Depuis le début de la législature en 2016, plus de 120 démissions d'élus ont été enregistrées dans les exécutifs communaux du canton de Fribourg, soit un taux de plus de 13%. Les districts de la Sarine (20%), de la Singine (16%) et de la Gruyère (15%) sont les plus impactés. Et le phénomène pourrait encore s'accentuer puisque la législature court jusqu'en 2021.
"On a enregistré un nombre plus important de démissions depuis le début de la législature", confirme à la RTS Samuel Russier, secrétaire général de la Direction des institutions, de l'agriculture et des forêts (DIAF). "On a aussi constaté une augmentation des tensions (...). Ces deux phénomènes nous ont fortement préoccupés et incités à réfléchir à des mesures."
Aussi, au début de l'année, le canton de Fribourg a mis sur pied un groupe de coordination dédié, qui réunit les préfets, la Direction des communes et l'association des communes fribourgeoises. Sa mission: rendre la fonction d'élu communal plus attractive.
La plupart des cantons romands concernés
Quasiment tous les cantons romands sont confrontés à la problématique des départs d'élus en cours de mandat au sein d'un exécutif communal. Ils sont des dizaines à jeter l'éponge à chaque législature, comme le montrent les chiffres les plus récents collectés par la RTS auprès des autorités cantonales.
Près de deux ans avant les prochaines élections, le taux de démissions dans les exécutifs communaux du canton de Vaud s'élève à 12% (200 élus ont à ce stade renoncé à leur mandat). La précédente législature s'était achevée sur un taux de 18% (plus de 300 départs).
Dans le Jura, après un an et demi d’exercice, 12 membres d’un exécutif communal ont déjà quitté leur poste. Si le rythme des départs se poursuit, le taux de démissions de la législature actuelle pourrait dépasser les 12%. Et le canton de Genève, où la législature s'achèvera dans quelques mois, affiche actuellement un taux de démission jamais vu de 11% - conséquence des départs de 15 élus sur 135.
Les taux les plus faibles se constatent en Valais, ce qui peut sûrement au moins en partie s'expliquer par le fait que l'obligation de servir (voir encadré) est en vigueur dans le canton et restreint le droit de démissionner d'un mandat communal.
Multiples motifs d'abandon
La difficile conciliation entre engagement politique, vie professionnelle et familiale est le motif le plus souvent invoqué par les élus communaux démissionnaires. Une multitude de causes personnelles peuvent aussi entrer en jeu: "surcharge de travail, complexification des dossiers, le fait que la fonction ne corresponde pas aux attentes", énumère Christophe Riat, délégué aux affaires communales du canton du Jura.
Dans un article du magazine Commune suisse datant de mai dernier, le préfet du district de la Sarine Carl-Alex Ridoré et la préfète du district de Morges Andrea Arn évoquent également la mauvaise ambiance qui règne au sein de certains exécutifs et le manque de reconnaissance pour le travail fourni.
Samedis, dimanches, jours fériés, vacances... Il faut tout le temps être disponible.
Parfois aussi, la santé vacille. Brigitte Carrillo a ainsi quitté au printemps la commune genevoise de Collex-Bossy, après environ un an d'arrêt maladie lié à un burn-out qu'elle attribue "à 99%" à son mandat d'adjointe au maire. Une activité extrêmement "accaparante" bien qu'"enrichissante", confie-t-elle à la RTS.
"La nuit, le jour, samedis, dimanches, jours fériés, vacances... Il faut tout le temps être disponible en fait. Et quand je dis la nuit, c'est parce que la nuit vous ressassez tout ce que vous avez fait dans la journée (...). On est tout le temps en train de se remettre en question, ce qui n'arrange rien", raconte l'ancienne élue.
Alors que la charge est officiellement estimée à 20%, Brigitte Carrillo s'était d'elle-même préparée au double. "Mais, même là, je l'avais sous-estimée", admet-elle.
Fusions de communes encouragées
La plupart des cantons contactés par la RTS se disent préoccupés par la problématique. Parmi les pistes évoquées pour y remédier, les fusions de communes reviennent souvent. Moins de communes signifie moins d’élus à trouver, mais aussi des tâches souvent plus intéressantes, ce qui contribue à réduire le risque de démission.
Le politologue François Cherix, qui a lui-même occupé une charge communale il y a une vingtaine d’années à Villars-le-Comte (VD), évoque un seuil minimal: une commune devrait compter au minimum 5000 habitants.
Les citoyens ont peur que le rapport de proximité disparaisse.
Dans certains cantons, de nombreuses fusions de communes ont eu lieu ces dernières années. C'est le cas de Neuchâtel, qui ne compte plus que 31 communes. Loin de Vaud qui en compte 309, dont la moitié habitées par moins d'un millier d'habitants. Le canton a engagé des mesures destinées à encourager les fusions, mais les résistances et les difficultés sont fréquentes.
"Les citoyens ont peur que le rapport de proximité disparaisse, on voit des raisons historiques (...), le nom de la commune aussi fait débat... Toutes ces questions font que les citoyennes et les citoyens hésitent à fusionner", regrette la conseillère d’Etat verte Béatrice Métraux.
Mieux accompagner les élus
La professionnalisation est une autre piste parfois évoquée mais elle ne fait pas l'unanimité; les citoyens de Bulle (FR) l'ont par exemple nettement refusée en mai dernier. Certains estiment pour leur part qu'une fonction communale devrait être considérée comme un service citoyen au même titre que l’armée.
L'idée d'apporter écoute et soutien aux élus fait aussi son chemin. L'instauration d'un système de mentorat est d'ailleurs l'une des mesures envisagées par la cellule dédiée qui a été mise sur pied à Fribourg. Le principe: que des élus chevronnés apportent leur expérience et épaulent des élus en difficulté ou confrontés à une problématique particulière.
Pour le politologue François Cherix, on pourrait aussi imaginer des sortes de "lignes directes pour pouvoir en permanence les écouter, leur donner un coup de pouce et surtout les inciter à continuer dans la durée".
Le délégué aux affaires communales jurassien Christophe Riat insiste pour sa part sur la nécessité de réfléchir à la manière de revaloriser la fonction d’élu communal. Selon lui, les communes devraient notamment davantage communiquer sur les aspects positifs de cette mission et sur le fait que les compétences acquises durant l'exercice d'un mandat peuvent être valorisées dans le cadre d'une carrière professionnelle.
Article web: Pauline Turuban
Sujets radio: Fabrice Gaudiano, Guillaume Rey
Dans certains cantons, les citoyens peuvent être élus contre leur gré
En Valais, la législation sur les droits politiques prévoit depuis longtemps l'obligation de fonctionner. Concrètement, cela signifie qu'aucun citoyen domicilié dans une commune ne peut refuser, pendant quatre ans, la fonction d'élu municipal à moins qu'il n'ait des "motifs légitimes d'exemption bien constatés". Quant aux demandes de démission, elles ne sont admises que dans trois cas de figure: problème de santé, charge professionnelle accrue ou changement de domicile.
L'objectif: limiter le risque une vacance du pouvoir et de paralysie des communes. En Suisse romande, seul le Valais maintient ce devoir citoyen. La pratique du "Amtszwang" est toutefois encore en vigueur dans les cantons de Zurich, Schaffhouse, Nidwald, Soleure, des Grisons, d'Uri et d'Appenzell Rhodes-Intérieures, d'après le site Swissinfo. Dans certains cantons comme Uri, les récalcitrants s'exposent même à une amende de plusieurs milliers de francs.