grand cartel du Mexique pendant près de 30 ans, doublement évadé de prison, qualifié de plus grand criminel du XXIe siècle, héros d'une série Netflix.
Le procès de Joaquin Guzman Loera, plus connu sous le nom de "El Chapo" (le trapu en espagnol), s'est ouvert la semaine passée à New York. Les plaidoiries doivent débuter mardi.
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"El Chapo est un mythe, un bouc émissaire qui sert à occulter le système qui l'a produit," tranche sur les ondes de la RTS Jean Rivelois, sociologue à l'Institut de recherches pour le développement (IRD) à Paris.
Le pacte entre cartels et Etat
Pour le spécialiste des cartels mexicains, si El Chapo Guzman a tenu aussi longtemps comme baron de la drogue, c'est parce qu'il s'est plié à un pacte avec les autorités.
"L'Etat considère ces narcotrafiquants comme des entrepreneurs. Ils ont monté une affaire, emploient une main d'oeuvre importante, réalisent des bénéfices et doivent donc payer un impôt informel", explique Jean Rivelois dans l'émission Tout un Monde de La Première.
Une guerre contre-productive
Seulement, en 2007, sous la pression nord-américaine, l'Etat mexicain rompt ce pacte en déclarant la guerre aux cartels, provoquant un cycle infernal de violences qui dure jusqu'à aujourd'hui, et dont la population est la principale victime, estime le sociologue.
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L'arrestation et l'extradition d'El Chapo aux Etats-Unis n'auront ainsi servi à rien, soutient le sociologue. "La violence continue à sévir au Mexique. Les cartels se sont diversifiés. En plus du trafic de drogue, ils font aussi dans l'extorsion, les enlèvements, le trafic d'armes et d'êtres humains."
Paradoxalement, l'emprisonnement des parrains a aussi eu pour effet de diviser les cartels, créant une "guerre supplémentaire, qui se superpose à celle entre militaires et narcotrafiquants."
Repactiser, pour sortir du cycle infernal
Mettre fin à la violence sera le principal défi du nouveau président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, qui entrera en fonction le 1er décembre prochain.
Pour y parvenir, l'Etat n'aura d'autre choix que de repactiser avec les cartels, tout en s'imposant comme acteur dominant, estime Jean Rivelois. En plus d'une action militaire, les autorités devront notamment récupérer certaines régions où les services publics ont été laissés aux mains des cartels, érigeant les barons de la drogue en Robins des bois.
Plusieurs manifestations réclament d'ailleurs la libération du baron de la drogue, dont le procès est censé durer plus de quatre mois.
Mouna Hussain
Propos recueillis par Cédric Guigon