On pourrait commencer cet article par "il était une fois", tant l’histoire semble improbable. Tout commence dans les années 1990, lorsque Beat Geier, âgé de 12 ans à l'époque, rend visite à sa grand-mère. Il fouille dans la cave et découvre une vieille boîte en ferraille, avec cette inscription: "Sullana", probablement oubliée depuis des décennies parmi les autres vieilleries.
Bien plus tard, Beat fait le lien entre une enseigne d'époque peinte sur le mur de l'ancienne fabrique au quai de la rivière Sihl à Zurich et la vieille boîte de sa grand-mère. Ce passionné d'histoire commence alors à dépoussiérer cette époque.
L'entreprise a été fondée en 1916. Elle produisait alors toutes sortes de cigarettes, les Apollon, les Hera et les Sullana. Dans les années 30, les Sullana étaient les cigarettes à 1 franc les plus populaires en Suisse. "Une cigarette qui ne gratte pas la gorge, c'est leur secret", disait le slogan. La cigarette préférée des sportifs, censée ne pas altérer les capacités physiques, rien que ça!
Après ces années glorieuses, l'entreprise, comme beaucoup d'autres, est rachetée par un groupe étranger, Rothmanns NL, et les Sullana disparaissent peu à peu des étalages.
(vidéo réalisée grâce aux archives de la bibliothèque cantonale universitaire de Lausanne et à la collection de photos de Beat Geier)
Beat Geier et son collègue Stefano Pibiri, qui travaillent alors dans une banque, décident de se lancer dans un projet un peu fou, faire renaître la Sullana de ses cendres. Stefano et Beat s'associent avec l'entreprise Koch und Gsell qui produit depuis 2016 les cigarettes Heimat, 100% suisses.
Nocive mais plus écologique
Mais ouvrir une entreprise de cigarettes alors que l'on sait aujourd'hui que le tabac tue, n'est-ce pas un projet un peu fumeux? Beat Geier s'en défend: "ce que nous voulons, c'est créer un produit local, nos tabacs sont cultivés en Suisse, dans les cantons de Zurich, Lucerne, Thurgovie, Schaffhouse, Fribourg, Vaud et du Jura et nous garantissons un prix équitable aux producteurs et un prix abordable au consommateur." La Sullana d'aujourd'hui n'est plus la cigarette à 1 franc de l'époque, il faudra débourser 8,70 francs.
Les Sullanas ne sont donc pas moins nocives mais elles seraient un peu plus écologiques et durables.
Mais pas de quoi faire toussoter le leader mondial Philip Morris. Ces modestes concurrents produisent actuellement 12'000 paquets de Sullana, une toute petite volute comparé aux 813 milliards de cigarettes produites chaque année dans le monde par le géant américain.
"Nous n'avons pas du tout l'intention de nous glisser sur le marché international, nous visons une clientèle de nostalgiques. C'est un produit de niche, nos cigarettes sont vendues dans des kiosques indépendants, des restaurants, des bars ou des magasins bio. Nos cigarettes plaisent surtout à ceux qui trouvent que c'était mieux avant", explique Beat Geier. Une tendance qui finalement est bien de notre époque.
Radio: Joëlle Cachin
Web: Katia Bitsch