Les chanceliers des cantons de Vaud et du Jura viennent de changer de visage et en Valais c'est pour bientôt, en janvier 2023. Ils s'en vont après de véritables "règnes", lors desquels ils cumulent 10, 15, voire 20 ans à cette fonction. Et pourtant, souvent, on ne sait pas trop qui ils sont, ni ce qu'ils font.
Chancelier ou chancelière est une fonction de l'ombre, présents mais en retrait sur les photos du gouvernement. D'ailleurs, si l'on évoque Vincent Grandjean, il n'est pas sûr que ce nom évoque quelque chose au grand public. Pourtant, il a été le chancelier de l'Etat de Vaud durant un quart de siècle et a vu défiler 22 ministres.
Un régisseur
Invité de La Matinale au moment de prendre sa retraite, Vincent Grandjean disait alors que le chancelier n'est "surtout pas" un huitième conseiller d'Etat. Il préfère se comparer à un régisseur.
"Si vous allez au théâtre, il faut des metteurs en scène, des acteurs, mais il faut aussi un régisseur, quelqu'un qui organise les choses, qui est dans la coulisse, qui imprime les programmes, qui permet la distribution d''esquimaux' à l'entracte, cette foule de petits détails qui fait aussi la vie d'un théâtre", image-t-il. "Je crois que le métier de chancelier est celui-là."
Tradition helvétique
Voilà un homme ou une femme qui s'inscrit donc dans la grande tradition helvétique de la chancellerie: servir et ne surtout pas apparaître. Rares sont les exceptions à la règle: on citera Anja Wyden Guelpa, ex-chancelière genevoise, souvent sous le feu des projecteurs, et même au cœur d'une controverse sur ses voyages professionnels.
Elle se définissait comme une figure publique, mais pas politique. Nuance d'importance, car la neutralité, c'est aussi l'une des caractéristiques des chanceliers et des chancelières. Notamment parce qu'ils ont la charge d'organiser les votations et les élections. Aussi parce qu'ils veillent à la bonne entente entre les ministres.
Couleur politique
Pas de favoritisme, théoriquement, donc, même s'il est vrai qu'on leur connaît souvent une couleur politique. Libérale pour le Vaudois Vincent Grandjean ou chrétienne-sociale pour Jean-Baptiste Maître, le tout nouveau chancelier jurassien.
"Dès le moment où l'on a de l'intérêt pour la chose publique, en étant jeune, il est normal qu'on se rapproche souvent d'un parti politique et qu'on se lance dans certaines actions politiques. Pour ma part, j'ai été élu à l'exécutif d'une commune, par exemple", a-t-il expliqué mercredi dans La Matinale.
"Mais dans les rôles que j'ai pu avoir au sein de l'Etat, que ce soit comme secrétaire général du Parlement ou comme chancelier maintenant, il est évident qu'on doit assurer cette neutralité, cette impartialité dans notre action de tous les jours."
Une certaine influence
S'il ne veut pas parler de pouvoir, Jean-Baptiste Maître reconnaît que le chancelier exerce une certaine influence, en pouvant amener des propositions lors des séances du gouvernement. "Mais à la fin, c'est toujours le Conseil d'Etat qui décide".
Ces chanceliers ne font donc pas que distribuer des programmes et des "esquimaux" à l'entracte, pour reprendre l'image de Vincent Grandjean. Cette dernière est un peu réductrice, car ils mènent souvent de vraies politiques publiques. Vincent Grandjean, par exemple, est l'artisan de plusieurs lois, comme la loi vaudoise sur l'information.
A Fribourg, Danielle Gagnaux-Morel est surnommée la "geek" de l'Etat. La chancelière orchestre la numérisation de l'administration depuis 16 ans. Elle est aussi à l'origine d'un concept de gestion des crises. "Dans la vie d'un gouvernement, il y a beaucoup de surprises, beaucoup de choses qu'il faut régler à court terme sans avoir pu forcément tout anticiper. Et je pense que c'est aussi ce qui rend la vie du chancelier ou de la chancelière intéressante."
Et la Fribourgeoise de citer en exemple "tout l'épisode de gestion de la crise Covid, une tâche extrêmement prenante pour tous les chanceliers d'Etat".
"Règnes" longs
Et des crises, ils en traversent, puisque les chanceliers durent: 16 ans en moyenne dans les cantons de Vaud et du Valais. Ils sont des hauts fonctionnaires, des employés de l'Etat, et n'ont pas besoin d'être élus ou réélus, sauf à Genève.
D'après la Fribourgeoise Danielle Gagnaux-Morel, qui ne compte pas s'arrêter après ces 16 ans, ces longs "règnes" sont une bonne chose, car le temps long s'avère nécessaire pour s'imposer comme une référence au sein de l'Etat.
Même si la nouvelle génération a aussi quelque chose à amener, selon le Jurassien Jean-Baptiste Maître, qui compte mettre un fort accent sur la cyberadministration pour s'adapter aux nouvelles attentes et habitudes des citoyens et citoyennes.
Sujet radio: Julie Rausis
Adaptation web: Jean-Philippe Rutz