Les pendulaires ont peu à peu pris possession du Léman Express
- Après son inauguration officielle jeudi, le Léman Express est entré en fonction dimanche matin à 5h03. "Un moment historique" toutefois quelque peu gâché par la grève en France, car le convoi ne s'est pas rendu jusqu'à Annemasse. Lundi matin, le Léman Express n'a pas été pris d'assaut par les pendulaires, mais leurs premières impressions étaient plutôt positives.
- Attendu depuis plus d'un siècle, ce nouveau réseau de RER transfrontalier, le plus grand d'Europe, est présenté comme un bond historique de l'offre en matière de mobilité dans la région genevoise.
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Nouvelle routine pour les pendulaires
Suivi d’un frontalier lors de son premier voyage à bord du Léman Express
Chaque jour, 600'000 mouvements routiers sont enregistrés aux frontières du canton de Genève. Une chiffre qui devrait largement diminuer avec les nouveaux utilisateurs du Léman Express.
Résidant à Thonon-les-Bains, Laurent est l’un d’entre eux. Grâce à la nouvelle ligne ferroviaire, il gagne plus de 30 minutes lors de chaque trajet et fait une économie substantielle de près de 150 francs par mois. La RTS l’a suivi durant son premier voyage.
16 décembre: un début plutôt timide
Pas de foule, mais des impressions plutôt positives
Le Léman Express passait son premier test grandeur nature lundi. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions mais selon les correspondants de la RTS, il n'y avait pas foule aux premières heures de la journée à la gare de Champel. Si le public était un peu plus fourni aux alentours de 8h00, les rames n’étaient pas toutes pleines, en particulier celles provenant de France voisine.
La grève en France a probablement découragé plus d'un usager. Beaucoup de lignes sont à l’arrêt en France et un train sur deux seulement circule lundi entre Annemasse et Genève.
Toutefois si l’on excepte ces perturbations, les impressions des voyageurs sont plutôt bonnes. Les usagers sont venus avant tout tester une première fois la ligne. "C’est une petite révolution pour mon temps de parcours", a confié à la RTS un habitué des déplacements en voiture, qui a décidé d'utiliser désormais le Léman Express pour se rendre au travail.
"Quand le réseau va être pleinement opérationnel, lorsque les problèmes que l'on connaît de l'autre côté de la frontière seront résolus (...), [les usagers frontaliers] pourront faire une autre tentative et celle là sera couronné de succès, j'en suis convaincu", a déclaré à la RTS le conseiller d'Etat genevois Serge Dal Busco.
Moins d'intérêt médiatique en France
Le Léman Express ne fait pas les gros titres en France
Le plus grand réseau RER transfrontalier d'Europe semble susciter moins d'intérêt médiatique en France qu'en Suisse. La presse régionale s’est emparée du sujet, tout comme plusieurs publications spécialisées dans les domaines du BTP, des transports ou de l’économie locale.
Mais en dehors des régions directement concernées, l’existence de cette nouvelle liaison n'a fait l'objet que d'une couverture réduite dans la presse nationale française.
15 décembre: la mise en service
La grève en France trouble la fête
Quelques secondes avant l'horaire prévu, le premier train du Léman Express a quitté Coppet (VD) dimanche à 5h03. Les usagers n'étaient toutefois qu'une poignée au milieu des dizaines de responsables ferroviaires et de journalistes.
Ce lancement a toutefois été quelque peu gâché par la grève en France: si tous les trains circulent selon l’horaire entre Coppet et Chêne-Bourg, seul un train sur quatre dessert également la gare d’Annemasse, côté français, soit une liaison toutes les demi-heures au lieu de six par heures, selon les indications publiées sur le site du Léman Express. Des bus de remplacement ont été mis en place pour garantir le segment qui n'est pas desservi.
De leur côté, les responsables ferroviaires tanguent entre enthousiasme et soulagement après l'opérationnalisation du réseau. Depuis son arrivée en janvier, le patron de Lémanis, société qui exploite le réseau, entame chaque jour "en se demandant quel sera le problème". "Aujourd'hui, c'est la grève", admet Mario Werren en reconnaissant qu'il aurait souhaité que tous les trains puissent atteindre Annemasse.
Au cours de la matinée, les curieux et ceux qui ont voulu tester ce nouveau train se sont multipliés. Les festivités étaient prévues toute journée dans les gares genevoises.
Avant le départ, le chef des mécaniciens a donné les dernières consignes. "Tu entreras dans Genève à vitesse réduite", glisse-t-il à distance au conducteur. Parce qu'à Cornavin, des centaines de personnes attendent sur le quai, dont le conseiller d'Etat Serge Dal Busco. Beaucoup sont arrivées depuis Annemasse avec le train parti une minute après celui de Coppet, mais le premier à avoir "gommé l'effet frontière" entre les deux pays.
Les passagers sont accueillis par les grenadiers de la Compagnie de 1602. "Je n'ai pas demandé d'autorisation. Vous ne m'enverrez pas d'amende", lance Mario Werren au conseiller administratif Rémy Pagani. Qui acquiesce avec un sourire. Il ne s'en formalise pas et, en homme de gauche habitué des manifestations, soutient aussi les revendications des cheminots français qui perturbent cette première journée.
12 décembre: l'inauguration
Des cérémonies dans les cantons de Genève et Vaud
Le Léman Express a été inauguré jeudi en grande pompe, en présence de nombreux responsables de la région. Les premières cérémonies ont commencé jeudi dès 11h00 sur sol vaudois à Coppet et français à La Roche-Sur-Foron. La première rame inaugurale est partie vers 13h30 de La Roche-Sur-Foron et a rallié la gare genevoise des Eaux-Vives à 14h00.
La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, la conseillère d'Etat vaudoise Nuria Gorrite, son homologue genevois Serge Dal Busco et le président du conseil d'Etat genevois Antonio Hodgers étaient notamment de la fête. "Jour de fête", "jour historique", "révolution", "même communauté de vie": l'emphase était de rigueur pour saluer le lancement du Léman Express.
Plusieurs personnalités politiques françaises étaient également présentes, notamment le président de la région Auvergne - Rhône-Alpes Laurent Wauquiez. Une absence remarquée: celle de la ministre des Transports Elisabeth Borne, qui a annulé son déplacement alors que la France se trouve en plein conflit social.
Aussi un projet vaudois
La conseillère d'Etat vaudoise Nuria Gorrite était invitée jeudi dans La Matinale de la Première. Elle a rappelé que le Léman Express est aussi un projet vaudois. Le canton de Vaud s'est engagé à la réalisation notamment du point de croisement à Mies, avec un investissement de presque 27 millions de francs pour pouvoir accélérer les cadences, a ainsi expliqué la conseillère d'Etat (à partir de 7'20).
"Quand on fait ce genre de propositions de mobilité aux gens, les gens l'utilisent. (...) On ne peut pas reprocher aux gens d'utiliser leur voiture quand on n'offre pas une alternative en transports publics", a-t-elle souligné.
Portrait et histoire du Léman Express
De la Haute-Savoie au canton de Vaud en train
Les 16 kilomètres de lignes du CEVA (Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse), dont la construction a été inaugurée jeudi, sont l'aboutissement d'un processus qui a débuté en 1881, avec la signature d'une convention franco-suisse pour réaliser une liaison ferroviaire entre Annemasse et Genève. Il aura cependant fallu attendre 2011 pour le premier coup de pioche, puis 8 ans de travaux avant la mise en service des premiers trains.
Le projet est ambitieux: le Léman Express va connecter 45 gares de la grande agglomération genevoise sur 230 kilomètres, à cheval sur la Suisse et la France. 240 trains par jour vont relier Coppet (VD) à Annecy (F), Evian-les-Bains (F) ou encore Bellegarde (F). En semaine, six trains par heure et par sens circuleront entre Genève et Annemasse (F).
Cinq gares ont été construites sur le territoire genevois pour l'arrivée du Léman Express et la gare d'Annemasse a été entièrement rénovée. Chacun de ces chantiers s'est accompagné de l'apparition de nouveaux quartiers. Au total, presque 2000 logements dans de nouveaux immeubles sont sortis de terre à proximité des gares côté suisse et 1500 à Annemasse.
Coût global des travaux: 1,6 milliard de francs côté suisse, 230 millions d'euros côté français. D'après les prévisions de Genève, le Léman Express devrait permettre une diminution de 12 à 14% du trafic routier dans un canton qui détient le record des bouchons au niveau suisse.
Nombreuses différences à surmonter
Le Léman Express a dû s'adapter aux différences entre la Suisse et la France
Le seul point commun entre les réseaux ferroviaires suisse et français est l'écartement des voies, de 1435 millimètres des deux côtés. Pour le reste tout est différent, à commencer par le nombre de voies: en Haute-Savoie il y a souvent une voie unique et deux du côté suisse.
Les systèmes de sécurité et l’ensemble du matériel roulant divergent également. "Il a fallu comparer les équipements placés de part et d’autre de la frontière et trancher sur un équipement, parfois en se basant sur des normes européennes", décrit le chef de projet Antoine Da Trindade. Beaucoup de discussions et de coordination auront donc été nécessaires.
Une moitié de la flotte de trains sera suisse et produite par Stadler Rail, l'autre française et commandée chez Alstom. Mais la plus grande différence concerne le voltage: 15kV en Suisse contre 25kV en France. "Il a fallu construire avec nos industriels un système qui permet de passer d’un endroit à l'autre sans intervention humaine, tout est informatique", explique Daniel Leuba, responsable CFF de la mise en exploitation du Léman Express.
A ces différences techniques s'ajoutent des codes du travail propres à chaque pays. Le personnel de bord sera aussi différent entre la Suisse et la France; le personnel CFF et SNCF se relaiera en gare d'Annemasse. Enfin, il a aussi fallu se coordonner sur les jours fériés: seuls les jours strictement communs aux deux pays ont été retenus.
Principal enjeu, le transfert modal
Comment encourager le transfert de la voiture au train?
Pour atteindre l'objectif de faire baisser le trafic sur les routes genevoises, tout dépendra du fait que les pendulaires abandonnent leur voiture pour prendre le Léman Express. C'est ce qu'on appelle le "transfert modal". Actuellement, 90% des pendulaires transfrontaliers utilisent leur voiture pour aller travailler.
Tout en misant sur des changements d'habitudes des usagers, le conseiller d'Etat genevois en charge des Transports Serge Dal Busco estime qu'"une bonne offre et de bonnes mesures d’accompagnement" sont nécessaires pour favoriser ce transfert modal.
Tout le réseau a ainsi été revu. Des parkings ont été créés afin de permettre aux gens de laisser leur véhicule pour prendre le train. Il faut aussi "que les places de parking longue durée sur les lieux de travail (...) deviennent moins attractives", a expliqué Serge Dal Busco dans le 19h30.
Pression de certains employeurs
Certains employeurs genevois ont déjà pris des mesures en ce sens. Dans la zone industrielle de Plan-les-Ouates, commune où transitent chaque jour environ 12'000 employés, plusieurs entreprises ont décidé d'augmenter massivement le prix de leurs places de parc et de reverser un bonus aux employés qui n'en ont pas.
Et aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG), où 60% des collaborateurs sont frontaliers, les places de parc seront désormais attribuées aux collaborateurs en fonction de critères de proximité aux transports publics.
Autres critères, la rapidité et le confort
Autre critère déterminant, les temps de déplacement. Dans plusieurs exemples de trajets matinaux en semaine, le trajet en Léman Express devrait être plus court qu'en voiture:
Au-delà de la rapidité, l'aspect pratique et le confort auront une forte influence sur les choix des pendulaires. Pour le sociologue et spécialiste des mobilités urbaines Vincent Kaufmann, la forte utilisation de la voiture s'explique surtout par le manque d'alternative. Selon lui, toute une partie de la population trouve que la voiture est un mode de transport pénible et une perte de temps, alors le temps d'un déplacement en train peut être utilisé.
A terme et d’après les projections, 50'000 personnes devraient utiliser quotidiennement le Léman Express. Mais le transfert modal ne se fera pas du jour au lendemain et pourrait prendre un à deux ans.
Un casse-tête tarifaire
Pas de tarif global mais près de 200'000 prix différents
La tarification est aussi un point capital pour séduire les automobilistes: la majorité ne lâchera la voiture que si le train est moins cher.
Pour le Léman Express, pas de tarif global mais du "sur-mesure": pour calculer le montant d'un ticket, il faut prendre en compte les zones traversées sur Vaud, Genève et les trois départements de France voisine, les kilomètres parcourus, mais aussi les rabais usuels existants, comme les abonnements des Transports publics genevois (TPG) ou tout rabais valable en France.
Exemples de prix
Exemple avec les deux villes qui accueillent le plus de travailleurs frontaliers en permis G. Un trajet entre Annemasse et Genève, avec l’accès aux bus et trams des TPG coûtera 4,90 francs. Pour un abonnement mensuel, ce sera 115,20 francs. Pour un trajet depuis Annecy, il faudra débourser 19,90 francs pour le ticket et 249 francs pour l’abonnement mensuel.
Pour les personnes abonnées à une zone et qui voyagent uniquement dans cette zone, rien ne changera concernant les prix. Les nouveautés interviendront seulement lorsque les déplacements impliqueront des changements de zones.
Les pendulaires vaudois, eux, sont les grands perdants de la nouvelle offre. Alors que les communes entre Nyon (VD) et Versoix (GE) disposaient jusqu'à présent d'un abonnement spécial, elles ne feront pas partie du nouveau réseau tarifaire, ce qui pourrait engendrer une hausse des prix.
Une multitude de tarifs différents
Avec ce mode de tarification, 200'000 tarifs sont possibles. Rémy Burri, responsable de la communauté tarifaire Unireso, n'imagine pas que cette situation puisse décourager les futurs utilisateurs. "Une fois que le client aura compris tous les avantages (...) et qu'il aura trouvé le système de vente qui lui convient le mieux, il aura apprivoisé tout ça assez rapidement", a-t-il assuré dans La Matinale de la RTS.
Un avis partagé par Mario Werren, le directeur de la société franco-suisse Lémanis qui gère le Léman Express. Selon lui, le fait d'avoir autant de tarifs différents est "un plus" car "il y a beaucoup plus de choix pour le voyageur".
Attentes et inquiétudes à Annemasse
Annemasse, nouveau terminus de l'Arc lémanique
Le nouveau RER transfrontalier est attendu avec impatience du côté d'Annemasse, en France voisine. Le bouleversement se fait déjà sentir, avec un centre-ville en chantier et une économie locale dopée.
Parallèlement, les prix de l'immobilier explosent et il devient difficile de trouver un logement pour les nouveaux arrivants. Le maire socialiste d'Ambilly Guillaume Mathelier se dit très attentif au phénomène, d'autant qu'Annemasse est une des agglomérations les plus inégalitaires de France.
"La grande difficulté que l'on va avoir peut-être dans les prochaines années c'est de se battre contre les phénomènes (...) de gentrification de certains quartiers, où on repousse les pauvres pour les mettre un peu plus à l'extérieur", a-t-il pointé à la RTS.
Une inconnue: l'impact de la grève en France
Un préavis de grève pour le jour de mise en service
Le conflit social en France peut-il jouer les trouble-fêtes? Un préavis de grève a été lancé par les cheminots français pour dimanche, jour de la mise en service du Léman Express. Ils demandent une prime "vie chère" pour compenser le coût de la vie plus élevé en France voisine que dans le reste du pays.
Si les cheminots français font grève dimanche, les trains feront demi-tour en gare d'Annemasse; si le personnel de gare se met lui aussi en grève, les trains s'arrêteront à Chêne-Bourg (GE).