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Le Glossaire des patois fête ses 125 ans et atteint la lettre "J"

Le Glossaire des patois fête ses 125 ans et atteint la lettre "J" [GPSR unine - Capture d'écran]
Le Glossaire des patois fête ses 125 ans et atteint la lettre "J" / Le 12h30 / 32 sec. / le 14 juillet 2024
Le projet de Glossaire des patois de la Suisse romande (GPSR), lancé en 1899 par trois linguistes suisses, voulait collecter pendant dix ans des mots dans toute la Suisse romande pour en faire un dictionnaire afin de les préserver de l'oubli. Aujourd'hui, 125 ans plus tard, l'entreprise se poursuit et se diversifie.

Le projet de Glossaire des patois de la Suisse romande (GPSR), lancé en 1899 par trois linguistes suisses, semblait raisonnable: collecter pendant dix ans des mots dans toute la Suisse romande pour en faire un dictionnaire afin de les préserver de l'oubli. La tâche s'est cependant révélée titanesque: 125 ans plus tard, l'ouvrage en est seulement à la lettre "J". Malgré tout, l'entreprise se poursuit et se diversifie pour profiter à toute la population.

Partis du constat que les patois romands reculaient fortement à la fin du XIXᵉ siècle, Louis Gauchat, Jules Jeanjaquet et Ernest Tappolet avaient eu l'idée de créer ce glossaire. "Ils n'avaient pas dans l'idée de maintenir ces langues, mais de maintenir leur souvenir", a expliqué l'adjointe à la direction du GPSR Dorothée Aquino.

Pour collecter leur matière première, les fondateurs ont mis sur pied un réseau d'environ 150 personnes correspondantes dans toute la Suisse romande, avec pour prérequis de parler patois et de savoir écrire. "Pendant dix ans, de 1900 à 1910, ils ont répondu tous les mois à un questionnaire sur des thématiques très diverses, comme les saisons ou les outils agricoles", poursuit la linguiste.

>> Ecouter Raphaël Maître, rédacteur pour le GPSR, en 2022 :

Cours de patois à Evolène (VS) par l'enseignante Bernadette Vuignier. [Keystone - Jean-Christophe Bott]Keystone - Jean-Christophe Bott
Le patois en Suisse romande / Tribu / 26 min. / le 25 août 2022

Avalanche de mots

Au total, quelque 500'000 fiches reviennent de cette "grande enquête". Ne reste plus qu'à les dépouiller pour créer le glossaire proprement dit. Classés par ordre alphabétique, les articles comprennent entre autres la prononciation du mot patois, sa signification ainsi que son emploi dans le contexte.

L'entreprise est incroyablement chronophage. Le premier fascicule paraît en 1924, soit quatorze ans après la fin de l'enquête, et va de "a" à "abord".

"Les fondateurs ne se sont clairement pas rendu compte de l'ampleur de la tâche. Ils avaient l'impression qu'ils feraient ça rapidement et avaient tous une profession annexe. Même en ayant consacré de plus en plus de leur temps au fil des années au dictionnaire, ils ont dû se rendre à l'évidence qu'ils n'y arriveraient pas", raconte Dorothée Aquino. Les fondateurs décèdent entre 1939 et 1950, alors que le glossaire atteint les mots "bible" puis "brisolée".

A l'horizon 2060?

Depuis 1925, des professionnels travaillent à la poursuite du glossaire, financé par la Confédération et les cantons romands. Aujourd'hui, huit rédacteurs – six équivalents plein temps – s'y consacrent. A ce jour, 137 fascicules sont sortis. La dernière entrée en date est le mot "jucher".

Le dictionnaire pourrait parvenir à l'entrée "zyeuter", soit à son terme, à l'horizon 2060: "En tout cas pas avant", estime Dorothée Aquino. L'adjointe à la direction du GPSR précise que des glossaires des patois de Suisse alémanique, du Tessin et des Grisons sont également en cours, eux aussi, pour l'heure, inachevés.

Le concept et les objectifs du GPSR ont évolué au fil du temps. Aujourd'hui, ils vont vers une plus grande vulgarisation, dans une optique de "rendre" le glossaire à la population qui a "fourni la matière". Le dictionnaire est accessible en ligne depuis 2018 tandis qu'un nouveau site internet doit être lancé en novembre.

>> Exemple d'une recherche sur le Glossaire des patois de la Suisse Romande :

Exemple de recherche sur le GPSR
Exemple de recherche sur le GPSR / L'actu en vidéo / 1 min. / mercredi à 12:31

Dorothée Aquino, qui a eu l'occasion de constater que la population est généralement "super intéressée" aux questions de langue, estime avoir "matière à toucher les personnes qui ne sont pas celles qui lisent le glossaire". En effet, "derrière un mot patois apparaissent aussi des réalités locales et de l'époque", relève-t-elle.

Bouillon de coq et capsules vidéo

L'entrée "coq", par exemple, mentionne ainsi l'existence du "bouillon de coq", un élixir à base de lierre terrestre, élaboré en 1760 par un médecin sédunois et utilisé contre les maladies de poitrine et les impuretés du sang. Elle indique aussi que dans certaines localités, l'homme le plus riche ou le plus considéré était appelé "coq du village".

L'adjointe à la direction et son équipe entendent également puiser dans leurs matériaux pour "mettre en lumière les correspondants de l'époque". Une capsule vidéo sera créée pour vulgariser la fondation du glossaire, tandis qu'une série consacrée aux réalités romandes doit voir le jour.

>> Des images pour retrouver un mot : Sur le GPSR, une galerie d'images permet de rechercher des articles par le biais de leurs illustrations. [GPSR unine - capture d'écran]
Sur le GPSR, une galerie d'images permet de rechercher des articles par le biais de leurs illustrations. [GPSR unine - capture d'écran]

Le premier volet sera consacré à la "torrée" neuchâteloise et aura pour but d'expliquer l'histoire de ce mot ainsi que de la réalité qu'il désigne. La fondue pourrait faire l'objet du deuxième volet.

La population pourrait aussi être appelée à participer à nouveau. "Dans notre processus de recherche sur les réalités à documenter, nous avons les fiches, mais comme les correspondants sont tous décédés, nous n'avons pas toujours les connaissances qui vont avec. L'idée serait de créer un réseau d'experts dans des domaines de savoirs traditionnels avec lesquels nous avons un peu perdu le lien", explique encore Dorothée Aquino.

>> Le retour du patois en Gruyère :

Connoté très négativement, le patois fait aujourd'hui son grand retour. Au point d'être enseigné à l'école et joué sur les planches
Connoté très négativement, le patois fait aujourd'hui son grand retour. Au point d'être enseigné à l'école et joué sur les planches / Couleurs d'été / 3 min. / le 24 juin 2024

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ats/sjaq

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