"On a été envahis de corbeaux. Dans ce platane, il y avait quatorze nids." La directrice de la garderie Tom Pouce, Sylvie Richard, n'est pas près d'oublier le printemps 2021. "Il y a eu énormément de dégâts, des chutes de branches et des fientes partout, y compris sur la terrasse de la nurserie et sur les jeux des enfants." Face à cette invasion de corbeaux freux, la crèche yverdonnoise a dû fermer temporairement son jardin, devenu trop dangereux pour les tout-petits.
Un oiseau partiellement protégé
Originaire d'Europe de l'Est, le corbeau freux a commencé à coloniser les agglomérations suisses dans les années 1990. Aujourd'hui, il évolue dans les villes du Plateau, comme Yverdon-les-Bains, Genève, Fribourg ou Nyon.
Depuis 2010, le corbeau freux ne figure plus sur la liste rouge des oiseaux nicheurs menacés en Suisse. Il est cependant partiellement protégé. Les colonies ne peuvent pas être dérangées pendant la période de nidification, soit du 16 février au 31 juillet. "Le reste du temps, il est possible d'intervenir", précise François Turrian, biologiste et directeur romand de l’association BirdLife suisse, "mais il faut le faire avec proportionnalité, là où il y a vraiment des nuisances."
>> Suppression des nids :Lutter contre les nuisances
Décibels, odeurs, déjections: les nuisances ne manquent pas. Chaque hiver, la Ville d'Yverdon-les-Bains tente de décourager les corbeaux de venir s'installer dans ses platanes. Lors d'une intervention menée début février, les employés de la municipalité avaient pour mission d'enlever une dizaine de nids sous l'oeil attentif d'Antoine Sauser, responsable Environnement. "Il y a des mesures à court terme dans les zones sensibles, comme celle-ci, mais aussi des mesures à plus long terme. On crée des habitats pour le corbeau freux en dehors du centre urbain. On invite aussi des prédateurs, comme le hibou Grand-duc, en posant des nichoirs."
La Ville emploie aussi des fauconniers qui sillonnent la ville avec leurs rapaces. Cela permet de maintenir les corbeaux à distance de certains sites, comme la garderie Tom Pouce.
Quelle place pour la biodiversité en ville?
Pour les autorités d'Yverdon-les-Bains, lutter contre les nuisances du corbeau freux a un coût, 20'000 à 30'000 francs par année, sans compter le nettoyage des rues, qui peut se révéler complexe. "On doit tout le temps s'adapter", ajoute Antoine Sauser. "Le corvidé est très intelligent et s'accoutume rapidement à nos mesures. " Un effort que fournit consciemment la commune, pour donner une chance à la biodiversité. Inviter la nature en ville: un défi qui ne fait que commencer.
Sujet radio: Cédric Guigon
Adaptation web: Joëlle Cachin
À chaque ville sa stratégie
Effarouchement, nettoyage intensif ou rondes entre voisins: les stratégies pour lutter contre les nuisances du corbeau freux varient selon les communes.
À Fribourg, une colonie installée sur le boulevard de Pérolles demande particulièrement d'attention. Durant la période la plus dense, la voirie nettoie le trottoir entre 2 et 4 fois par semaine, à raison de 2 heures chaque fois.
De son côté, la Ville de Lausanne alterne entre la suppression des nids et des mesures d'effarouchement. Elle met par exemple des crécelles à disposition de ses habitants, qui organisent des rondes de dérangement des corbeaux.
Autre politique à Nyon, qui mise plutôt sur l'information à la population, mais ne chasse pas ses 130 couples nicheurs. Elle estime que les mesures d'effarouchement mises en place par d'autres communes ne sont pas suffisamment efficaces.
À Genève, on doute aussi de l'efficacité de ces mesures sur le long terme, tout en traitant les situations au cas par cas. Dans ce canton, le nombre de nids est passé de 251 en 2013, à presque 1000 aujourd'hui.