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En cas d'accident, un wagon de chlore pourrait intoxiquer 20'000 personnes

Le chlore est transporté dans ce type de wagon.
Le chlore est transporté dans ce type de wagon.
Des milliers de personnes pourraient décéder en cas d'accident d'un des wagons de chlore qui traversent quotidiennement l'Arc lémanique et la vallée du Rhône. Habitez-vous dans une zone à risque? Cherchez la réponse sur notre visualisation interactive.

Imaginons que le mercure affiche une vingtaine de degrés, que le ciel est plutôt dégagé et qu'il y a un très léger vent. En somme, une belle journée d'été.

Mais, ce jour-là, comme à Daillens (VD) le 25 avril dernier, un wagon transportant des matériaux dangereux déraille. La citerne de 120 m3, remplie de chlore à destination de l'industrie chimique en Valais, se renverse. Résultat de l'accident: le chlore s'échappe instantanément et un nuage de gaz hautement toxique se répand.

Les personnes qui se trouvent dans un rayon de 1610 mètres risquent une intoxication fatale, même à l'intérieur des bâtiments. Jusqu'à 115'000 habitants en ville de Genève à l'endroit le plus peuplé du parcours. Au total, 840'000 personnes résident dans cette zone à risque entre Genève et Viège.

A l'air libre, le taux de mortalité atteint 99% pour toute personne se trouvant à moins de 300 mètres du lieu de l'accident. Des décès peuvent être observés jusqu'à 2500 mètres.

Voir la population qui habite dans la zone à risque (moins de 1610 mètre) sur notre animation. Cliquez sur "Démarrer".

Cette visualisation est basée sur un modèle réalisé par le bureau d'étude Securetude, spécialiste de la sécurité, que nous avons croisé avec les données de densité de population sur le parcours du convoi.

En forme de plume

Le vent donne au nuage de chlore la forme d'une goutte d'eau ou d'une plume, explique Gérald Sellie, CEO de Securetude, qui s'était chargé de calculer les risques lors de l'implantation du Stade de Genève à la Praille. Toutes les personnes qui habitent dans le rayon à risque ne seraient donc pas touchées en cas de catastrophe.

Dans le scénario exposé ci-dessus, la zone toxique couvre environ 10% de la surface des 1610 mètres de rayon. Plus de 20'000 personnes pourraient donc être intoxiquées à Genève lors d'un seul accident, en ne comptant que les habitants.

Tant la forme que le rayon du nuage dépendent des conditions atmosphériques. Un ciel couvert augmenterait par exemple le rayon, alors la pluie diminuerait le danger.

Cliquez sur la carte pour modifier la direction de la "plume"

Les bureaux mieux protégés

Le chef du service des accidents majeurs de Genève, Pascal Stofer, émet quelques réserves sur la toxicité du chlore à l'intérieur des bâtiments. "Nous sommes mieux protégés si les fenêtres sont fermées, cela dépend beaucoup du type de bâtiment", nuance-t-il. "Le taux de protection diminue lorsque les fenêtres sont ouvrantes, les logements ont donc une protection plus faible que les bureaux climatisés sans fenêtres ouvrantes".

Selon Pascal Stofer, le taux de mortalité est important jusqu'à 500 mètres du lieu de l'accident. A l'intérieur et même avec les fenêtres fermées, il grimpe à 80% à moins de 50 mètres. Au-delà de 500 mètres, il serait toutefois inférieur à 0,1%.

Même en tenant compte de ces réserves, le bilan d'un accident en certains points du trajet pourrait s'élever à plusieurs milliers de morts. D'après le dernier recensement de l'Office fédéral de la statistique, quelque 385'000 personnes habitent à moins de 500 mètres des voies entre Genève et Viège.

Les estimations du service des accidents majeurs de Genève sont basées sur un wagon-citerne transportant 53 tonnes de chlore, le modèle le plus utilisé à travers l'Arc lémanique.

Simulation avec un rayon de 500 mètres (cliquez sur "Démarrer")

Risque "acceptable", pour l'instant

Pour l'heure, la Confédération juge le risque "acceptable". Mais il existe. "Le seul moyen pour qu'il n'y ait plus aucun risque, c'est de ne plus utiliser de chlore", explique Daniel Bonomi de l'Office fédéral de l'environnement (OFEV). D'après les méthodes de calcul de la Confédération, la probabilité qu'un accident se produise entre Genève et Viège est inférieure à 1 sur plusieurs millions par an, soit le même ordre de grandeur que celle de gagner au loto.

A Genève, Renens et Lausanne, 6 kilomètres de tronçons se situent dans ce que Berne appelle les risques "intermédiaires supérieurs", à la limite de l'"inacceptable". D'ici 10 à 20 ans, ils atteindront la zone "inacceptable" en raison de l'augmentation de la population, qui accroît l'ampleur des dégâts en cas de catastrophe (voir l'échelle ci-dessous).

Plusieurs mesures sont prises pour baisser la probabilité d'un accident afin que le risque ne devienne pas "inacceptable". Parmi celles-ci, la réduction de la vitesse à 40 km/h dans les centres urbains d'ici décembre diminuent les risques par 10, et l'utilisation de wagons plus résistants depuis quelques années les réduisent par 5.

Lonza: 70 millions pour produire sur place

Ces mesures restent insuffisantes pour les Verts. Ils demandent que le chlore soit produit sur place, comme c'était le cas jusque dans les années 2000.

Pour Lonza, à Viège, principal importateur avec Syngenta, à Monthey, cela n'est pas économiquement envisageable. La firme invoque comme principale raison le coût de l'électricité, "30 à 40% plus cher qu'à l'étranger". De plus, Lonza affirme qu'une installation permettant de produire le chlore à Viège nécessiterait un investissement initial d'environ 70 millions de francs.

Et si le transport du chlore est interdit comme le demande les Verts? "Lonza devrait renoncer à la production de nombreux produits parce qu'ils ne seraient plus concurrentiels. Cela entraînerait des mesures très menaçantes pour l'usine de Viège", prévient Renzo Cicillini, porte-parole de l'entreprise valaisanne.

En 2014, 25'000 tonnes de chlore ont été importées en Valais, soit quelque 400 wagons.

Habitez-vous dans une zone à risque? Tapez votre adresse ci-dessous:

Chlore, formulaire adresse

Valentin Tombez, Frédéric Vergez et Tybalt Félix

>> Après Daillens, les CFF ont frôlé la catastrophe. Le reportage du 19h30 :

Accident de Daillens: les 50 tonnes d'acide chlorhydriques n'ont pas été transportées dans les règles
Accident de Daillens: les 50 tonnes d'acide chlorhydriques n'ont pas été transportées dans les règles / 19h30 / 2 min. / le 15 juin 2015
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Comment Berne évalue les risques

Pour qualifier un risque d'acceptable ou d'inacceptable, la Confédération met dans la balance la probabilité qu'un accident se produise par rapport aux dégâts potentiels qu'il provoquerait.

En d'autres termes, un accident est inacceptable s'il tue 10 personnes et se produit en théorie une fois tous les 100'000 ans par tronçon de 100 mètres. En revanche, un accident est acceptable s'il provoque 100 morts mais qu'il a une chance de se produire tous les milliards d'années.

Dans le cas du transport du chlore, la probabilité qu'un accident se produire par tronçon de 100 mètres et par an est d'environ de 3x10-11, soit trois chances sur 100 milliards.