En 2020, le Zoo de Zurich a inauguré une exposition consacrée à la Lewa Wildlife Conservancy (lire encadré). Le parc animalier le plus visité de Suisse a notamment reconstitué un village kenyan, comprenant une école, un barbier, un aérodrome ou encore une aire de campement. Ce village est censé incarner la vie à proximité de la réserve et renseigner les visiteurs sur les enjeux du tourisme dans le pays
Selon les auteurs de l'article paru dans The Anthrological Journal of European Cultures en septembre dernier - dont certains connaissent le continent africain pour y être nés ou y avoir travaillé - le Zoo de Zurich offre une vision trop partiale et perpétue les "clichés d'un pays sous-développé".
"Pas assez d'informations"
La réserve offre, par exemple, des safaris avec des logements cinq étoiles, alors que l'exposition présente un campement sommaire. Plus largement, le Zoo de Zurich perpétue aussi une "tradition colonialiste", celle des zoos humains, selon les universitaires.
"Les pays occidentaux ont aussi utilisé les zoos pour montrer des êtres humains et le plus souvent, ils venaient d'Afrique", rappelle l'une des auteures de l'article Samantha Sithole, jeudi dans Forum.
Et la chercheuse à l'Institut de géographie et de durabilité de l'Université de Lausanne d'ajouter: "Par ailleurs, les visiteurs qui ne sont jamais allés sur le continent africain vont repartir chez eux avec l'idée que l'Afrique ressemble à ce qui est présenté dans cette exposition. Parce que le zoo ne donne pas assez d'informations pour faire le lien entre l'école, l'aérodrome, le campement, le coiffeur et l'histoire de la conservation de la nature."
Aucune réaction négative
Ces critiques surprennent le directeur du Zoo de Zurich Severin Dressen. Il se défend de toute intention colonialiste et raciste: "Jusqu'ici, le village Lewa n'a suscité que des réactions enthousiastes, que ce soit de la part de l'Ambassade du Kenya en Suisse ou de la Lewa Wildlife Conservancy qui a visité les lieux cette année."
Et le zoo estime avoir fait le maximum pour rendre compte fidèlement de la réalité sur place. "Nos équipes sont allées dans la région, au Kenya, durant la phase de planification. Les éléments que nous avons réunis au zoo sont inspirés de différents lieux vus dans la région", explique le directeur.
Avant d'ajouter: "L'école, l'aéroport ou encore le coiffeur existent vraiment. Mais le village Lewa, comme on l'appelle ici, en tant que tel n'existe pas. C'est un peu comme si on avait pris une maison zurichoise et une maison bernoise, et qu'on l'appelait le village suisse alémanique!"
Difficile de pratiquer des représentations
Pour Boris Wastiau, directeur du Musée d'ethnographie de Genève, ce qui est difficile aujourd'hui, c'est de pratiquer des représentations, qu'il s'agisse de représenter une culture, un lieu, un pays ou une ville. "On risque tout de suite de se voir confronté à un procès d'intention, quelles que soient les bonnes intentions que l'on peut avoir à la base", a-t-il souligné jeudi dans Forum.
Et le spécialiste de faire observer que les musées, en particulier ceux dits d'ethnographie, dont le but était même de décrire les cultures et les peuples, sont aujourd'hui largement sortis de cette idée de représenter d'autres cultures, d'autres sociétés.
Intégrer les sciences sociales
Dans leur article, les auteurs font diverses recommandations pour "décoloniser" l'exposition, et celles à venir. Ils invitent notamment la direction et les zoos à intégrer des spécialistes en sciences sociales au sein des équipes de biologistes, qui sont majoritairement représentées dans le domaine de la conservation de la nature.
Il y a une année, les auteurs, avec une dizaine d'autres universitaires, avaient déjà adressé un courrier au Zoo de Zurich, demandant une rencontre. La direction n'avait pas donné suite. Mais après la publication de l'article, l'Association mondiale des zoos et des aquariums (WAZA) va rencontrer les auteurs en janvier prochain.
Céline Fontannaz
Vingt ans de collaboration entre le Zoo de Zurich et la Lewa Wildlife Conservancy
La Lewa Wildlife Conservancy est le partenaire du Zoo de Zurich au Kenya en matière de conservation de la nature. Cela fait plus de vingt ans que le Zoo de Zurich collabore avec cette réserve, inscrite à l'UNESCO.
Le parc animalier zurichois lui fournit notamment des fonds pour la sauvegarde des espèces menacées, la scolarisation des enfants sur place et l'enseignement de la préservation de la nature.