Une enquête de l’émission Mise au Point révèle l’ampleur du phénomène en Suisse. "Nous avons traité deux patients en raison de troubles neurologiques dus à une consommation excessive de protoxyde d’azote", confirme Regina Schläger, médecin-cheffe à la Clinique de neurologie de l’Hôpital universitaire de Bâle.
"Pendant les six derniers mois, nous avons soigné deux personnes souffrant de séquelles neurologiques sévères aux jambes et aux bras. L'un de mes deux patients a même dû utiliser une chaise roulante entretemps. Une consommation chronique de gaz hilarant désactive la vitamine B12 et provoque des perturbations sensorielles et motrices", précise la doctoresse bâloise.
Un business florissant
A Bâle, les autorités sanitaires en appellent à l'aide de la Confédération. Le Laboratoire cantonal, responsable du contrôle des produits chimiques, a décidé d'agir contre plusieurs bars et clubs vendant des ballons de protoxyde d'azote. "Avec l'aide de la police, nous avons contrôlé plusieurs bars et une trentaine de magasins de quartier", confirme Yves Parrat, chef de l'unité de contrôle de la sécurité chimique et biologique au Laboratoire bâlois.
Suite à ces contrôles et perquisitions, les autorités bâloises ont décrété une interdiction de vente de ce produit, détourné de son usage courant. Toutefois, l'interdiction n'est pas respectée partout. La meilleure solution, appelée de ses vœux par les responsables sanitaires bâloises, consisterait à interdire de vente ce produit au niveau suisse lorsqu'il est commercialisé comme stupéfiant pour être inhalé.
"Nous aimerions que les personnes privées puissent continuer à se fournir en petites capsules pour faire de la crème fouettée. Par contre, il n'est pas normal que des jeunes se procurent facilement des bouteilles de grande contenance et inhalent des ballons dans les parcs", précise Yves Parrat dimanche dans Mise au Point.
Plusieurs exploitants de boîtes de nuit profitent d’une zone grise pour faire de juteuses affaires. A 5 francs le ballon, c’est une mine d'or. Une bonbonne de gaz hilarant de 50 litres permet de gonfler jusqu'à 5000 ballons et réaliser un chiffre d’affaires de 25'000 francs.
Une interpellation du conseiller national socialiste jurassien Pierre-Alain Fridez s'interroge sur une éventuelle interdiction. Lors de l’heure des questions au Parlement le 13 décembre dernier, le ministre de la Santé Alain Berset a évoqué davantage de contrôles mais estimé que la situation n’avait rien d'inquiétant.
Un mort et quatre blessés
Pourtant, un dramatique accident de voiture lié à l’usage de cette drogue a eu lieu en novembre dernier près de Bâle. Dans la nuit du 12 au 13 novembre, cinq jeunes ont passé la soirée dans une boîte de nuit du centre-ville, acheté une bouteille de gaz hilarant avant de prendre la route.
Selon de nombreux témoignages, ils auraient consommé des ballons en roulant, y compris le chauffeur au volant. Sur l’autoroute près d'Arisdorf (Bâle-Campagne), leur voiture a percuté une glissière de sécurité. L'accident a fait un mort et quatre blessés.
400 capsules par jour
Influenceuse de la région parisienne, Tchikita témoigne dans Mise au Point sur sa consommation de protoxyde d’azote. "Je consommais jusqu’à 400 capsules par jour", avoue-t-elle. Après plusieurs mois, elle développe des symptômes inquiétants: des fourmillements, des pertes d'équilibre et de goût.
Elle perd la sensibilité dans les doigts et développe des troubles neurologiques qui l'empêchent de marcher. Tchikita alerte désormais sur les dangers de cette drogue et suit les conseils de son médecin: faire du sport, boire beaucoup d’eau et ne plus toucher aux ballons!
"La drogue du pauvre"
"C’est la drogue du pauvre", réagit Mokrane Kessi, président de l’association France des banlieues à Vénissieux. Mise au Point s'est rendue dans les banlieues de Lyon pour constater la prolifération de cette nouvelle drogue.
En France, le protoxyde d’azote est devenu la deuxième drogue la plus consommée chez les jeunes, après le cannabis. Livrées en moins d’une heure, vendues aux points de deal, sur internet et les réseaux sociaux, ces bonbonnes à 20 euros sont accessibles et pas chères. Elles jonchent le sol au pied des immeubles et à proximité des marchés. On en trouve par dizaines dans les conteneurs de la déchetterie de Vénissieux.
Véritable problème de santé publique dans les grandes villes françaises, la consommation de protoxyde d’azote est particulièrement préoccupante dans les Hauts-de-France. A Lille, le nombre de patients atteints à la moelle épinière et victimes de séquelles neurologiques a passé de 15 en 2019 à une cinquantaine en 2022.
Nathalie Randin