Au Centre éducatif de Pramont à Sierre (VS), seul établissement fermé d'exécution de mesures pour mineurs en Suisse romande, 30 jeunes sont sur listes d'attente, soit un délai de deux ans, révèle mercredi le 19h30.
En conséquence, certains jeunes condamnés pénalement à une mesure de placement se retrouvent parfois à purger leur sanction dans des foyers ouverts et inadaptés.
Des structures face à leurs limites
A quelques kilomètres, l'Institut Saint-Raphaël à Sion a la réputation de savoir gérer les cas particulièrement difficiles. Depuis 75 ans, des mineurs de toute la Romandie y sont envoyés par les tribunaux après une condamnation, les services sociaux ou des parents qui n'y arrivent plus, pour être remis sur le droit chemin.
La structure est ouverte et vise à la réintégration sociale et professionnelle, notamment grâce à des ateliers techniques. Mais depuis quelques années, malgré une politique d'accueil de chaque jeune peu importe la "lourdeur" de son dossier, son directeur avoue devoir faire face à des situations de plus en plus aigües.
"J'ai un adolescent qui a moins de quinze ans. Il est extrêmement violent. A peine arrivé ici, il a agressé quelqu'un du quartier. Il demande qu'on l'amène à tel ou tel endroit pour frapper quelqu'un d'autre. C'est vrai qu'avec un jeune comme ça, on s'aperçoit que ça va être difficile dans l'intégration professionnelle. A terme, une structure fermée lui conviendra beaucoup plus que ce qu'on lui propose aujourd'hui", explique Christian Bader, directeur de Saint-Raphaël.
Par manque de place, ces cas lourds restent donc dans des structures qui ne sont pas adaptées à leurs besoins et leur dangerosité.
"C'est là que l'équipe d'éducateurs et de professeurs se fatigue, parce qu'elle se dit: 'on doit porter une situation et on n'a pas les moyens de la régler, ça pourrait être dangereux'. Je les entends parfois se demander ce qu'il va se passer si un jeune explose. Ces questions se posent", développe Christian Bader.
Et de poursuivre: "On essaie de discuter, faire des petites mesures entre deux, parce que si on ne le fait, où vont ces jeunes? Ils vont dans la rue, ils sont seuls. Alors nous, on se sent un peu obligés de les accueillir, c'est notre mission. Après, on a aussi nos limites, en termes de ressources humaines, de règlement et de mission."
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Augmentation dans tous les cantons
Le manque de places en foyer fermé est récurrent et structurel en Suisse romande depuis la fermeture en 2016 du foyer de Prêles (BE).
Mais d'après plusieurs acteurs du milieu, cette tendance est d'autant plus inquiétante que la délinquance juvénile augmente dans la plupart des cantons.
En 2020, la majorité des tribunaux pour mineurs ont enregistré une hausse massive des procédures à traiter: +9% en Valais, +17% à Neuchâtel, +23% dans les cantons de Vaud et de Berne et jusqu'à 30% à Genève.
Dans le canton du bout du lac, cette statistique a carrément doublé entre 2016 et 2020.
Un danger pour eux-mêmes et la société
Pour Olivier Boillat, président de l'Association latine des juges des mineurs, les risques sont de deux ordres: "Pour les mineurs, nous avons quand même pour mission de nous occuper de ceux qui vont bien, mais aussi de ceux qui ne vont pas bien. Là, on ne s'en occupe plus, ou pas suffisamment bien. L'autre risque, c'est pour la société. Ces mineurs représentent un danger pour eux-mêmes, voire pour des tiers."
Cela fait plusieurs années que les juges des mineurs réclament la création de places supplémentaires pour garçons, et d’un foyer dédié aux filles. "Si tout le monde est absolument convaincu, en dernier recours, que la place d'une mineure ou d'un mineur est en milieu fermé, il faudrait qu'on puisse avoir la possibilité de l'ordonner, ajoute le juge Boillat. On ne réclame pas 250 places. Il y a le foyer de Prêles (BE), inoccupé depuis des années, prêt à ouvrir. Il faut juste trouver une entité prête à en assurer l'exploitation. On ne réclame pas la lune me semble-t-il."
Urgence reconnue mais nuancée
Béatrice Métraux, présidente de la Conférence latine des chefs de départements justice et police, reconnaît l'urgence mais nuance: "Le placement en milieu fermé vise surtout à encadrer le jeune et à le protéger contre lui-même. Le risque pour la société (...) n'est pas un élément prédominant. Des mesures particulières peuvent pallier ce risque."
Elle ajoute être consciente de la problématique du manque de places dans les foyers fermés pour mineurs. "La criminalité juvénile fluctue. On constate maintenant que cela augmente et peut-être que dans deux ans cela diminuera, d'où un questionnement nécessaire et récurrent sur les besoins réels. La possible réhabilitation partielle de l'ancien foyer de Prêles (BE) donne une perspective à brève échéance, avec 22 places prévues. Cette opportunité devrait ainsi permettre d'apporter une réponse assez rapide dans ce contexte."
Par ailleurs, la création d'une structure pour filles de 4 places, à Fribourg, vient d’être validée par l'Office fédéral de la justice. Selon nos informations, ces deux structures ne devraient pas ouvrir leurs portes avant 2024.
Flore Amos/jfe