Au cœur de la saison d'alpage, entre tradition et réalité du terrain
La saison d’alpage, avec ses vaches, ses cloches et ses rituels de l’inalpe, est une tradition attestée depuis le Moyen-Age et bien ancrée dans l’imaginaire suisse. L’UNESCO l’a inscrite l’année dernière au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Au-delà de l’image de carte postale, quelle est la réalité du terrain? La Matinale s'est rendue toute cette semaine au milieu des prairies et a même pris place à bord des machines agricoles.
Les inalpes, les traditionnelles montées à l'alpage, se sont modernisées. La majorité d'entre elles se font désormais en véhicule, en tout cas pour une partie du chemin.
Si les agriculteurs continuent à monter en montagne, c'est parce que l’herbe en altitude permet de nourrir les troupeaux, pendant que les terres en plaine servent à préparer le fourrage pour l’hiver. Le lait des vaches d’alpage offre par ailleurs du lait qui peut être utilisé, par exemple, pour la fabrication du Raclette AOP.
L’intérêt est aussi financier. Pour encourager les agriculteurs à monter à l’alpage, la Confédération offre depuis une dizaine d’années des payements directs aux agriculteurs qui perpétuent la pratique et contribuent à l'entretien du paysage.
Malgré cela, l’engagement ne va plus de soi. De nombreux enjeux se dressent devant les agriculteurs, comme le réchauffement climatique et le problème de la sécheresse. A cela s’ajoutent le manque main d’œuvre et la difficulté à fidéliser le personnel.
Main d'œuvre étrangère
Quand les armaillis sont polonais et roumains
Les alpages ne peuvent plus seulement compter sur les armaillis. Pour survivre, les exploitants se tournent vers la main d’œuvre étrangère. Sur les hauteurs d’Icogne, dans le Valais, à 2000 mètres d’altitude, Pascal Cordonier emploie une quinzaine de personnes pour l'aider à s'occuper de son alpage.
"On a une équipe de Roumains et un Polonais. Le Polonais est là depuis quelques années, et les Roumains sont là depuis cinq ans. On tâche de bien rémunérer le personnel, de mettre les employés à l'aise, pour qu'on puisse reprendre les mêmes chaque année", explique Pascal Cordonier dans La Matinale.
Pascal a vu se succéder différentes communautés. "Il y avait de temps en temps un Français, de temps en temps un Tunisien. Il y avait déjà des gens qui venaient de l'extérieur, mais pour des petits postes."
Il poursuit: "Maintenant, on ne trouve pratiquement plus de Suisses. Les gens travaillent toute l'année, on ne peut pas prendre congé trois mois pour monter à l'alpage. Des gens qui savent traire, il n'y en a plus beaucoup. "
Restauration
Quelles buvettes pour nos alpages?
Nouveau lieu de rencontre de citadins en mal de nature ou restaurant traditionnel pour travailleur de la terre, les buvettes font partie du paysage alpestre suisse, que ce soit dans le canton de Vaud, en Valais, à Berne ou à Fribourg.
La tradition de la buvette d’alpage remonte seulement aux années 60 et 70, avec le développement des routes alpestres. Mais les lois entourant les zones agricoles se sont durcies ces dix dernières années et il devient difficile d’ouvrir de nouvelles buvettes.
"Il semblerait qu'il y ait un tassement dans les fréquentations des buvettes. Mais les buvettes d'alpage existantes vont continuer à exister, et elles sont importantes pour la région ou la commune où elles se trouvent. Elles représentent un plus pour le tourisme en général", explique dans La Matinale Gérard Moura, tenancier de la buvette des Sattels, en Gruyère.
Sécheresse
Un Far-West climatique
Le changement climatique fait partie des enjeux de ces dernières années pour les alpages. L’inquiétude numéro une est la sécheresse. Les demandes de financement pour adapter l’apport en eau sont nombreuses ces dernières années.
En 2022, l'alpage du Grand Sonnailley, au-dessus de Nyon, presque à la frontière française, a connu la saison la plus chaude et la plus sèche de l'histoire. "L'alpage ressemblait à une sorte de savane africaine et j'ai été confronté, pour la première fois, à devoir faire transporter de l'eau de la plaine pendant tout l'été", se remémore dans La Matinale Marc Hauser, responsable de l'alpage.
Cette année-là, un camion rempli de 9000 litres d'eau monte par la route à l'alpage pour abreuver les vaches. La sécheresse est telle qu'il devra faire ce ravitaillement six fois, sans que ce soit suffisant pour tenir tout l'été. "J'ai dû faire descendre le bétail à la fin août, alors que d'habitude, il descend un mois plus tard", explique Marc Hauser.
Spiritualité
Des cathédrales naturelles à ciel ouvert
Au-delà de l’entretien des pâturages ou de la fabrication du fromage, les alpages ont également une dimension spirituelle, entre croyances, chants ou simplement silence.
Dans l'alpage "Im Fang" de Charmey, à la frontière entre Fribourg et Berne, l’abbé Jaques Rime prononce la bénédiction en allemand. Il prépare l’eau bénite et le goupillon et asperge le troupeau. "On demande à Dieu de protéger ces animaux des maladies, des dangers. On parle aussi des épidémies", explique-t-il dans La Matinale.
Ce genre de rituel religieux est aujourd'hui une pratique plutôt confidentielle. Elle révèle pourtant l'importance de la spiritualité dans nos montagnes. L'abbé Jaques Rime en a même fait une recherche historique dans le canton de Fribourg.
"Il y a une présence au niveau physique, avec des signes religieux des croix, des chapelles, des statues de Marie. Mais il y a aussi tout le domaine culturel, je pense notamment aux chants populaires qui ont une teinte chrétienne. La personne emblématique, c'est l'abbé Bovet."