Inimitiés personnelles, management contesté et érosion des inscriptions: la HE-Arc en crise
Brigitte Bachelard, la directrice de la Haute Ecole Arc (HE-Arc), prendra sa retraite à la fin de cette année. Son bilan est contesté: si certains employés, passés ou présents, reconnaissent qu'elle a su défendre cette école, d'autres se montrent plus critiques.
"Plusieurs personnes ont quitté la HE-Arc à cause d'elle", affirme l'une des personnes contactées par la RTS. Plusieurs employés n'hésitent pas à parler d'un "système Bachelard" et d'un climat de peur.
"Elle m'a mis une énorme pression", témoigne un ancien cadre mardi dans La Matinale. "Elle me poussait à licencier certaines personnes qu'elle jugeait inaptes au poste. Elle me reprochait mon côté humain et participatif. Mais elle m'avait dit: 'Chaque fois que quelqu'un m'a résisté, je lui ai mis la pression jusqu'à ce qu'il craque.' C'était pour me faire peur. Ça a marché. (....) Pendant 20 ans, on l'a laissée faire du mal. Il y a aussi des responsabilités plus globales. Tout le monde savait et il ne s'est jamais rien passé", détaille-t-il.
La RTS s'est entretenue avec plus d'une douzaine de personnes et toutes ont tenu à leur anonymat.
La directrice conteste les critiques
Invitée à répondre à ces accusations, Brigitte Bachelard estime qu'il s'agit avant tout de règlements de comptes et de jalousie. "Je crois qu'en 20 ans, il n'y a pas eu tellement de gens qui sont partis à cause de moi", assure-t-elle. "Franchement, je ne vois pas tellement comment ces critiques ont pu être formulées."
"Mais il est vrai que certaines personnes ne m'apprécient pas et c'est normal. Cela fait partie du jeu", admet-elle. "Mais je sais aussi que des personnes auraient aimé prendre mon poste. [Les critiques font] aussi partie des choses qui se disent parfois pour expliquer que la personne en place n'est pas la meilleure", déclare-t-elle.
Un membre de la direction licencié
Les tensions se cristallisent en ce moment dans un domaine en particulier: l'ingénierie. Un secteur-clé pour l'école, mais aussi pour la région au regard de son tissu économique industriel.
Le directeur de ce domaine vient d'être remercié. C'est une personnalité forte, très appréciée, mais contestée elle aussi. Il n'empêche, ce licenciement a choqué au point que le conseil du personnel a écrit une lettre aux instances dirigeantes de l'école pour dénoncer une décision qualifiée "d'incompréhensible et en décalage avec la réalité du terrain".
Ni Brigitte Bachelard, ni le directeur congédié n'ont souhaité s'exprimer sur le sujet. Leur inimitié n'est toutefois un secret pour personne au sein de l'école.
Le comité stratégique (formé des trois conseillères et conseiller d'Etat des cantons de Berne, Jura et Neuchâtel en charge de la formation) et le directeur licencié s'envoient, désormais par avocats interposés, des courriers comportant des centaines de pages.
Un remplacement sinueux
Le timing du licenciement interpelle, car il est intervenu en pleine course à la succession pour la direction générale. Sur quatre directeurs de domaine, il n'en restait donc que trois. L'un d'eux, le responsable de l'école de gestion, semblait se positionner comme le successeur naturel de la directrice générale. Une première annonce d'emploi, publiée en mars, ne laissait que trois semaines pour postuler. Ce délai assez court a donné l'impression que les dés étaient pipés.
Plusieurs interlocuteurs de la RTS se sont inquiétés de la possible nomination du directeur du domaine Gestion. Ses méthodes de management sont, elles aussi, fortement critiquées.
Mais ces craintes se sont évanouies, puisqu'aucune candidature n'a été retenue. La Haute école a relancé une mise au concours, qui a permis de recevoir 25 dossiers. La nomination devrait être annoncée cet automne.
Moins d'étudiants que par le passé
La HE-Arc vit donc des heures décisives pour son avenir. En plus du climat lourd et d'une succession compliquée, l'institution doit aussi lutter contre une tendance à la baisse des étudiants et étudiantes. C'est un enjeu majeur pour Neuchâtel, Berne et le Jura, les trois cantons de l'Arc jurassien qui financent l'école.
Celle-ci est la plus petite entité de la Haute École spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). Une situation qui lui impose de devoir lutter pour exister sur la carte. Elle a atteint un pic de 1800 étudiants en formation de base et de 1200 personnes en formation continue en 2020. Mais aujourd'hui, elle tourne à 1400 étudiants et un millier de personnes en formation continue. Le financement de la formation continue est auto-porté. Reste que la prochaine enveloppe de la Haute-Ecole sera moins fournie.
"Si cela continue comme ainsi, on est foutus", lance un professeur, qui n'est pas le seul à nourrir des inquiétudes pour l'avenir.
Un règne jugé trop long
Pendant 20 ans, les rancœurs et les non-dits se sont accumulés. Jusqu'ici rien, ou presque, n'avait filtré. Mais visiblement, les langues se délient. Au sein des personnes contactées par la RTS, on sent clairement un besoin de crever l'abcès.
Et pour éviter de répéter les erreurs du passé, certains préviennent: il ne faut plus confier les clés du royaume, qui compte aujourd'hui près de 400 employés, à la même personne pendant 20 ans. Cette période est jugée trop longue. Ce n'est d'ailleurs pas la norme dans les hautes écoles et les universités.
Deborah Sohlbank/ami
Martial Courtet: "L'école va passer à une nouvelle étape"
Martial Courtet, le ministre jurassien en charge de la Formation et actuel président du comité stratégique de la HE-Arc, reconnaît que l’institution "traverse une crise". "Mais la direction va changer", nuance-t-il, estimant que "l'école va passer à une nouvelle étape".
L'élu du Centre indique par ailleurs n'avoir jamais été informé, via notamment la commission du personnel, d'éléments précis qui auraient pu être réglés. "Nous sommes toujours à l'écoute et c'est dommage parce que l'on parle là plutôt de rumeurs", souligne Martial Courtet.
Quant au directeur qui a été licencié, les décisions ont été prises à l'unanimité, assure-t-il.