En Suisse romande, la recette de l'éducation citoyenne à l'école varie selon les cantons
Un recours est en passe d’être déposé devant la justice vaudoise contre la décision d'interdire tout débat politique dans les lieux de formation du canton en amont des élections fédérales du 22 octobre. Le conseiller d'Etat en charge de la formation Frédéric Borloz (PLR) avait justifié ce choix par l'objectif d'éviter toute "pêche aux voix" en période électorale.
>> Plus de détails : L'interdiction des débats à l'école vaudoise contestée devant la Cour constitutionnelle
Mais ce qui est vu par certains comme de la propagande est défendu par d'autres comme outil pour développer l'esprit critique et la citoyenneté. Et au-delà des clivages partisans, la polémique vaudoise pose la question de la compréhension des institutions et des enjeux politiques par les jeunes de Suisse romande.
"J'aimerais bien en apprendre plus sur la politique, mais je ne sais pas par où commencer, je suis un peu perdue", témoigne une jeune Valaisanne, tout juste majeure, auprès de la RTS. Un facteur parmi d'autres qui peut expliquer une faible participation des jeunes (18-24 ans) aux échéances électorales (voir 1er encadré).
Disparités cantonales
Pourtant, l'éducation à la citoyenneté est inscrite dans le Plan d'étude romand. Elle fait donc partie du programme dans tous les cantons. Mais fédéralisme oblige, chaque canton a son propre système et tous les élèves ne sont donc pas logés à la même enseigne (voir 2e encadré).
Ainsi, une période d'Education générale et sociale (EGS) est prévue durant la quasi-totalité de la scolarité (de la 3H à la 11H) dans le Jura, tandis qu'en Valais, l'éducation à la citoyenneté est totalement intégrée aux autres disciplines et aucune période spécifique n'y est dédiée.
L'ensemble des cantons romands soulignent que les questions de citoyenneté sont abordées de manière transversale à travers d'autres disciplines, principalement l'histoire, la géographie, le français ou les sciences. Des événements extrascolaires sont aussi organisés et promus ponctuellement autour de la vie politique dans tous les cantons.
La ville de Vevey, par exemple, organisera le vendredi 15 septembre un "speed dating" entre citoyens et élus communaux à l'occasion de la Journée de la démocratie.
Syndicats d'enseignants mécontents
La pratique actuelle est jugée satisfaisante par la plupart des départements compétents, consultés par la RTS. Mais le Syndicat des enseignants romands (SER) et de la faîtière nationale (LCH) se montrent plus critiques. Pour le président du SER David Rey, il faudrait un meilleur ancrage dans la grille horaire.
"Il y a très rarement des heures qui sont dévolues au développement de ces compétences", déplore-t-il. "On a plutôt tendance à se refiler la patate chaude. On va faire un peu de citoyenneté pendant les cours de géographie, d'histoire ou d'économie politique. Donc finalement, c'est un peu au bon vouloir des enseignants ou des établissements."
Question abordée fin septembre
Par conséquent, en comparaison internationale, les élèves suisses seraient "plutôt mal classés" en matière de connaissances et de participation politiques, selon une vaste étude internationale de 2009. Une situation paradoxale au regard de l'importance de la démocratie semi-directe dans le pays. Selon David Rey, il serait donc "intéressant" que les autorités politiques fixent "un cadre commun au niveau de la Suisse romande" afin d'assurer un "socle commun" chez les élèves.
Les syndicats ont prévu d'interpeller les ministres cantonaux en charge de la formation, lesquels ont d'ores et déjà inscrit cette question à l'ordre du jour de leur prochaine Conférence intercantonale (CIIP) fin septembre.
Sujet radio: Martine Clerc
Texte web: Pierrik Jordan
La participation des jeunes toujours en berne
La participation des jeunes aux votations et aux élections reste faible en Suisse. Seul un tiers des 18-24 ans ont pris part aux dernières élections fédérales. Ainsi, à l'approche de l'échéance d'octobre, cantons et communes multiplient les campagnes d'incitation au vote.
Mais selon le politologue Georg Lutz, directeur du centre de recherches FORS, l'impact de ces campagnes reste négligeable malgré toute la "bonne volonté". Par le passé, elles "n'ont jamais eu de résultat mesurable", souligne-t-il.
"Ce n'est pas une particularité de la Suisse. Dans tous les pays où on étudie la participation, on voit que les jeunes participent moins que les personnes plus âgées", souligne-t-il, précisant que cette situation n'est pas seulement liée à un désintérêt fondamental, mais aussi aux conditions matérielle d'existence des jeunes, comme le fait d'être encore en formation ou de ne pas avoir une vie complètement "stable".
Tour d'horizon des cantons romands
Contactés par la RTS, le différents services de l'éducation et de la formation ont détaillé leur approche de l'éducation à la citoyenneté. En voici les grandes lignes:
GENÈVE
A Genève, un cours de Citoyenneté est dispensé à raison d'une période par semaine à l'école primaire en 7H et 8H ainsi qu'au secondaire en 9H. L'éducation à la citoyenneté est aussi travaillée dès la première année scolaire de manière transversale, à travers d'autres disciplines et en lien avec l'éducation numérique et l'éducation au développement durable.
Au-delà de l'éducation à la citoyenneté au sens strict, Genève promeut également les "expériences participatives" à destination des jeunes, comme le Conseil de la jeunesse ou autres projets participatifs locaux. Le Département de l'instruction publique comprend aussi un service "Ecole Sport Art Citoyenneté" (SESAC).
JURA
Dans le Jura, une période spécifique d'éducation générale et sociale (EGS) est prévue sur l'ensemble de la scolarité obligatoire (une leçon hebdomadaire est prévue de la 3H à la 6H, une demi-période en 7H et 8H puis à nouveau une période entière de la 9H à la 11H)
L'éducation à la citoyenneté est aussi travaillée dans les autres disciplines scolaires, en français, en économie pratique ou en sciences par exemple, selon les projets menés durant une année scolaire, avec une attention particulière lors d'échéances électorales communales, cantonales ou fédérales.
NEUCHÂTEL
À Neuchâtel, l’éducation à la citoyenneté se pratique dans différentes disciplines spécifiques, comme l'histoire, la géographie ou le français. En 11H, le cours "Monde contemporain et citoyenneté" est largement dédié à cet enseignement et aborde des thèmes tels que les régimes politiques, les pouvoirs et le rôle de l’État, les droits et les devoirs du citoyen, une introduction au droit ou encore la question de l’Europe. C'est aussi un sujet d’enseignement transversal.
Le canton cite plusieurs exemples d'activités conduites en classe ou hors classe, principalement en 11e année, tels que des échanges au sujet des votations, le visionnement de reportages sur Easyvote, le suivi en direct de l'élection au Conseil fédéral, l'invitation de politiciennes ou de policitiens en classe, l'organisation de débats ou de votes sur des sujets cantonaux au sein de la classe ou encore la participation aux activités proposées par Young Enterprise Switzerland ou la semaine des médias.
Le canton de Neuchâtel précise qu'il prévoit également un enseignement des cultures religieuses et humanistes (ECRH) intégré aux leçons d’histoire et qui "contribue à une ouverture et à une réflexion critique relatives aux interrogations sur le sens de la vie". "L’un des objectifs de cet enseignement est d’amener l’élève à apprendre à respecter les convictions d’autrui, exprimées individuellement ou collectivement", écrit le canton.
FRIBOURG
À Fribourg, les élèves de 11H ont une heure de Citoyenneté par semaine. "Durant ces leçons, les élèves abordent les caractéristiques d'un État, le rôle des lois, les droits et les devoirs fondamentaux du citoyen dans les textes de référence, les différents régimes politiques, les trois niveaux de souveraineté, le rôle des élus, les différents partis politiques et leurs principales orientations, les principaux droits et devoirs du citoyen, les principaux droits sociaux et encore quelques relations entre la Suisse et l'Europe ou le monde", écrit la Direction de la formation et des affaires culturelles.
Ces périodes sont toujours construites en lien avec l’actualité, précise le canton. "Cette année, la planification de 11e année tient compte des élections nationales et le fonctionnement du vote" et propose "un tour d'horizon des divers partis". En 2022, les élèves fribourgeoises et fribourgeois ont participé à un scrutin sur la modification de la loi sur la transplantation.
Par ailleurs, "toutes les disciplines sont susceptibles de contribuer au développement de cet objectif par la mise en place de projets disciplinaires ou interdisciplinaires". Elle peut aussi passer par la participation à des discussions et débats relatifs à la vie de l'école, comme les conseils de classe, l'organisation d'activités particulières ou la médiation de situations conflictuelles.
VALAIS
En Valais, il n’y a plus de périodes spécifiquement attribuées à l’éducation à la citoyenneté depuis l’introduction du nouveau Plan d'étude romand. Cet enseignement est abordé via la formation transversale. "Il s’agit d’instaurer une saine discipline et une bonne atmosphère de travail par le respect de règles souvent co-construites, en favorisant l’intégration de chacun et en développant l’altérité et le respect mutuel", détaille le canton.
"Cette thématique est bien mieux intégrée dans l’enseignement que par le passé. Autrefois, on se contentait d’un cours en 11H. Aujourd’hui cela est abordé au gré de l’avancement dans le programme. Il ne s’agit plus d’un enseignement décroché", écrit un responsable cantonal dans une réponse fournie à la RTS.
Il précise en outre que l'école valaisanne promeut aussi l’éducation à la citoyenneté à travers le Parlement des jeunes, l'instauration d'un "Parlement des enfants" dans certaines écoles, le Forum annuel de la Planta ou encore un projet pilote en cours pour des rencontres avec différentes jeunesses politiques.
VAUD
Dans le canton de Vaud, la citoyenneté est principalement enseignée en association avec la géographie et l’histoire. "Cette association permet une approche de la citoyenneté à l’aide d’exemples concrets [...] qui permettent à l’élève de comprendre le rôle de nos institutions", écrit le canton.
La grille horaire cantonale prévoit en outre une dotation horaire de 10 périodes par année scolaire au cycle 2 (5Hà 8H) et d’une période hebdomadaire en 11e année. Plusieurs projets pédagogiques au sein des établissements font aussi appel à ces notions. Une évaluation spécifique est faite en 11H, précise encore le canton. Le reste du temps, l'évaluation de ces compétences est intégrée dans la géographie.
Enfin, dans les cursus postobligatoires, si l’éducation à la citoyenneté ne fait pas l’objet d’une branche spécifique, elle est "bien présente dans les différents plans d’études cadres et, en conséquence, dans les programmes", souligne encore le Département de l’enseignement et de la formation professionnelle, soit en étant intégrée de manière transversale, soit en faisant l'objet de modules spécifiques et propres aux différentes voies de formation.
Par ailleurs, lors de la dernière année scolaire, les écoles vaudoises ont participé à la Semaine de la citoyenneté, ce qui "démontre la volonté du Département de promouvoir l’éducation à la citoyenneté", estime ce dernier.