Depuis 2011, le collège Saint Louis à Corsier (GE) utilise le logiciel Pronote. Une plateforme accessible sur internet et qui permet aux parents de tout savoir en quelques clics.
Mais sur ce type de logiciel, il n'y pas que les absences, les notes et les problèmes de comportement qui sont collectés. Des données très privées y figurent aussi, comme le numéro d'AVS des parents, leur date de naissance, leurs numéros de téléphone et adresses électroniques ou leur lieu d'origine. Encore plus intimes, les problèmes de santé, et même la religion, précisée dans les écoles du canton de Fribourg.
Une sorte de Big Brother scolaire avec lequel les enseignants composent au quotidien. Sophie Larvor, la doyenne du collège Saint Louis, reconnaît un aspect "un peu angoissant" à l'idée d'être tous fichés. Mais la facilité pour la gestion quotidienne l'emporte: "On a 240 enfants dans l'école. On ne les connaît pas tous, il est donc très intéressant d'utiliser Pronote pour voir le suivi", explique-t-elle.
Un logiciel piraté par un élève
Au total, ce sont des milliers de données personnelles qui sont collectées. Mais le directeur du collège l'assure: tout est mis en oeuvre pour protéger et sécuriser ces informations grâce, notamment, aux mots de passe qui sont changés régulièrement.
Mais surprise. Lorsque l'équipe de la RTS a tenté de se connecter, son navigateur l'a mise en garde: le site n'est pas suffisamment sécurisé.
Jean Praz, le directeur de Saint Louis, minimise: "Je pense que ça ne pose pas de problème, dans la mesure où on a toute une série de barrières qui viennent après. On a quand même plusieurs étapes avant d'arriver à pénétrer dans le système lui-même. Les gens qui feraient une intrusion seraient bloqués avant", assure-t-il dans le 19h30.
Sauf que le risque existe bel et bien, à en croire l'exemple récent, en France, d'un élève qui a réussi à pirater ce même logiciel. Depuis, certains cantons romands prennent la menace très au sérieux.
A Neuchâtel, les données stockées avec celles de la police
A Neuchâtel, c'est dans le data center ultra sécurisé du canton que sont stockées toutes les données scolaires, avec celles de la police. Car en cas de vol, ces informations seraient une mine d'or pour les entreprises.
"On peut imaginer qu'un futur maître d'apprentissage soit intéressé par certaines informations d'un élève qu'il reçoit. On peut aussi imaginer des ressources commerciales qui pourraient être ciblées par rapport à des compétences d'élèves. Leur sécurité est donc importante pour garantir une virginité numérique à nos élèves", souligne Patrick Duvanel, chef de l'Office de l'informatique scolaire de Neuchâtel.
"Impossible de tout contrôler"
Peu de parents ont réellement conscience de la sensibilité des données collectées sur leurs enfants. "On n'a pas reçu d'information à ce propos-là, et pas du tout sur la sécurité des données. On est obligé de faire confiance parce qu'une fois la scolarité terminée, on ne sait pas du tout ce qu'ils font de ces données", soulève Sophie Moulin, une représentante des parents d'élèves de Neuchâtel.
Aujourd'hui, tous les établissements publics romands utilisent ce genre de logiciels: Memo, Cloe, Neo, Primeo. Quel que soit le nom, la loi est très stricte.
Je ne peux pas m'assurer que tous les établissements ne récoltent que les données qui sont nécessaires
Mais de l'aveu même du préposé à la protection des données des cantons de Neuchâtel et du Jura, Christian Flückiger, il est impossible de tout contrôler: "Il y a 2000 enseignants dans le canton de Neuchâtel et 20'000 élèves. Donc tout ce que je peux faire, c'est donner les bonnes pratiques et intervenir si quelqu'un dénonce un traitement incorrect. Mais on n'est pas à l'abri que, parmi les centaines de milliers de données, toutes ne respectent pas la protection des données. Je ne me fais pas d'illusion."
Durée de conservation de 3 à... 100 ans
Pour éviter les dérives, ces données scolaires doivent être détruites dès la fin de la scolarité. Mais les règles varient d'un canton à l'autre: de 3 ans de conservation en Valais contre 100 ans à Genève.
Des délais excessifs pour Sylvain Métille, avocat spécialisé dans la protection des données: "Ça paraît difficilement justifiable, puisque les données doivent être conservées le temps de l'objectif. On peut admettre un petit délai, ensuite ça devrait être basculé dans les archives."
Ces archives, elles, sont consultables dans chaque canton sur simple demande. Dès 8 ans, un enfant peut exiger de connaître toutes les données conservées dans son fichier.
Cécile Tran-Tien/fme