"Afin de maintenir une base économique durable et de permettre des investissements dans l'innovation, des mesures de réduction des coûts sont nécessaires. Cela implique la suppression probable de 35 postes au total, sous réserve du résultat de la procédure de consultation en Suisse romande", écrit mercredi le groupe 20 Minuten, filiale de TX Group.
La rédaction de 20 minutes, qui comprend également la rédaction de lematin.ch et l'agence Sport-Center, est avec 104 collaborateurs l'une des plus grandes rédactions de Suisse romande, rappelle le groupe. "Il y a environ deux ans, l'effectif a été augmenté de 20 postes. Cependant, le chiffre d'affaires escompté qui en découlait n'a pas été atteint. Au lieu de cela, on a assisté à un net recul."
Vingt-huit collaborateurs sont concernés par la suppression de postes, indique 20 minutes. Les mesures en Suisse romande sont soumises aux résultats de la procédure de consultation, qui sera lancée "immédiatement". Les collaborateurs concernés seront soutenus par un plan social, assure-t-on.
Suppressions déjà annoncées chez Tamedia
Du côté alémanique, la rédaction de 20 Minuten emploie 145 personnes. Sept collaborateurs sont concernés par la suppression de postes. "Trois collaborateurs doivent en outre réduire légèrement leur taux d'occupation. Un plan social est également appliqué en Suisse alémanique", poursuit le communiqué.
"Les recettes publicitaires numériques de la Suisse sont principalement captées par les géants mondiaux de la technologie. En conséquence, le chiffre d'affaires d'exploitation du groupe 20 Minuten a diminué d'environ un cinquième depuis 2019 (de 147 millions en 2019 à 115 millions de francs en 2022)", peut-on aussi lire.
Personnel "sous le choc"
Pour l'instant, aussi bien du côté des dirigeants de l'entreprise que de la Société des collaborateurs, personne ne veut s'exprimer oralement. La Société des collaborateurs, qui se réunira mercredi après-midi, a fait savoir à la RTS qu'elle est "sous le choc", comme l'ensemble de la rédaction. Elle s'attendait à des licenciements, mais pas d'une telle ampleur. Elle dit aussi son incompréhension par rapport à la stratégie de la direction, qui crée une vingtaine de postes pour en supprimer une trentaine moins de trois ans plus tard.
Du côté d'Impressum, le syndicat des journalistes, son président Edgar Bloch fait part de son écoeurement: "Nous sommes scandalisés. On doit se demander de quoi l'avenir de la presse en Suisse romande sera fait. On ne croit plus aux balivernes de ce groupe dont le président déclarait que la Suisse était un paradis pour le journalisme. Dans quelques années, il n'y aura plus que les réseaux sociaux pour informer la population", a-t-il déploré au micro du 12h30.
Il y a un mois, Tamedia, éditeur du groupe alémanique, avait déjà annoncé la suppression d'une trentaine d'emplois en Suisse romande, principalement au sein des rédactions de 24 Heures et de la Tribune de Genève. Des discussions sont en cours dans le cadre de la procédure de consultation.
>> Relire : Tamedia annonce la suppression de 28 emplois en Suisse romande
Crise du marché publicitaire
Au-delà de la décision de TX Group, cette annonce met en lumière la crise du marché publicitaire qui ne touche pas seulement 20 minutes, mais tous les médias y compris la télévision, comme l'explique au micro du 12h30 Philippe Amez-Droz, spécialiste en économie des médias, chargé de cours à l'Université de Genève.
"Il y a une vérité dans le communiqué de TX Group concernant la captation du marché publicitaire par les GAFAM, et en particulier par Google, qui en Suisse capte un bon quart des recettes publicitaires en ligne."
Il espère que cette annonce ne signera pas la mort du 20 minutes papier, "parce que ça rendrait la marque 20 minutes moins distincte que d'autres concurrents comme Watson et Blick francophone, qui sont arrivés sur le marché médiatique romand il y a peu." Selon lui, une des caractéristiques de la marque 20 minutes pour les annonceurs nationaux est justement sa diffusion papier, qui est considérable "et qui produit des recettes encore très importantes pour qu'on ne les néglige pas. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la plupart des journaux existent encore en format papier".
ats/iar/fgn
"Ils sont venus avec des gros sabots, ils ont tout changé mais ils n'ont rien compris au paysage romand"
Ancien rédacteur en chef du Matin, Peter Rothenbühler a commenté ces licenciements mercredi soir dans l'émission Forum. Il a pointé du doigt le cynisme de TX Group qui, selon lui, laisse mourir ses journaux à petit feu. Mais il voit aussi un aspect positif dans les difficultés économiques de 20 Minutes.
"Je suis en colère quand je pense aux collègues qui vont être licenciés. En même temps, c'est aussi un peu une bonne nouvelle que le journal gratuit n'aille pas très bien, car il a fait beaucoup de mal aux journaux régionaux traditionnels quand il a été lancé par Tamedia", détaille-t-il. "Si ce journal devait disparaître dans sa version imprimée, ça pourrait faire beaucoup de bien aux journaux traditionnels payants."
"Nous étions heureux quand ils ont annoncé qu'ils allaient s'intéresser à la Suisse romande", se remémore l'ancien journaliste. "Et puis nous nous sommes assez vite rendu compte (...) que ça ne les intéressait absolument pas. Ils sont venus avec des gros sabots, ils ont tout changé chez Edipresse mais ils n'ont rien compris au paysage romand. C'était une pure opération spéculative pour gagner de la publicité sur un plan national avec 20 Minutes. Ça leur a réussi, ils ont gagné beaucoup d'argent avec 20 Minutes. Mais maintenant ça baisse", analyse-t-il.
"Mauvais cheval"
Selon lui, TX Group ne pourra pas conserver la qualité de ses contenus avec ces coupes. "On ne peut pas licencier 30 personnes et garder la qualité. La qualité dépend des hommes et des femmes qui font les journaux (...) Or, ça ne les intéresse pas d'investir dans les titres, je l'ai constaté depuis 10 ans", accuse-t-il.
Peter Rothenbühler estime en outre que TX Group "raconte des contes de fées" lorsqu'il accuse les GAFAM de saper les revenus publicitaires. "Ce sont les éditeurs eux-mêmes qui profitent, avec leurs plateformes de petites annonces [TX Group contrôle notamment Homegate, Ricardo, Renovero ou encore Starticket, ndlr] qui font d'énormes bénéfices! Mais ils n'en font pas bénéficier leurs journaux", dénonce-t-il. Or, "ces annonces paraissaient à l'époque dans les journaux et finançaient le journalisme."
"Je crains que les GAFAM ne leur piquent ce marché à l'avenir. Et là, ils verront qu'ils ont parié sur le mauvais cheval", dit-il encore.
Le journalisme continue d'intéresser la relève
Malgré l'annonce de suppression de poste chez 20 minutes, dans les écoles où se forme la relève, les futurs journalistes postulent encore et toujours.
A Neuchâtel, le Master en journalisme continue d'offrir 30 places à chaque rentrée. Le nombre de candidatures a certes légèrement baissé ces dernières années, mais les dossiers et la motivation sont extrêmement solides, d'après Nathalie Pignard-Cheynel. Pour la directrice des formations en journalisme à l'AJM, les crises ont plutôt tendance à renforcer les vocations. Et selon ses statistiques, une fois le cursus terminé, l'insertion professionnelle reste stable et même excellente.
A Lausanne, au Centre de Formation au Journalisme et aux Médias le constat est le même. Pour son directeur Marc-Henri Jobin, malgré les licenciements annoncés, les rédactions ont besoin de remplacer toute une génération de journalistes "baby boomers" qui s'en vont. Mais attention, la crise que traversent les médias pourrait finir, avec un certain décalage, par toucher les filières de formation. Même si pour Marc-Henri Jobin, les nouveaux outils de diffusion offrent de nouvelles opportunités pour le métier.