Ce besoin d'aide alimentaire témoigne de la violence de la crise économique qui s'abat sur les plus vulnérables. Devant la Maison de Quartier de Chailly, à Lausanne, il n'y a pas de file d'attente mais un défilé au compte-gouttes.
Parmi les bénéficiaires, une mère de famille empêchée de travailler en raison de la crise témoigne dans le 19h30: "Je suis dans la santé et je travaille à l'heure, avec des enfants handicapés", explique-t-elle. "Alors ma situation est difficile en ce moment. J'ai un fils de 25 ans et un autre de 8".
Désormais 160 personnes, dans le quartier, dépendent de cette aide pour manger. La demande a plus que doublé en trois semaines. Et s'il n'y a pas d'embouteillage, c'est grâce à un horaire de passage et à la multiplication des points de collecte dans la ville.
Eviter les longues files d'attente
"Demander de l'aide, on le sait, c'est de toute façon difficile, aussi pour des familles qui n'en avaient pas l'habitude", souligne Emilie Moeschler, responsable de la Maison de Quartier de Chailly. "Donc la démarche est de dire que les personnes aillent chercher de l'aide dans leur quartier et pas de regrouper tout le monde au même endroit en même temps". Cette façon de faire permet d'éviter toute scène ouverte de la précarité comme samedi dernier à Genève.
La pauvreté frappe fort aussi à Vevey notamment, où 200 personnes viennent désormais chaque semaine en toute discrétion chercher de quoi se nourrir. Pour Table Suisse, qui distribue toute l'année les invendus des grandes surfaces aux plus défavorisés, les images spectaculaires de cette crise ont au moins permis une prise de conscience.
"La population se réveille tout d'un coup"
"En Suisse, on arrive à mieux cacher notre précarité", constate son responsable pour Vaud et Neuchâtel, Baptiste Marmier. "Donc on a un peu l'impression que la population se réveille tout d'un coup, avec un choc, et découvre cette frange de la population qui est précarisée et qui est obligée de se découvrir en allant à des distributions alimentaires géantes comme on a pu le voir sur les image".
A Genève, il aura fallu cet électrochoc pour que l'Etat débloque en urgence un million de francs au travers de la Loterie romande, un premier pas. "La dignité n'est pas au rendez-vous lorsqu'on a ce type de longues files d'attente", reconnaît le conseiller d'Etat en charge de la Cohésion sociale Thierry Apothéloz. "Je veux pouvoir déposer un crédit de l'ordre de trois millions de francs, ce qui nous permet de tenir trois mois pour distribuer des bons alimentaires via les Colis du coeur".
La Chaîne du bonheur aussi au front
L'aide financière vient aussi de la Chaîne du bonheur, qui annonce soutenir plus de 70 organisations actives dans le don de nourriture et l'aide d'urgence en Suisse.
Gabriel de Weck/oang
La pauvreté et la faim pourraient exploser dans le monde
A l'échelon de la planète, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) estime que le nombre de personnes qui souffrent de la faim pourrait doubler d'ici la fin de l'année pour atteindre 250 millions de personnes.
Aux Etats-Unis, près d’un enfant sur cinq ne mange pas à sa faim depuis le début de la pandémie, selon le constat alarmant de la Brookings Institution.
Interrogé jeudi dans l'émission Forum, le nouveau rapporteur spécial de l'ONU pour l'extrême pauvreté et les droits humains Olivier De Schutter relève que les estimations sont extrêmement inquiétantes: "Elles nous mettent sur la trajectoire d'une récession économique tout à fait inédite depuis un siècle avec -8% de PIB pour les pays riches, -4% pour l'ensemble de la planète".
Et parmi les économies qui seront affectées, il y a notamment les pays du sud, souligne le professeur de droit international à l'Université catholique de Louvain (Belgique). Aujourd'hui, ces derniers "ont à faire face en outre à une chute du cours des matières premières qui est leur principal revenu d'exportation et une charge de la dette très importante. Donc, on s'attend à une explosion des chiffres de la pauvreté, une augmentation de 40% à probablement 1,2 milliard de personnes qui fait perdre une génération de lutte contre la pauvreté".
>> L'interview d'Olivier De Schutter dans Forum: