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Un vent de répression s'est à nouveau levé sur les étudiants chinois

Manifestation contre l'engagement illégal d'étudiants dans l'usine Apple à Pékin, 08.11.2018. [AFP - Zhifan Liu]
Un vent de répression s'est à nouveau levé sur les étudiants chinois / Tout un monde / 4 min. / le 14 novembre 2018
Depuis deux mois, plusieurs dizaines d'étudiants issus des meilleures universités chinoises ont été passés à tabac, arrêtés ou ont disparu de la circulation. Ils s'étaient engagés dans un mouvement de défense des travailleurs.

Le dernier incident en date - de mystérieuses interventions menées dans plusieurs villes du pays - s'est déroulé le week-end dernier. Des forces de sécurité ont pris d'assaut certains dortoirs universitaires, et des étudiants ont été passés à tabac par des hommes vêtus de noir. Des groupes d'activistes font état d'une vingtaine d'arrestations vendredi soir à Pékin, Shanghai, Wuhan, Canton et Shenzhen. D'autres incidents auraient aussi eu lieu à Nankin.

Au nom des principes marxistes

Tout a commencé en août dernier par une manifestation ouvrière dans le sud du pays, pour exiger la création d'un syndicat. Ces revendications ont été soutenues par des étudiants locaux, au nom des principes marxistes. Refus des patrons et intervention musclée de la police ont suscité l'indignation des étudiants, qui ont mobilisé leurs pairs à travers le pays via les réseaux sociaux.

Cette mobilisation a fait réagir le parti et 40 jeunes ont été arrêtés en toute discrétion à fin août. Depuis, des groupes d'étudiants exigent leur libération et une seconde rafle a donc eu lieu le week-end dernier.

Les autorités aggravent le problème par leur répression des étudiants.

Geoffrey Crothall

"C'est la première fois que ces problèmes interpellent à ce point, qu'ils suscitent autant de tensions. C'est la première fois que le gouvernement adopte une ligne aussi dure envers les étudiants", relève le directeur de communication du China Labor Bulletin Geoffrey Crothall. "Les autorités aggravent le problème par leur répression des étudiants. L'arrestation ou l'enlèvement de ces jeunes activistes stimulent le mouvement plutôt que d'y mettre un terme", poursuit le représentant de cette ONG hongkongaise en faveur des droits des travailleurs.

Un étudiant évoque "une trahison du pouvoir"

Vérification faite par la RTS sur un campus de Shanghai, il s'avère que beaucoup d'étudiants ne sont au courant de rien alors que d'autres refusent d'évoquer l'affaire. Hors micro, un jeune étudiant en philosophie confirme tout de même les arrestations et les disparitions, en évoquant une trahison du pouvoir. Ce dernier n'a pas changé depuis 1989, estime-t-il, en faisant référence à "l'incident", euphémisme utilisé par certains initiés en Chine pour qualifier le célèbre massacre de manifestants prodémocratie sur la place Tian’anmen à Pékin, parmi lesquels des milliers d’étudiants.

Le parti communiste n'est jamais parvenu à exorciser ce vieux démon et tente de l'effacer de la mémoire collective.

Cet épisode se distingue sans doute par son caractère politique. Il a clairement touché un nerf.

Geoffrey Crothall

Mais il y a aussi une vraie conscience politique dans le mouvement actuel et c'est assez inhabituel. Geoffrey Crothall pointe un mouvement ouvrier très organisé, aux revendications précises: "99% des manifestations de travailleurs ne véhiculent pas de revendications politiques à proprement parler. Elles émanent de tensions économiques, comme le non-paiement des salaires, etc. Alors oui, cet épisode se distingue sans doute par son caractère politique. Il a clairement touché un nerf", analyse-t-il.

Et c'est surtout parce que ces étudiants se réclament de courants de pensée de gauche, comme le marxisme et le maoïsme. Or le parti communiste considère qu'il a le monopole de ces discours et devient très nerveux lorsque des gens extérieurs au parti prétendent représenter le vrai communisme ou le vrai marxisme.

Tous les problèmes de justice sociale en général deviennent de plus en plus saillants.

Geoffrey Crothall

C'est une situation paradoxale alors que le président Xi Jinping ne cesse de prôner le retour aux valeurs socialistes fondamentales et s'affiche comme le défenseur du marxisme-léninisme.

Ces valeurs parlent à beaucoup de jeunes Chinois aujourd'hui. "Je pense que de plus en plus d'étudiants redécouvrent le marxisme et le maoïsme en réponse aux problèmes actuels de la société - c'est-à-dire le fossé énorme entre les riches et les pauvres en Chine, qui se creuse davantage chaque année", analyse Geoffrey Crothall. "Tous les problèmes de justice sociale en général deviennent de plus en plus saillants."

Les problèmes sociaux raviveraient une conscience politique. Bien que le mouvement actuel semble être un épiphénomène, les autorités restent vigilantes - particulièrement en raison du contexte de ralentissement économique. Les tensions commerciales avec les Etats-Unis sont par ailleurs loin d’être prises à la légère par le parti, malgré un discours officiellement serein.

Michael Peuker/oang

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