Friches industrielles, la résurrection d'un patrimoine
C'est leur nouvelle vie post-industrielle: de nombreux endroits, qui ont par le passé accueilli usines, fabriques ou centres de traitement, trouvent un nouveau souffle dans des projets divers.
La culture, l'hébergement, le commerce ou encore l'artisanat parviennent ainsi à réinvestir les lieux, poussés aussi par la nécessité d'utiliser les espaces ou constructions existants sans empiéter encore davantage sur le non-bâti.
L'émission Couleurs locales de la RTS vous emmène à la découverte de cinq lieux romands en cours de réhabilitation.
VERNIER
Une ancienne station d'épuration se rêve lieu de culture et social
A Genève, une ancienne station d’épuration va bientôt se transformer en centre culturel et social.
Le chantier devait commencer cet été, mais l’association Porteous, porteuse du projet, n’avait pas encore reçu les permis de construire. C'est désormais chose faite: le précieux tampon en poche, la station d'épuration de Porteous, bercée par les eaux du Rhône, peut enfin commencer sa mue.
Au terme de sa transformation, elle renaîtra comme centre culturel et social. "Il manque précisément de lieux comme celui-ci. Il y a à Genève des institutions, de beaux théâtres, des nouveaux lieux, la Comédie, le pavillon de la danse. Mais ce qu'il manque encore, ce sont des lieux pour la culture émergente, pour la culture autogérée, pour une grande liberté, tout un panel d'expression", explique Cléa Redalié, cheffe du service de la culture à l'Office cantonal de la culture et du sport.
La prison évitée de justesse
Le visage de cette friche industrielle aurait pu être tout autre... Celui d'une prison, une option un temps privilégiée par le Conseil d'Etat. En 2018, un collectif occupe les lieux en signe d'opposition. Finalement, un projet culturel est retenu et les squatteurs quittent les lieux. Créée par la suite, l'association Porteous est aujourd'hui au coeur des discussions.
"Il y a plein d'idées, d'imaginaires, qui se développent autour de ce lieu", raconte Loan Gygax, membre de l'association. "Mais pour moi, c'est un lieu où tout le monde peut venir, tout le monde peut faire quelque chose aux niveaux culturel, artistique, mais aussi social, et tout le monde est vraiment le bienvenu. J'imagine des résidences de création, de réflexion dans cet endroit magnifique."
Mastodonte de verre et de béton, le bâtiment a été construit dans les années 1960. Après 30 ans d'activité, la station d'épuration est abandonnée.
Puissance architecturale
"Son architecture est déjà là, il y a très peu de choses à faire", souligne Thierry Buache, architecte du bureau Sujets Objets. "Au contraire, ce qu'il faudrait faire, c'est valoriser l'architecture existante. C'est un patrimoine remarquable pour Genève, du simple fait qu'il soit dans cette position-là, le rapport qu'il a avec le fleuve, avec le Rhône qui est encore resté dans un milieu très naturel. Cela crée un contraste très marqué entre une architecture forte et une nature laissée libre."
Première réunion de chantier à Porteous: le canton, la commune de Vernier, des architectes et l'association Porteous travaillent main dans la main pour remettre à flot ce bâtiment. Sa transformation se fera pas à pas.
Spectacles, arts vivants, ateliers d'artistes ou encore espaces d'entraide: les contours du futur Porteous sont encore à dessiner. Par contre, une chose est sûre: finies les fêtes sauvages.
"Ca ne sera pas un lieu festif, ça ne sera pas une discothèque, pas un lieu où il y aura tous les week-ends de gros événements", précise Cléa Redalié.
Porteous se rêve en lieu de création et de rencontre. Tout un chacun est invité à participer pour que ses murs reprennent vie.
VENDLINCOURT
L'ancienne usine de pierres fines partagée entre commerce et culture
A Vendlincourt dans le canton du Jura, une fondation vient de racheter une ancienne usine pour en faire un lieu socio-culturel. Une démarche emblématique de ce qui pourrait se faire à l’échelon de tout le Jura.
Le bâtiment date de 1907. Cette ancienne usine de pierres fines recèle quelques trésors architecturaux, dont des trompe-l’œil et de grandes vitres pour éclairer les ateliers. Enfant du pays, le député PDC Gauthier Corbat a été séduit.
"Il y a un soin particulier qui est mis notamment sur les trompe-l’œil, et aussi au niveau des éléments de charpente visibles à l’extérieur. Je crois que l’envie, c’est vraiment de remettre ça en avant et de montrer qu’il y avait un soin qui était porté, et que ce sont bâtiments qui ont des qualités", explique-t-il.
Avec deux amis, il vient de créer une fondation. Objectif: réhabiliter cette usine à l’abandon, avec une restauration de l’existant, dans le respect des normes contemporaines. Leur vision prévoit un lounge avec bar au rez-de-chaussée, une salle de conférence et d’exposition au 1er, un loft pour les touristes sous les combles...
Maintenir les qualités du bâtiment
"Il est tout à fait possible de maintenir les qualités d’un tel bâtiment, avec les exigences actuelles en matière de développement, d’isolation, de chauffage, et aussi d’accès pour répondre aux normes actuelles, notamment de sécurité", précise Gauthier Corbat.
Ce projet s’inspire du projet Gare Sud à Delémont. Ici, ce sont 20'000 mètres carrés qui vont être réhabilités, une ville dans la ville en quelque sorte.
"On veut que ce soit des quartiers qui vivent. Pas seulement des quartiers qui vivent la journée par des activités d’ordre administratif ou industriel, mais que ça vive le reste de la journée, en soirée, le week-end", explique
Hubert Jaquier, chef du service de l’urbanisme à Delémont. "Et c’est pour ça qu’on verrait d’un très bon œil ici une maison des associations, qu’on verrait un centre culturel alternatif certainement, des crèches, des logements, du bureaux, des services, et puis aussi des activités dans le domaine de la santé puisque le futur site de l’Hôpital du Jura est pressenti à quelques dizaines de mètres d'ici", s'enthousiasme l'édile.
Des projets qui pourraient essaimer dans tout le Jura: l’inventaire cantonal dénombre en effet pas moins de 91 friches urbaines et industrielles. Une motion, déposée par Gauthier Corbat, demande au gouvernement d’en tirer une politique active, visant à économiser les terrains en rénovant l’existant, comme à Zurich ou à Berlin.
La qualité de vie plutôt que les mètres carrés
"A une époque, le canton du Jura vendait sa promotion économique dans un secteur où il y avait beaucoup d’espace à disposition. C’était un de nos arguments, peut-être par rapport à ces grandes métropoles, mais ce qu’on peut mettre aussi en avant maintenant, c’est notre qualité de vie, et notre qualité de patrimoine", souligne le député Bernard Studer (PDC), cosignataire de la motion.
C’est exactement ce que fera le projet de Vendlincourt à son échelle: avec le projet de la fondation Kult, c’est toute l’entrée sud du village qui va se métamorphoser.
"Le projet s’étend à l’avant du bâtiment, on peut dégager une zone piétonne. La gare a été complètement refaite, donc l’envie est aussi de développer ce quartier autour d'elle", décrit Gauthier Corbat.
Les travaux débuteront l’an prochain, pour une inauguration prévue en 2024. Et d’ici là, le Jura se sera peut-être doté d’une stratégie cantonale en matière de valorisation de ses friches.
CHAVANNES-PRES-RENENS
L'usine des têtes de choco Perrier investie par les arts graphiques
C'est dans les bâtiments de la chocolaterie Perrier, à Chavannes-près-Renens, que furent conçues, au début du siècle dernier, les "têtes au choco" mondialement connues, confectionnées ici jusqu’en 1969.
L'ancienne chocolaterie, dont le nom n’apparaît plus que sur quelques reliques, est un emblème du passé industriel de l’ouest lausannois.
Hélène Vinard a travaillé dans cette usine dès son plus jeune âge. "Quand j’avais 18 ans, j’ai commencé aux têtes au choco", raconte-t-elle, de retour sur les lieux accompagnée de sa fille. "On avait des planches en bois, on devait mettre les hosties pour les têtes au choco dessus. Et après, ça passait sur un tapis roulant pour aller les enrober."
Il a fallu attendre 1992 pour que Villars, l’acquéreur de Perrier, change la dénomination des têtes au choco. Ce fut une surprise pour les amateurs de chocolat mais pas pour les ouvriers de l’usine.
Artistes, architectes et graphistes
"On ne devait plus dire ça, peut-être parce qu’il y avait des personnes de couleur noire qui travaillaient ici", explique Hélène Vinard.
Quarante ans après sa fermeture, l’usine est désormais occupée par des artistes, des architectes ou des graphistes. A l'intérieur, il faut bien chercher pour trouver des traces témoignant de son histoire.
Mais les spécialistes comme Eduardo Camacho-Hübner, auteur de La Chocolaterie Perrier (Les Cahier de l’Ouest) savent décrypter les indices. Voici ce qu'il raconte au sujet d'une fissure.
"Une extension a été construite, le sous-sol a été creusé. En dessous, vous aviez la salle du conchage, où l'on préparait la pâte de cacao. Le sol a travaillé avec les années et nous a laissé cette cicatrice ."
Eduardo Camacho-Hübner montre également les corridors qui permettent d’aller d’un bloc de l’usine à l’autre. "C'est par là que le cacao transitait."
Plus aucune trace de cacao dans l’usine ni dans ses bâtiments attenants où logeaient les ouvriers et ouvrières. L’une d’entre elle y est restée, par amour pour le site et les chocolats Perrier.
FRIBOURG
De fabrique d'isolants à accueil provisoire pour les Yéniches
Jadis, c'était un site industriel. Aujourd'hui, c'est une friche sur laquelle se sont établis, faute d'un meilleur endroit, des membres fribourgeois de la communauté yéniche. Fribourg est en effet la seule commune du canton a avoir proposé à l'Etat un site pouvant accueillir durant l'hiver les gens du voyage.
Pour rendre cet endroit viable, les Yéniches ont dû aménager l'espace eux-mêmes. "Ces panneaux électriques, ce sont nous qui les avons payé", indique Albert Barras, porte-parole de la communauté yéniche de Suisse, en désignant l'installation électrique qui alimente le campement, dont la pose à coûté quelque 6000 francs. L'eau courante sur l'emplacement a elle aussi été mise en place et financée par la communauté.
Lieu de stockage du bois
Ce qui est aujourd'hui une friche industrielle accueillait il y a une vingtaine d'années l'entreprise Pavatex, qui produisait des panneaux isolants fabriqués à base de bois.
La firme Pavatex a périclité, et le site est devenu une friche industrielle. Le lieu où l’on déposait le bois à l'époque est depuis trois ans le lieu où une vingtaine de Yéniches – dont 6 enfants – passent l’hiver. Un site peu propice à la vie familiale.
Une solution peu satisfaisante
"Ce n'est pas possible", fustige Albert Barras, désignant l'espace encombré de voitures d'occasion. "Les autos et les camions y arrivent toute la journée, ce sont des gens qui font de l'exportation vers l'étranger. Ca vient, ça part, c'est beaucoup trop dangereux pour les enfants."
"Le seul avantage, c'est qu'au bout de tant d'années, on nous a quand même trouvé un endroit où on peut un petit peu stationner, mais ce n'est pas (un site) sûr, comme d'habitude", regrette une jeune femme de la communauté.
Ce site n'est de toute manière pas destiné à accueillir les Yéniches sur le long terme, car les autorités fribourgeoises ont des projets pour ce terrain.
"La ville de Fribourg aimerait mettre ici une zone vivante, avec de l'industrie, de l'artisanat, des bureaux, mais pas d'habitation", informe Andrea Burgener Woeffray, conseillère communale de la Vville de Fribourg en charge des services d'urbanisme et d'architecture.
Les Yéniches pourront encore passer deux hivers sur cette friche industrielle. Le canton doit maintenant trouver un autre endroit pour accueillir durablement la communauté durant la saison froide.
COLLOMBEY
Le démontage minutieux de l'ancienne raffinerie Tamoil
Raclements de pierres, bruits métalliques: ce sont les ultimes soubresauts de la plus grande cuve de la raffinerie de Collombey. Elle succombe aux morsures d’une pelleteuse affrétée spécialement, qui aura besoin de trois semaines de travaux pour en venir à bout.
"La matière est dense et la société qui a été mandatée pour la démolition a dû se procurer une pince spéciale pour ces réservoirs", raconte Pierluigi Colombo, directeur de la raffinerie.
Plus de 50 cuves ont déjà été démolies, et 30'000 tonnes d’acier acheminées dans une fonderie pour réutilisation.
Travail de logistique titanesque
Réutilisation: c'est le maître mot de ce démantèlement, dans lequel 95% de la structure est réemployée. Les équipes de démontage emballent et numérotent chaque tuyau, chaque vanne, des centaines de milliers de pièces répertoriées avant le transport, nécessitant un travail de logistique titanesque.
"Il y a eu une modélisation de toutes les unités de la raffinerie, puis un démontage précis, où les entreprises nomment chaque pièce remontée à l’arrivée pour être réutilisée", indique Stéphane Trachsler, porte-parole de Tamoil.
Chargé de superviser le site, Lucien Mottiez a contribué à la construction de plusieurs unités dans les années 1990. Il vit ce démantèlement comme un crève-cœur. "Pour pratiquement tous les éléments qui sont par terre, je peux dire où ils allaient. Ca touche, j'ai passé la moitié de ma vie de travail ici. C’est une page qui se tourne pour nous", témoigne-t-il.
Le site doit également être dépollué, une opération de longue haleine.
"Quatre des cinq zones sont déjà en bon état et il reste une dernière zone à assainir. Les délais sont jusqu’en 2028", précise le porte-parole, qui table toutefois sur une fin des opérations avant cette date.
Une fois la raffinerie déconstruite et les zones polluées assainies, d’autres industries plus légères devraient s’installer sur ce terrain d'un million et demi de mètres carrés.