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Le droit de recourir à des détectives privés salué par les offices AI romands

Un détective prend des photos depuis une voiture (image d'illustration). [fotolia - nito]
Un détective prend des photos depuis une voiture (image d'illustration). - [fotolia - nito]
Les offices romands de l'assurance invalidité (AI) approuvent la position du Conseil fédéral, qui souhaite autoriser le recours à des détectives privés pour traquer les fraudeurs. Une mesure qui resterait exceptionnelle.

Emboîtant le pas au Parlement, le Conseil fédéral a annoncé la semaine passée son intention de créer, le plus rapidement possible, une base légale pour autoriser les assurances sociales à recourir à des détectives privés dans leur chasse aux fraudeurs.

Une prise de position unanimement jugée bienvenue par les offices de l'AI romands, contactés par la RTS. "Une base légale claire est indispensable", estime le directeur de l'office fribourgeois, Mario Fedeli.

Une mesure déjà utilisée

Dans les faits, ce type de filatures avaient déjà cours, mais assez rarement. L'an passé en Suisse, sur plus de 250'000 bénéficiaires de rentes AI, 1950 cas de soupçons d’abus ont fait l’objet d’une enquête, dont 270 par le moyen d’une surveillance, indiquent les statistiques de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS).

En Suisse romande, les offices AI confirment y avoir également eu recours, mais Genève est le seul à communiquer ses chiffres: sur près de 21'000 bénéficiaires l'an passé, 75 dossiers ont fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la lutte contre la fraude. Un dispositif de surveillance a été mis en place dans un seul cas.

Les offices romands assurent avoir tout stoppé depuis le mois de juillet dernier et l'arrêt du Tribunal fédéral jugeant que la surveillance des bénéficiaires de l'assurance invalidité ne reposait sur aucune base légale.

>> Lire : La surveillance de personnes à l'AI n'a aucune base légale, tranche le TF

"Dernier recours"

Les offices AI romands soulignent que la surveillance par un détective privé est une mesure exceptionnelle, utilisée dans des cas spécifiques, "s'il y a des indices importants nous amenant à avoir des soupçons", selon les termes du responsable fribourgeois Mario Fedeli.

"C'est souvent la conjonction de diverses mesures qui permettent de confirmer nos soupçons initiaux", relève Jean-Philippe Ruegger, directeur de l'Office AI vaudois.

Parmi les moyens dont ils disposent pour faire la chasse aux abus, ils évoquent notamment les informations/dénonciations par des tiers, la consultation des registres publics, l'entraide administrative, la recherche d'informations sur internet.

La mise sous surveillance ne serait utilisée qu'en dernier recours, lorsque tout cela n'a pas suffi à formellement établir les faits.

Intérêt public invoqué

Quant à l'opportunité de faire appel à des détectives privés, une profession régulièrement controversée, les offices cantonaux se retranchent derrière l'intérêt public et la nécessité de lutter contre la fraude.

D'après les chiffres de l'OFAS, les contrôles ont coûté l'an passé un peu plus de 8 millions de francs (dont 1,3 million pour les surveillances) et ont permis d'économiser 11,7 millions.

Extrapolées sur la base du montant moyen et de la durée de perception des rentes, l'OFAS estime que l'assurance invalidité a ainsi réalisé des économies totales de près de 178 millions de francs.

>> Lire : Suivre les fraudeurs à l'aide sociale, le recours à des détectives controversé

Pauline Turuban

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Une surveillance encadrée

L'OFAS souligne que la surveillance d’un assuré "portant atteinte à sa liberté personnelle et à sa sphère privée", elle ne peut être autorisée "qu’à condition d’être fondée sur une base légale, justifiée par un intérêt public et proportionnée au but visé".

La décision de mener une surveillance doit s’appuyer sur des doutes concrets quant à l’état de santé ou l’incapacité de travail invoqués par l’assuré, elle ne peut être appliquée qu’à certaines conditions: il faut que le niveau des prestations versées à l'assuré soit conséquent, que l'observation soit limitée dans le temps, se déroule dans l’espace public et que les preuves recherchées par le biais de cette surveillance soient "hautement probantes".

Il est encore précisé qu'elle doit être effectuée par du personnel expérimenté, et que l'AI doit donc confier ce type de mission "à des entreprises dûment qualifiées" ou à la police.

Jurisprudence récente de la Cour européenne

Il y a quelques mois, la Cour européenne avait donné raison, non pas à une assurée AI, mais à une Zurichoise de 62 ans qui avait été espionnée par son assurance accidents.

Les juges de Strasbourg étaient arrivés à la conclusion que la surveillance secrète avait porté atteinte au droit au respect de la vie privée. Même si la surveillance s'était cantonnée aux lieux publics, la convention était applicable du fait que les enquêteurs avaient agi de manière systématique.