Chez les Mosteau-Lutolf, pas de stress à l'heure de la rentrée scolaire. Les quatre enfants ont 4, 10, 12 et 15 ans et suivent leur formation à domicile, ou plutôt "dans la vraie vie", comme dirait leur mère, Debora Lutolf. "Une feuille d'arbre, un moteur, un ordinateur, un voisin, les occasions d'apprendre sont partout. Le luxe qu'on a à la maison, c'est d'avoir nos enfants, sept jours sur sept, 24 heures sur 24", souligne-t-elle.
Le phénomène reste marginal, mais de plus en plus de familles romandes scolarisent leurs enfants à la maison. Principal canton concerné, le canton de Vaud regroupe deux tiers de ces "effectifs" parallèles. Ils sont 580 lors de la rentrée 2019, contre 72 dix ans plus tôt.
La loi du parent-enseignant remise sur la table
Le canton de Vaud fait office d'aimant pour les familles qui souhaitent assumer elles-mêmes la formation de leurs enfants. Aucun prérequis, aucune demande d'autorisation, il suffit de s'annoncer auprès des autorités. Les cantons de Genève et de Berne accordent la scolarisation à domicile sous certaines conditions. Idem à Fribourg et en Valais mais avec une exigence supplémentaire: un des parents doit détenir un brevet d'enseignant. Au point que certains envisagent de s'installer chez leur voisin pour échapper au critère.
Cette situation pourrait changer, car les cantons les plus permissifs souhaitent serrer la vis. A Neuchâtel, les autorités envisagent de s'inspirer de la loi fribourgeoise du parent-enseignant. "[Celles et ceux] qui veulent scolariser leur enfant à la maison doivent fournir le même enseignement que celui qui est donné à l'école, donc avec les nouveaux moyens d'enseignement, avec la qualité des objectifs pédagogiques qui sont dans l'école publique. Vous ne pouvez pas en tant que parent vous substituer à une douzaine de professionnels compétents", explique dans le 19h30 Jean-Claude Marguet, chef du service de l'enseignement obligatoire du canton de Neuchâtel.
Apprentissage du collectif favorisé
La conseillère d'Etat vaudoise Cesla Amarelle renchérit. "Il faut que ces enfants puissent, s'ils le veulent, revenir à l'école obligatoire puisque c'est là qu'ils apprennent le vivre ensemble, c'est là qu'ils apprennent dans une classe, le collectif."
Mais pour Debora Lutolf, la vie en communauté s'apprend aussi en dehors des murs de l'école. Ses enfants ne vivent pas en vase clos, ils pratiquent du sport avec d'autres enfants de leur âge et sont membres de diverses associations. Pour elle, il s'agit d'une pédagogie alternative qui doit avoir sa place, aujourd'hui plus que jamais. "On demande de plus en plus aux gens d'avoir des idées originales, de penser hors des lignes, de faire preuve d'originalité, et derrière on leur demande de ne pas avoir trop d'imagination et de faire ce qu'on leur demande."
Entre alternative réelle à l'école publique ou option limitée aux situations exceptionnelles, quelle place pour cette autre manière d'apprendre en Suisse romande ? Tout se jouera ces prochains mois.
Julien Chiffelle