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Des cliniques refusent illégalement des patientes LAMal en obstétrique

Certaines cliniques rechignent à prendre en charge des parturientes au seul bénéfice de l'assurance de base (image d'illustration). [Phanie/AFP - APHP-Cochin-Voisin]
Des cliniques privées dans l'illégalité / On en parle / 8 min. / le 9 mars 2020
Certains établissements privés de Genève et Lausanne refusent des patientes en obstétrique qui n’ont qu’une assurance de base, révèle une enquête de l'émission On en parle. Or cette pratique est contraire à la loi.

Les règles de base, en Suisse, prévoient qu'un patient au bénéfice uniquement de l'assurance obligatoire devra être dirigé vers un hôpital public pour y recevoir des soins. S'il est couvert par une assurance complémentaire, en revanche, il pourra se faire soigner dans une clinique privée.

Exceptions prévues par les listes hospitalières cantonales

Mais ce principe ne vaut pas pour toutes les situations. Il existe certaines exceptions, fixées par canton et regroupées dans ce que l'on appelle les listes hospitalières. Elles permettent de savoir quels sont les soins, les opérations ou autres traitements qu’un hôpital ou une clinique est censé pratiquer à la charge de l’assurance obligatoire - donc sans supplément financier pour le patient qui n'a pas d'assurance complémentaire.

Ainsi sur Genève, cette liste prévoit que les soins de base en obstétrique sont assurés par la Clinique des Grangettes, par l’Hôpital de la Tour et par les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Pour un accouchement sans complication, la patiente est donc censée pouvoir aller dans les deux cliniques privées: les Grangettes et l’Hôpital de la Tour.

La liste vaudoise, elle, précise qu’outre les hôpitaux publics (CHUV, hôpital d’Yverdon, de Morges etc…) la Clinique Cecil à Lausanne doit elle aussi assurer cette mission même si un nombre de patients limité lui est imposé.

Milliers de francs réclamés en plus

Pour vérifier cet état de fait, On en parle a contacté les trois cliniques genevoises et vaudoise début janvier, en demandant un rendez-vous pour l'accouchement prévu en avril d'une patiente n'ayant pas d’assurance complémentaire. Résultat: ces cliniques ouvrent volontiers leurs portes, mais à condition que l'assurée soit prête à sortir des milliers de francs de sa poche.

La Clinique Cecil a ainsi fait savoir qu'elle n'entrait pas en matière avec une assurance de base, à moins de payer 8200 francs au moins pour une hospitalisation en privé.

A Genève, même son de cloche à l’hôpital de la Tour: les accouchements sont seulement destinés aux patientes qui ont une assurance complémentaire. Sinon, elles devront débourser dans les 15'000 francs. Idem à la Clinique des Grangettes: sans assurance privée ou semi-privée, c’est 15'000 francs que la patiente doit mettre sur la table si elle veut accoucher.

Obligation de prise en charge

Or ces pratiques sont illégales. La loi est très claire à ce sujet, puisque cette mission est inscrite, pour ces cliniques, sur les listes cantonales. Elles ont donc l’obligation de prendre en charge des patientes en obstétrique, sans leur demander de supplément financier si elles n’ont qu’une assurance de base.

Contactés, les établissements privés concernés ont apporté des réponses diverses. Ainsi, la clinique Cecil, à Lausanne, assure que le canton de Vaud n’a jamais exigé d'elle la prise en charge de cas d’obstétrique d’assurance de base. Or la liste disponible sur internet prouve le contraire.

Pour l’hôpital de la Tour à Genève, il s’agirait d’un malentendu. L'établissement aurait cru, lors de l'appel d'On en parle, que la demande concernait une patiente étrangère sans assurance suisse. Selon cette clinique, les patientes sans assurance complémentaire sont admises si leur gynécologue en fait la demande. C’est arrivé, affirme-t-elle, en moyenne cinq fois par année depuis 2012.

Enfin, la clinique des Grangettes assure qu'elle voudrait bien accepter des patientes au bénéfice uniquement de l'assurance de base. Mais elle ne trouverait pas de gynécologues prêts à la suivre à ce prix-là.

Risque de perdre l'aide financière de l'Etat

Reste que la loi est très claire: puisque ces cliniques reçoivent une aide financière de l’Etat, elles doivent accepter de traiter ces patientes qui n’ont pas de complémentaire. Compte-tenu de leur refus, les deux cliniques genevoises risquent donc de toucher moins d’argent du canton.

Côté vaudois, le département cantonal de la Santé affirme qu'il agira en cas de plainte d'une personne se voyant refuser un accès aux soins sans raison valable. L'information sera alors vérifiée, et le cas échéant la mission en obstétrique de la clinique Cecil sera purement et simplement retirée de la liste qui lui assure un soutien financier de l’Etat.

A noter encore que la mission de ces cliniques, concernant les patients couverts uniquement par l'assurance de base, dépasse largement l’obstétrique. Et il semblerait que pour ces autres prestations, il soit plus facile d’y être pris en charge.

Marie Tschumi/Bastien von Wyss/oang

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