"Le syndrome d'Unspunnen", ou l'histoire de "la pierre précieuse la moins bien gardée de la nation"
Juin 1984, premier vol: trois membres du groupe Bélier, l'organisation séparatiste jurassienne, s'emparent de la pierre d'Unspunnen au musée d'Unterseen. Le groupe dit retenir en otage le rocher en granite jusqu'à ce que les districts de Moutier, Courtelary et La Neuveville soient rétrocédés par Berne au canton du Jura.
"L'idée à ce moment-là, c'était de dire 'on va remettre la question jurassienne sur le devant de la scène' en faisant des actions médiatiques. On nous a même dit qu'à l'époque, il y avait eu comme projet de faire les douze travaux d'Astérix, ou plutôt les douze travaux du groupe Bélier. La pierre d'Unspunnen, ou le Fritz des Rangiers faisaient partie de ça", explique Robin Erard dans La Matinale de la RTS, en s'amusant de la "pierre précieuse la moins bien gardée de la nation".
Nombreux témoignages
Durant leur tournage, le coréalisateur et son compère Samuel Chalard ont rencontré plusieurs membres du groupe Bélier. Ils ont aussi interrogé des membres de la Société de gymnastique d'Interlaken, propriétaire de la pierre.
"Pour un de nos protagonistes, ce vol a été un grand choc à l'époque. Il ne comprenait pas qu'il se fasse dérober un caillou, car il se considérait aussi comme une minorité bernoise, de l'Oberland, qui cherchait à exister par rapport à la Ville de Berne. Dans les années 1800, il y avait déjà des tensions, c'était en quelque sorte des autonomistes", relève le Chaux-de-Fonnier.
En 1999, la pierre est retrouvée en Belgique par le photographe bernois Michaël von Graffenried. Elle était détenue par des autonomistes wallons dans une cave, près de la ville de Charleroi. Après cette révélation, les autonomistes jurassiens déplacent la pierre.
"Michaël von Graffenried découvre que la pierre a été abîmée et que des étoiles européennes ont été gravées. Les images vont requestionner la Suisse par rapport à son lien avec la question européenne. Mais à ce moment-là, le groupe Bélier n'a pas l'intention de la rendre", rapporte Robin Erard.
Et de relever aussi l'organisation du groupe séparatiste: "Il y avait une sorte de tête pensante, un collectif qui lançait des idées. Mais ce sont aussi des cellules qui agissent en totale autonomie, et l'une d'elles a décidé de montrer la pierre au photographe. Ce n'était pas une décision hautement réfléchie."
L'omerta demeure
L'omerta est encore grande autour de la pierre d'Unspunnen. Dans le film, on peut entendre la phrase suivante: "Il est plus facile à faire parler un ancien membre de la CIA, qu'un membre du groupe Bélier".
"C'est vrai", réagit Robin Erard. "Ça fait partie de leur ADN. Il y a cette idée qu'ils ne parleront pas, même sous la torture. Mais il faut relever que s'ils ne parlent pas, c'est parfois parce qu'ils ne savent pas ce qu'il s'est réellement passé. Même entre eux, la version de l'histoire diffère. C'est impossible de leur tirer les vers du nez."
En août 2001, lors du Marché-Concours de Saignelégier, la pierre réapparaît et est offerte à Shawne Fielding, alors femme de l'ambassadeur de Suisse à Berlin. La pierre est ensuite rendue à son propriétaire... avant d'être re-volée en 2005 en plein jour dans un hôtel de luxe à Interlaken. Le groupe Bélier nie être à l'origine de ce nouveau vol.
"La pierre d'Unspunnen est un peu un polichinelle. Tout à coup, elle surgit dans l'Histoire, fait parler d'elle, avant de disparaître. C'est ça qui la rend intéressante", explique encore Robin Erard. Et le réalisateur d'imaginer que "le jour où la pierre sera rendue, elle perdra de sa valeur."
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Propos recueillis par Pietro Bugnon
Adaptation web: Jérémie Favre